dimanche 29 avril 2012

Mein Gott ist blau


Je viens de lire sur Wikipedia que Leonard de Vinci était un grand procrastinateur : par ailleurs Sébastien Tellier déclare dans une récente interview aux Inrocks « Je n’ai pas de respect pour les branleurs, j’aime les gens qui vont au bout. Il n’y a rien de plus frustrant que de parler avec quelqu’un qui ne transforme rien », lui qui a pourtant été un immense glandeur. Et 5 ans passés sur son canapé ont fait de lui un gourou hype qui parle sous la dictée d’un petit dieu bleu, en mode symphonique.



Je vois dans ces derniers exemples une justification de mon inaction chronique qui fait de ce blog un terrain vague, et un champ d’excuses sans fin pour ne pas écrire ; mais aussi une incitation à couper le baobab qui me pousse dans la main pour vous le servir sous forme de contreplaqué. Je vous avais préparé une analyse postmoderniste des Simpsons, qui commençait par Puff Daddy au Meurice, et du Wagner dans le TGV Est. Mais je n’ai pas osé l’éditer : trop d’adjectifs, par assez de chair et d’os…
En fait je pense que bloguer revient à faire du mauvais Desproges. A crier sa haine feutrée quotidienne contre des trucs qui ne font souffrir personne sauf les gens brillants et sensibles.  Voici un exemple.

La plus belle vue, c'est quand on est dedans,
parce qu'on les voit pas
J’habite la rue de la Convention, ce trou noir pseudo Haussmannien qui s’étire entre Beaugrenelle, affront architectural proche du génocide, et le pont Mirabeau qui croyez moi n’en demandait pas tant à Apollinaire. A côté, l’Imprimerie Nationale, pire opération immobilière de tous les temps, rassemble une meute de diplomates déclassés dans un polygone de briques. Celles-ci sont jaunâtres, contrairement à St Christophe de Javel, rougissante sous son armature gothique de ciment armé, très en vogue dans les thirties. A l’époque, les ouvriers de Citroën venaient prier avant d’aller picoler  - bien avant les cadres moyens avec poussettes qui vivotent dans leurs immeubles en carrelage, avec la petite bouteille de vin chez Nicolas du vendredi, le petit sexe du samedi et la promenade hygiénique à Versailles envahi d’asiatiques le dimanche. Avec les usines Citroën, le quai de Javel avait une certaine gueule : Paris logeait encore des gens qui fabriquent des vrais trucs, dans les usines, quand le monde n’était pas partagé entre chômeurs longue durée et consultants en systèmes d’info.

Les belles usines ont été dynamitées, comme à l’Ile Seguin de Billancourt. Aujourd’hui, c’est le « Parc André Citroën ». Un parc ? Elle est bonne ! Laissez-moi rire.  

On est très loin du Lac des cygnes
Un carré d’herbe fatiguée entre deux cubes de béton minimalistes qui commencent à suinter. En fait ce parc est plus minéral que végétal. Sur la pelouse battue par les vents, des gamins racailleux jouent au foot – c’est bien le seul avenir qui les attend… Des jets d’eaux éclaboussent les mioches, et une montgolfière qui mesure la –mauvaise – qualité de l’air promène ses badauds payants avec vue sur les engorgements du periph’ ; c’est bien le seul truc intéressant de l’après midi. Le RER C glisse au ralenti sur son arc de métal, et juste derrière c’est la péniche de Thalassa qui sévit depuis 1975 dans le PAF. Cela dit c’est mieux de Koh Lanta, ou confessions intimes, spéciale « maladie de Tourette » à la frontière belge. Sur les quais, si vous avez le courage de faire votre running de cadre sédentaire, seul salut après le charolais-frites- crème brulée de la cantine, vous vous exploserez le genou le long des bétonnières de Lafarge, avant les restos chers en plexiglas. Tout au fond, la réplique de miss Liberty se demande ce qu’elle fout là au lieu de toiser les rescapés de pogroms d’Ellis Island.

Ce parc est à la nature ce que Fukushima est au nucléaire
Et j’ai oublié l’essentiel : Sarko Street !  Au 18 rue de la Convention, c’est le QG du président-candidat pour 1 semaine encore. Avec son cortège de barbouzes à oreillette, des mecs musclés et louches qui font semblant de lire le journal, des mini-vans vitres aux vitres teintées interlopes, et évidemment ses explosions périodiques de colère syndicale réprimées mollement par des CRS-cosmonautes. Le visage photoshopé de notre Grand Leader s’étale sur une vitrophanie 4x3 qui, ô miracle, n’a jamais été profanée par qui que ce soit. Il semblerait donc que l’impopularité présidentielle ne soit qu’un mythe médiatique. Je dois reconnaître qu’il m’a salué fort civilement récemment, selon le paradigme : 1 personne – 1 voix. Je suis sensible à cet égard (mérité). Car en tant que contractuel de la fonction publique je suis certain d’être un VRAI travailleur.

Bon, si vous avez le vice de lire encore ce texte, je vous dois au moins deux trois tuyaux avant que vous ne reveniez à la médiocrité du reste du Net.

Morituri te salutant
Le Rhône est une vraie poubelle en ce moment : on y trouve de tout. Amphores, lampes à huile, statues de Neptune, même un buste de César en marbre de Phrygie, aux trais sévères et dignes. C’est l’enseignement de cette brève mais intense exposition au Louvre,  best-of des trouvailes sous-marines du musée d’Arles. Comme ça vous n’aurez pas à prendre un IdTGV à 258€ pour un Sud illusoire qui de toute façon vote le Pen quelle que soit la beauté d’une ou deux garrigues désertées. Mais si vous aviez été snob et bien avisé, vous seriez allés voir Cantona en « ubu punk » à l’Athénee-Louis Jouvet. Mais vous avez préféré un Fuxia rue des Martyrs ? J’en suis fort aise. Et vous avez eu desplaces pour Pina Bausch? Vous avez vu Cate Blanchett au théâtre de laVille? Je n'ai pas réussi. En tout cas je ne peux que vous blâmer d’avoir loupé « Oncle Vania » au Théatre des Amandiers défendue par un jeu subtil, entre rires et larmes, exaltation et désespoir, qu’on ne trouve certainement que chez Tchekhov. Ce théâtre de gauche de Nanterre est assez bon dans son genre, avec un bar à vin pas cher, une librairie de circonstance et un public « berlinois ». Ca donnerait presque envie de devenir un bobo.

A l'époque il avait l'alcool joyeux
Je ne sais plus qui disait « les bobos sont les beaufs de l’an 2000». C’était je crois le patron du Mathis Bar, cet endroit où le mojito était déjà à 18 euros en 2003, où tu pouvais croiser John Galliano roulant par terre devant une photo d’Edouard Baer sur le zinc ; le maître des lieux disais-je, le regretté Gérald Nanty, Bel de Nuit pour les intimes. Je dois reconnaître qu’il avait tort ; au moins les bobos ont le mérite d’être (un peu) bohème. Si Paris permet à un bourgeois de province en Paraboot comme moi de tenir ce genre de propos, c’est que la vie culturelle parisienne est une grande entreprise de gauchisation des esprits! Allez, retournez à vos chroniques de Libé et vos lofts du canal St  Martin ; moi je reste dans mon 15ème dortoir, et je vous salue bien bas.