jeudi 1 mars 2012

Un Dimanche à Orly



Je suis de retour ! Comme le dirait Alliance Ethnik, c'est un fat comeback. En pleine forme olympienne, quelque part entre l’apollinien et le dyonisiaque. J'ai trempé ma plume dans du vitriol artisanal. Mes posts acidulés donneront aux procès de Moscou un goût définitif de Michel Drucker.

Mon esprit caféiné sort d'un entretien d'embauche américain : celui qui mène au RER C, pour finir à rédiger des petites notes bien nettes, et à tenir un jour des propos généralistes de machine à café. Suivez moi ! Les entretiens, c'est toujours loin, dans des endroits pittoresques, comme Bois Colombes, Les Ulis ou Saint Denis. L'interlope entre une gare de triage, une voie rapide et un incinérateur. Là j'ai adoré le chemin pour Rungis. Sur votre droite, la fascisante Maison des Examens, traumatisme claustro des provinciaux recalés, feu l'Arcueil d'Erik Satie réaménagé en boulevard Lénine du deal. Au dessus de vous, Pondorly, arche de béton autoroutière à la Tricatel, refurbished en discothéque à kékés. Sur votre gauche, bien sûr, le Marché « d'Intérêt National » de Rungis, cette folie logistique fatale au Ventre de Paris, où s'expose tout président pour draguer la France qui se lève tard, pour travailler tard. Baltard, qu'avons nous fait ? C'est trop multimodal, Dutronc n'aurait pas écrit « Paris s'éveille » sur ce macadam ! En 68, à la Villette, on tranchait encore le lard... ce n'était pas une salle de concert pour snobs dodécaphoniques...

Rungis dégage son étrange poésie grisâtre, entre parkings déserts et cartons déchirés, containers vides, pylones rouges, fils électriques à boules pour radars aériens. Orly oblige. Tiens si j'étais aventureux j'irais me perdre dans le Terminal Sud vintage et gaulliste - rencontre du ciel et de la terre, Mon Général ! M'élancer vers Gibraltar, dans un grand Airbus bleu de mer...

Dans les années 60, cette architecture en verre, alu et béton « style international » est la vitrine d'une France au top des 30 glorieuses. L' architecte d'Orly Sud, Henri Vicariot, est un spécialiste en espaces conviviaux puisqu'il construira la gare RER intergalactique de la Défense, 12 ans seulement avant la sortie de Blade Runner (2). L'aérogare, avec ses « murs rideaux » et ses grands espaces vides, c'est surtout le « Playtime » de Jacques Tati et son angoisse postmoderne, devant une architecture futuriste monotone et froide, d'une absurdité labyrinthique qui dissout le lien social.

Pourtant cette nouvelle utopie était tellement à la page qu'on venait passer son « Dimanche à Orly », comme le chantait Bécaud ;

"Je m'en vais le dimanche à Orly
Sur l'aéroport on voit s'envoler
Des avions pour tous les pays
Tout l'après-midi... y'a de quoi rêver.."




Sur la terrasse Sud, dans les odeurs de kérosène, les enfants admirent les Caravelles argentées et leurs pilotes à hôtesses rutilants sur le tarmac. Ces aristocrates du ciel s'exhibent dans leurs uniformes bien coupés, casquette blanche et galons dorés, une Lucky Strike au bec, avant de s'envoler pour les Colonies. En bout de piste, un DC-8 de la Pan Am squatté par le mytho Di Caprio de Catch Me If You Can, croise le dernier Iliouchine pour Leningrad. Les Mad Men de Don Draper ne sont pas loin (2) . Tante Yvonne en tailleur pastel attend au comptoir d'enregistrement ! Elle ne sait pas encore que son mari donnera le nom à un aéroport.

Mais Carlos a tiré au lance roquettes sur un avion yougoslave en 75, et ce fut un coup fatal pour ce tourisme touchant de naïveté. A cause de ces trouble-fête qui font exploser leurs Nike Air au dessus de l'Atlantique, on ne peut plus voyager avec des cutters et des bouteilles de whisky... Je regrette amèrement cette époque de liberté où on pouvait fumer un cigare devant un bébé en classe éco, où le Saoudien trinquait dans le cockpit avec le commandant... Quand avoir un turban n'entraînait pas une séance de waterboarding dans une salle de JFK. Seuls les flingues et le plutonium étaient bannis des soutes : un véritable âge d'or.

Aujourd'hui, Orly est un aéroport derelicte dont la vétusté n'est dépassée que par l'improbable Beauvais-Tillé, antichambre des avions low-cost Playskool. Il est spécialisé dans les destinations « soleil » : vous verrez moins d'attachés cases et davantage de djellabas.

D'ailleurs pour me remonter, j'aurais bien besoin d'un séjour à Rhodes ou à Louxor. Pourtant tout ne va pas si mal : sur mon nouveau CV, en police Helvetica (celle du métro de NY), j'ai une photo de winner où je fais très Mitt Romney sans le côté mormon. J'ai fêté dignement mes 30 ans, comme Kyan Khojandi dans Bref, et mes voisins insomniaques me haïssent ; les confettis dans les lattes du parquet me rappelleront cette bacchanale au champagne jusqu'aux calendes grecques. Sarko vient d'installer son QG de stagiaires + barbouzes juste en bas de chez moi, mon voisin lobotomisé joue du djembé moins fort, ma psy fait des blagues sur la musique russe : Bref, je suis au top. Tu vois Kyan - comme toi je suis sur le retour et je devrais arrêter les blinis-Tarama, mais je ne suis ni iranien, ni chauve.

Comme toi, je suis Rémois, et je te comprends. Je te consacrerai un jour un post. Je t'aime, Kyan.


(1) Pour en savoir plus sur l'architecture super-cosmique soviétique je vous conseille ce très bon Taschen.

(2) Les séquences d'intro de Catch Me if you can Mad Men ont beaucoup en commun ! Elles sont d'une sophistication tellement délicieuse! Symbole de leur réussite : leur parodie (1/2) par les Simpsons, signe d'une belle reconnaissance pop. Cela rappelle le générique de fin du très réussi « Very Bad Cops » - malgré les apparences du trailer- sur fond de statistiques de la crise des subprimes. Mais c'est déjà le sujet d'un post...)

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