lundi 16 octobre 2017

I like Chopin

Si la musique de Liszt est tour à tour grandiose, démoniaque et angélique , show off, sublime dans ses excès, voire dépouillée dans son crépuscule atonal, la musique de Chopin est une flèche qui me perce le cœur.

Nocturnes rêveurs, à la mélancolie noble et aristocratique. Un monde onirique et hors du temps, des plaintes, des pleurs, les reflets de la lune dans un lac, des romances sans parole où l'espoir vient pourtant de la Beauté. Fantaisies et scherzi tour à tour furieux et élégiaques. Les études évidemment, et leur virtuosité insensée, scintillante, dont certaines sont une pure révolte, un cri sur les barricades révolutionnaires, un souffle de vent glacial sur le piano. Le même vent glacial qui souffle sur les tombes et fige mon sang dans le Finale de la 2ème sonate, plus funèbre que la marche éponyme. La Barcarolle : "ce moment de bonheur, Chopin l'a si bien fait chanter, dans la barcarolle, qu'à l'écouter l'envie pourrait prendre même les dieux de passer de longues soirées d'été allongés dans une barque." (Nietzsche)



Et puis il y a les oeuvres de salon, les valses, d'une mélancolie plus douce, avec une certaine retenue et un brin d'affectation mondaine. Les polonaises qui sont un chant patriote et idiomatique, parfois triomphal ou révolté, à part la Polonaise Fantaisie peut être, et ses paroxysmes jamais atteints. Les préludes, d'une variété incroyable, qui ont, selon Liszt, "la libre allure des œuvres de génie". De la musique pure, inclassable, sortie d'un esprit affranchi de toute contrainte, où sont tous les climats, toutes les tempêtes et les havres de paix, des vagues ondoyantes, du tonnerre et des éclairs, la colère aussi, et le point culminant, le 24ème prélude, qui semble un triomphe brillant, mais un triomphe funèbre.



La musique de Chopin me perce le cœur ; à consommer avec modération, mais qui n'aimerait pas ce doux opium. Qui n'aime pas rêver avec le Poète qui fait chanter le piano sous la voûte étoilée, bercé par les songes ?


dimanche 8 octobre 2017

Lanzarote



Claudio Arrau égrène dans mes mauvais écouteurs bluetooth quelques mesures des nocturnes de Chopin, et c'est ici dans mon lit à Javel, entouré de l'insignifiance de mon appartement de cadre moyen, que je me souviens de Lanzarote.

J'ai atterri à Fuerteventura, une ile pierreuse jalonnée de resorts all inclusive pour anglais obèses et de spots de kite surf. Je m'en suis enfui assez vite, et sur le ferry je vois se détacher la silhouette volcanique de Lanzarote : les maisons d'un blanc éclatant, la roche brune et ocre, et quelques rares palmiers. Je comprends pourquoi Houllebecq a situé ici sa "Possibilité d'une île" : le paysage, lunaire et dépouillé, a tout pour plaire au plus neurasthénique de nos écrivains. Les routes sont taillées au milieu de coulées de lave immenses, qui semblent à peine refroidies. Rien à voir pourtant avec Santorin et ses coupoles orthodoxes, son immense caldeira remplie par la mer Egee, dont l'éruption millénaire a causé l'extinction des Minoens, ses falaises abruptes où les villages semblent s'agripper face au vide.

Ici, le relief est plus doux. Je suis seul, elle n'est pas venue, je ne comprends pas encore qu'elle sera partie dans 6 mois, et que mes escapades solitaires ne sont que le prélude à une rupture. Sur la route du parc national de Timanfaya, j'écoute la B.O de Brazil, et sa musique rêveuse, dystopique. Le parc est envahi de touristes allemands vulgaires et agressifs, ce qui ne leur ressemble pas : je jette un oeil au cônes rougeatres des volcans endormis, et je passe mon chemin, au bord de la mer, pour observer les rouleaux de l'Atlantique se briser sur la côte nue. Comment ai je pu croire qu'elle resterait avec moi ?

De retour à l'hôtel, un beau complexe post moderne blanc et piscine turquoise qui surplombe une marina avec des maisons presques coloniales, je me pose en effet la question. Peut être que Houellebecq avait la réponse : à Lanzarote, il a préfiguré la création d'une secte transhumaniste qui clonerait à l'infini quelques humains triés sur le volet, et vivraient éternellement, par la sauvegarde de leur esprit à chacune de leurs morts. Chacun d'entre eux vivant dans une maison forteresse, dans un monde post-apocalyptique nucléaire, évidemment tout contact sexuel entre les heureux élus est exclu, à part via une vidéo conférence. J'ai ma copine au téléphone de temps en temps aussi. C'était une bonne idée d'aller à Lanzarote tout seul ?

Une des rares curiosités architecturales de l'île, c'est la maison de Cesar Manrique, peintre, sculpteur et architecte, qui a créé ici un mélange du palais bulle de Cardin en version underground, avec force bassins, canapés en skai kitsch et fontaines improbables. La maison de surface, plantée dans un champ de lave, rassemble des fresques à la Miro et beaucoup de peintures laides. Le plus beau, ce sont ses baies vitrées qui donnent sur les volcans, avec quelques Dragonniers des canaries, arbres préhistoriques et robustes, qui se détachent à l'horizon. Mais la nudité de cette île m'opresse un peu.

Le soleil de décembre ne tape pas trop. Ai-je bien utilisé mes RTT ? Au moins je sais maintenant ce que signifie l'expression "paysage minimaliste". Mon avion décolle d'Arrecife direction Gatwick puis CDG, Thomas Cook Airlines. L'île a l'air plus verte vue d'en haut. Passent les murailles d'Essaouira, si petites vues de mon hublot, et je me souviens qu'Orson Welles y a campé son Othello chypriote. Pas de raison de désespérer, il reste des Canaries - les Iles Fortunées - à explorer.

samedi 7 octobre 2017

Souvenir de Chypre





Dès l'atterissage à Paphos, je suis de mauvaise humeur. J'arrive de Grèce où il pleuvait des trombes d'eau, noyant la riviera athénienne, Vouliagmeni d'habitude si chic dans ses calanques, transformée en rivières boueuses. Les 4X4 avaient beau ralentir, ils me projetaient au visage cette eau grise au bord de ma rue sans trottoir, quand j'allais serviette à la main me baigner dans le lac salé où de petits poissons venaient me picorer les pieds.

Le vol Ryanair n'était pas si inconfortable, soleil couchant sur la mer Egee, jambes étendues près de l'issue de secours. Mais à Paphos Airport le loueur se fait attendre, finalement le verdict tombe, c'est une automatique, bien défoncée, et le volant est à droite. Damn it ! J'avais oublié qu'on roulait à gauche ici. Les anglais ont semé le chaos ici, non contents de laisser derrière eux une ile divisée parcourue par un no-man's land de l'ONU et de détenir des bases militaires un peu partout, il va falloir que j'apprenne à prendre les ronds points à l'envers. Je me concentre pourtant, la nuit est noire, mais évidemment j'attaque le premier rond point à contresens, klaxons, appels de phares, et je me dirige vers Paphos pour la première nuit, dans un resort lamentable pour anglais obèses. L'hôtel est laid et bon marché, avec une vue imprenable sur la route nationale, j'essaie de charger mon téléphone, et la sanction est sans appel, une prise anglaise à la con, avec trois trous ! J'ai l'air d'un imbécile. Les anglais ont semé le chaos partout.

Grecque, romaine, turque, byzantine, Chypre ne s'était pas si mal sortie des siècles et des confrontations. Ile natale d'Aphrodite, c'est ici qu'Othello le maure taciturne a tué sa belle Desdemone d'une main jalouse. Au milieu du XXème siècle, c'était encore le seul endroit où Grecs et Turcs vivaient ensemble comme des voisins un peu turbulents. Mais les anglais avaient récupéré l'île, ils ont divisé pour mieux régner, et à leur départ, évidemment, putsch des Grecs, intervention des Turcs qui occupent le Nord en 1974, 38% de l'ïle, opération Attila, et au milieu comme une balafre court la zone tampon de l'ONU, no man's land couvert de mines et de barbelés. Une DMZ bien étrange. A Nicosie, je franchis un premier checkpoint chypriote, et je me retrouve dans une sorte de terra nullius où des diplomates sirotent tranquillement des cafés latté avec leur voitures immatriculées UN, au milieu de maisons abandonnées depuis 40 ans. Interdiction totale d'y pénétrer, sauf pour des instagrammeurs hardis comme votre serviteur. Maisons de maitre éventrées, aéroport de Nicosie envahi par les herbes folles, avions qui rouillent sur le tarmac et ne décolleront plus jamais... De l'autre côté, le checkpoint turc, repeint à neuf, ne demande qu'à tamponner mon passeport et me faire basculer dans une autre civilisation, celle de Soliman et d'Atatürk.

Je préfère mon hôtel-spa dans les collines proches de Paphos où je sirote des bières roumaines en pensant à mon prochain sauna. Je lis les Citrons Amers de Durrell, un amoureux de l'île, de toutes ces iles bénies de Corfou à Rhodes, qui pourtant derrière son philhellenisme décoratif cache un brin de condescendance toute britannique pour ses hôtes. A Nicosie toujours, j'arpente la ville, ses petites rues chaotiques qui mènent à des impasses gardées par des militaires, et des sacs de sable empilés avec des meurtrières pour tirer, théoriquement, sur le méchant turc. Le tocsin des églises orthodoxes est couvert par le chant du muezzin, à seulement 100 mètres d'ici. Pourtant, la situation n'est pas si tendue... passer de "l'autre côté" ne demande que quelques minutes. A deux pas des sacs de sable de l'armée et des barbelés, on trouve des bars branchés et une jeunesse chypriote insouciante. La partie turque de Nicosie est encore plus belle et ne manque pas de pittoresque : ruelles médiévales, cathérale convertie en mosquée, casinos et semi-bordels, magasins de montres et de parfums...  en fait, cette partition a de plus en plus d'opposants, et les anciens ennemis ne se détestent plus tellement. Tout le monde est fatigué par cette absurdité géopolitique, sauf peut être les Russes qui trouvent côté grec soleil et refuge pour leur argent louche, et les Turcs du continent qui viennent s'éclater dans les casinos. Le conflit est figé car Ankara en fait une question de principe pour contrarier la Grèce et l'UE.

Je repasse la frontière et sur la rue Ledras, je tombe sur Savvas, un intellectuel et éditeur chypriote, qui me déclare pourtant son désarroi et son dépit. "Ils ont osé graver ce drapeau turc géant sur notre montagne, le Pentadaktylos" ; "tous les matins, en me levant, je vois cet immense drapeau sur la montagne de l'autre côté, et cela me donne des troubles pyschologiques" ! Le pentadaktylos, la montagne aux cinq doigts, qui surplombe Kyrenia maintenant nommée Girne, ermitage de Durrrell et de ses citrons amers. Je comprends son énervement. Mais je sais qu'au fond les jeunes chypriotes ne demandent qu'à se réunir, et que seuls les vieux irréductibles des deux côtés gardent de la rancoeur pour les villages abandonnés, les mosquées expulsées, les monastères transformés en dépots d'armes, Varosha, version locale de la Baule, devenue ville fantôme, Tchernobyl balnéaire seulement patrouillé par quelques soldats turcs et photographes en mal de sensations. Dans les rues adjacentes, on trouve de tout, des librairies riches de gravures et cartes, des restaurants bon marché, et des bars à entraîneuses. Toute la faune nocturne dont rêve un voyageur solitaire.

Le lendemain, je franchis une fois de plus le no man's land, et un taxi turc me mène à Ercan, l'aéroport de la partie Nord, non reconnue par la communuaté internationale. Si mon vol se crashe, je ne serai pas indemisé, et aucun avion ne peut se poser ici sans avoir fait un "touchdown" en Turquie. Je passe devant le drapeau rouge et blanc géant tracé sur le mont pierreux : je ne sais pas si je dois le trouver beau ou injurieux dans sa grandiloquence patriotique. Mon Airbus m'attend, direction Istanbul. Je dis au revoir au flamboyant Savvas et à ses chimères patriotes, et j'espère que les ennemis se tendront la main, au delà des blessures du passé, quand sera venu le temps de l'oubli et du pardon.

dimanche 1 octobre 2017

Reims




Il était temps que j’écrive un article sur Reims, mon refuge, repos de mon âme troublée par les turpitudes parisiennes, Reims gracieuse et bourgeoise, Reims prolo et bobo, petit joyau art Déco posé au milieu des coteaux champenois.

Art Deco, oui, car la ville a été entièrement rasée en 14-18, c’est le Stalingrad Français, la ligne de front à 5km, des forts et cimetières militaires jalonnent encore les environs. Quand je fais du VTT au milieu des champs et forêts bucoliques, sur les flancs de la colline qu’on nomme « Montagne de Reims », je croise les tombes où les jeunes ennemis du passé dorment en paix, mêlés dans une terre indifférente à la haine des hommes. Pendant la guerre, la cathédrale a été lâchement visée par des obus scélérats : incendies, effondrement de la voûte. Les gargouilles crachaient alors du plomb en fusion. Restaurée par Rockfeller, son triomphe de pierre est désormais total. Ses milliers de statues, mérovingiens impassibles, anges souriants, saints décapités nous toisent désormais avec sérénité.

La France républicaine refoule son passé royal, mais il est possible ici de se souvenir du faste des Sacres. Presque tous nos rois depuis le baptême de Clovis ont été couronnés ici, et le Palais du Tau contient encore les « regalia » épargnés par la révolution : riches habits, joyaux et couronnes, illustrations du faste révolu. Il ne reste presque plus rien de la ville médiévale à part quelques maisons à colombages restaurées ; les romains ont laissé derrière eux de belles mosaïques et une porte triomphale, la porte de Mars, qui vient rappeler l’importance de Durocortorum, capitale de la Gaule Belgique, face à l’insignifiante Lutèce. Les temps ont un peu changé depuis : le TGV draine son lot de cadres vers Paris.

La ville dans son ensemble, reconstruite dans les années 20, contient quelques joyaux comme la bibliothèque Carnegie, splendide bâtisse Art Deco dont les lustres et les mosaïques me donnent l’impression d’embarquer dans un grand Transatlantique lustré dédié à la Connaissance. Quelques édifices « néo-historicistes », un peu de « Post-haussmannien », des maisons particulières en pierre de taille avec de beaux jardins, des faubourgs assez moches. Et, tout près d’ici, la vallée de la Marne et ses immenses alignements de vignes, villages viticoles riches et lepénistes. Nains de Jardin plaqués or, gros 4x4 et bars PMU déserts. Ici, on picole à domicile, et pas seulement pendant les vendanges.

Reims est mon refuge. Le week-end, j’embarque dans le TGV Est et je me planque avec mes livres au coin du feu dans la grande maison de mes parents, trois étages de moquette et de moulures, et son grand escalier surmonté d’un puits de lumière. Je respire l’air qui est moins rare ici. J’arpente la rue de Vesle, commerçante et laide, avant de gagner la Place d’Erlon, dont les triviales terrasses sont sublimées par la Victoire Ailée, splendide fontaine Art Nouveau au sculptures sensuelles et fleuries. Je continue vers la Place du Forum où se font face Cryptoportiques Gallo-Romains, ancienne gloire médiévale de l’Hotel Le Vergeur, et des immeubles d’une certaine bonhomie bourgeoise. J’achève ma marche vers l’Hotel de Ville, vaguement Renaissance, et le quartier du boulingrin, qui attire désormais les hispters du cru dans ses petits restaurants autour des anciennes halles. Autrefois lieu de prostitution et d’embrouilles, les Halles Restaurées ressemblent à un grand vaisseau spatial avec leur voûte moderniste, un grand dôme de béton au reflets jaunes et bleutés, refuge des brocanteurs du dimanche.

Reims, tu m’as vu naître et grandir, devenir un étudiant puis un homme imparfait. J’ai appris à lire dans la petite école Thillois, au milieu des tilleuls et des tableaux noirs où j’entends encore grincer la craie du professeur. Après un passage loupé en classe prépa HEC à Paris, tu m’as accueilli encore dans ta fac de droit délabrée et ses amphis-coquille so seventies, désormais envahis par les migrants. Dans ton école de commerce, j’ai appris ce qu’était un compte de résultats, j’ai surtout fait la fête, rencontré l’amour et forgé des amitiés inoxydables. Tu es le fief de ma famille, mes parents se sont mariés dans ta cathédrale, ma sœur dans le palais de l’Archevèque ; ma grand-mère a fondé ici un grand laboratoire d’analyses et mon grand père s’est illustré dans l’ophtalmologie. Tous deux étaient d’une générosité et d’une grandeur d’âme remarquable.

Nous habitions en face de chez eux, dans un bel appartement bourgeois, rue de l’Arquebuse, près du parc de la Patte d’Oie. La maison de ma grand-mère était immense, la maison résonne encore de nos jeux d’enfants et de nos parties de cache-cache. Après le dîner préparé par la gouvernante ardennaise et son accent impénétrable, nous regardions des VHS de Walt Disney avec mes sœurs. Des films aussi, et j’apprends à rêver des aventures d’Indiana Jones, je chasse les fantômes avec Bill Murray dans Ghostbusters, j’explore le Hill Valley des années 50 avec Marty Mc Fly dans sa DeLorean. Top Gun, aussi : je ne découvrirai que 15 ans plus tard que ce film était crypto-gay (ah les grandes parties de Beach Volley, playing with the Boys, et les mecs en Stetson et slibard dans les vestiaires moites – moi qui ai cru à sa romance de pacotille avec Kelly Mc Gillis). Ma grand-mère était une seconde mère pour moi, une femme fière, forte, une entrepreneuse, une voyageuse infatigable – elle nous a quitté trop tôt, emportée par une rupture de l’aorte, foudroyante. Je veux garder d’elle le souvenir de sa bienveillance permanente, omniprésente, dont ma mère a hérité et dont j’essaie de faire preuve aussi, avec mes imperfections.

Nous possédions alors une maison de campagne avec un grand toit de chaume blottie dans un vallon près de la Marne. A perte de vue, des vignes, des forêts de pins en haut des collines et Chatillon sur Marne, couronnée de la statue triomphale d’Urbain II, natif de la région et lanceur de la Première Croisade. Au fond du vallon, on trouvait de grandes prairies, des noyers et un petit ruisseau sur lequel j’aimais faire des barrages, aussitôt détruits par le cantonnier. Armé d’un marteau et de planches, j’installais des cabanes dans le sapin, tandis qu’au loin, des hélicos de poche aspergeaient les vignes de pesticides. On aillait cueillir les prunes dans le verger. Notre vie heureuse oscillait au rythme des balançoires et des déjeuners dominicaux ; dans le grenier qui sentait la poussière et les vieux livres, nous construisions aussi des cabanes, en coussins celles-ci, derrière d’immenses fauteuils club en cuir. En bas, les parents et ma grand-mère attendaient paisiblement la fin du dimanche devant un grand feu de bois – le feu, toujours, au milieu de la nuit. Puis, après un bain chaud, nous prenions la Saab 9000 de mon père, je me souviens encore de ses sièges en velours, l’autoroute A4 nous ramenait au bercail pour une nouvelle semaine insouciante, une semaine d’écoliers.

Le saule pleureur où nous prenions la pose pour nos photos d’enfants a certainement disparu. Trop isolée, la maison a été pillée à de nombreuses reprises par des vendangeurs avides. La petite maison en bois de nos jeux enfantins a été fracassée par une hache anonyme et rageuse. L’âge d’or de notre enfance s’est terminé avec la vente de cette maison, désormais impossible à entretenir, mes parents n’ayant pas le goût de la campagne.

En face, sur la colline, au milieu des vignes, on trouve un petit cimetière qui domine la vallée. Ma grand-mère Jeanne et son mari Pierre reposent ici. Parfois, je viens poser une fleur sur le marbre gris et je ferme les yeux en pensant eux. Leur souvenir vit en moi – il nous ont montré qu’il est possible de construire une vie belle et prospère par la bienveillance, la générosité et le désintéressement le plus total, aux antipodes du narcissisme et de la méchanceté. Je reste convaincu que leur voie est la seule à emprunter, mais suis-je fait de la même âme, de la chair qui était la leur ?