samedi 20 juillet 2013

Mon top 6 des pianistes les plus sexy






Elles jouent de la musique éthérée, elles sont d’une beauté diaphane, mais elles donnent envie d'un outrage aux mœurs entre la contrebasse et la grosse caisse. Pour le dire plus poétiquement, quand elles effleurent les touches, c'est un torrent de feu qui se déverse sur votre libido modérée d'auditeur de France Musique. Le phénomène n'est pas nouveau : de Martha Argerich à Lola Astanova, du Carnegie Hall à Pleyel, les Aphrodites du solfège font des ravages.

Imaginez la scène. Vous êtes comme d'habitude au théâtre des Champs-Elysées, dans cet écrin orchestral surfait dont les capitons convoités vous ont déjà coûté un mois de salaire, entouré de croulants pontifiants, de snobs à lunettes en écailles et autres vestiges patriciens sur le déclin.

Comme d'habitude, il s'agit d'une de ces jeunes poupées russes venues abattre un 3ème concerto de
Rachmaninov, pour que déferlent les octaves sous leurs doigts déliés à l'institut Gnessine de Moscou. Ah, Rachmaninov ! La musique de ce charmant fantôme ne cessera jamais de nous accompagner dans nos rêveries de cadres frustrés. La sonnerie retentit, on coupe les Nokias, chacun se jette sur les fauteuils sénatoriaux. Sur la coupole centenaire, vous jetez un regard affecté à la bacchanale officielle du plafond, une de ces orgies tièdes sur concours à la Puvis de Chavannes, qui visaient à émoustiller le bourgeois moyen à l’entracte.

Un grand soupir, le silence, et les vents jouent les premières mesures, sous la baguette religieuse d'un Gergiev en grande forme. La créature slave se dévoile : talons aiguilles, jambes interminables, une robe échancrée qui dévoile sa féminité explosive, pulpeuse, scandaleuse : c'est la Tsar Bomba ! Elle caresse l'ivoire du Steinway à queue, le flot d'arpèges et de trilles vient naître et mourir entre ses mains de fée, qui doivent être expertes sur un terrain de jeu moins minéral. Sous sa robe provocante, vous devinez le liseré de ses bas couleur chair. Le reste de la lingerie est resté dans sa chambre au George V. Qui aura le plaisir de la partager ce soir ? Son visage félin s'abandonne lascivement à la mélodie, dont la simplicité mozartienne se mue en accords tempétueux. Ses lèvres offertes dessinent une moue indifférente. Elle vient de vous briser le cœur. Elle s'en fout.

Terrassé de désir, les reins en feu, le pantalon déformé par une crise de priapisme, vous vous échappez de la salle en panique pour vous verser au bar un Perrier à 9 € sur la tête. Le gang des pianistes fatales a encore frappé.

Sondage : si vous partiez sur une Île déserte avec 600 kg de franchise de bagages, quelle pianiste emporteriez vous avec votre Steinway à queue ?

  1. Lola Astanova

La photo se passe de commentaires. A voir ses stilettos et ses jambes de déesse, son regard mutin, son corps cambré dans des postures orgasmiques entre l'Adagio et l'Allegro, on comprend immédiatement  ce qui vous attire au concert. Son moment musical de Rachmaninov (ci-dessous) est un peu mou du genou par rapport à un Lugansky, mais étiez vous vraiment concentrés sur la partie sonore ? Elle possède en plus ce soupçon de vulgarité qui donne aux femmes russes toute leur saveur. Au moment du bis, vous aurez la gueule de bois. Depuis le paradis, Horowitz se moque de vous. Il était gay.

Lola, je n'ai pas assez d'argent pour toi, oublie moi.



  1. Martha Argerich
Attention, entre Martha et moi, c'est du sérieux. Le grand amour par écouteurs interposés. Si Liszt est Eros en personne, Martha, c'est Vénus. Le coup de foudre remonte au concours Chopin de 1961. J'ai été électrisé par son étude n°1, sa puissance, son extension, sa fluidité cristalline. En 1965, chez EMI, elle enregistra cette Polonaise op.53, comme un uppercut après 1 litre de café à Abbey Road. Ses Préludes de Chopin sont divins, des éclairs de génie, dangereux et imprévisibles. Son 3ème concerto de Rachmaninov, à la fois limpide et d'une puissance atomique, volcanique ! Le finale, la plus grande décharge d'énergie positive qu'on aie jamais vu ! Elle joue comme sur un bateau ivre en pleine tempète. Et la légende d'Ondine, ses gouttelettes projetées,  la sensibilité arachnéenne decette pièce... Et quand elle joue cela, Martha renverse sa grande crinière noire, sa beauté rebelle d’obsidienne éclate au grand jour. Martha est libre, elle définit les règles, ou plutôt elle les abolit. Rien ne se compare à Martha, et rien ne lui résiste non plus, comme en témoignent tous les hommes de sa vie, magnétisés par la comète de Buenos-Aires.

Martha, je t'aime






  1. Yuja Wang

Danger, danger ! High voltage ! When we touch ! When we kiss !
Ah ! Yuja. Pourtant, je suis sévère avec tes compatriotes chinois. Je n'aime pas les clones asiatiques, et je suis très prudent devant les bêtes à concours du soleil levant. Pour moi, un pianiste à l'Est d'Irkoutsk, c'est forcément un peu suspect. J'ai été un peu perplexe pour la première fois quand je t'ai vue achever comme un robot une de ces transcriptions agaçantes de Cziffra, la Trisch-Trasch Polka. Et puis, j'ai changé d'avis. J'ai vu qu'il y avait en toi quelque chose d'horowitzien, une virtuosité diabolique, et pourtant ton pianisme est intègre, ton jeu est clair, il va droit au cœur. Tu sais sculpter de la dentelle dans les partitions les plus redoutables, comme cet apprenti sorcier de Dukas, jamais joué par quiconque. Et quand tu répètes la danse macabre de Saint-Saëns, j'ai envie de hurler tellement c'est jubilatoire !



Et en plus, on voit ta culotte.

  1. Hélène Grimaud

Attention. Madame a un jeu de génie, quelque chose d'halluciné, un élan vital irrésistible. Sa 2ème sonate de Chopin nous transporte dans un monde funèbre et exalté, elle nous glace le sang dans le finale, cette tirade dissonante, comme un souffle de vent entre les tombes, laconique, atroce. Synesthète, elle voit des couleurs quand elle joue. Elle a vécu avec les loups. Elle est insaisissable. Elle est si jolie.











  1. Khatia Buniatishvili

      Mein Gott ! Cette jeune géorgienne nous fait chavirer. Sa beauté ténébreuse et capiteuse, son humour, son charisme, sa profonde intelligence, sa part de mystère la rendent fascinante. Dans un de ses premiers albums, elle s'attaque au Liszt faustien, avec une sonate en si possédée, poème démoniaque de 30 minutes, un monument où viennent s'exprimer toutes les contradictions intérieures de Liszt. Son jeu est intense, elle fonce, elle prend des risques, mais elle sait être contemplative quand il le faut. Et le petit film arty de lancement de son album Liszt est délicieusement romantique.

Katia, tu passes quand à Kalrsruhe ? 




  1. Valentina Lisitsa

Je veux finir avec ma sorcière blonde préférée, la fascinante Valentina. Certes son visage n'est pas angélique comme certains mannequins des triples croches. Mais elle a un charme fou. Son jeu est titanesque, sa technique, redoutable. Elle peut s'attaquer à toutes les faces Nord du répertoire, du Scarbo de Ravel à la Campanella de Liszt. Sa paraphrase sur des thèmes de Don Juan ne cessera jamais de me fasciner. Et en plus, elle est cool : elle joue dans la rue pour les passants sur des vieux pianos désaccordés, elle fait des events hype au Wanderlust... c'est la reine de Youtube et des réseaux sociaux. Et tant que je la verrai enchaîner un passage nocturne de la Totentanz avec une terrifiante reprise du Dies Irae, sans la moindre grimace, comme un parcours de santé dans la forêt de Fontainebleau, je n'oserai plus me plaindre de ma condition de serf du pack Office. Mes doigts ont moins mal qu'elle quand je traduis des mailings, mais la musique qui s'en échappe est nettement moins douce, au désespoir de mes collègues.






jeudi 11 juillet 2013

Quand j’entends le mot culture…

...je sors mon clavier ! N’y voyez pas une référence à ces expositions contestables des années 30, quand les artistes d’avant-garde recevaient un accueil assez tiède de la part des autorités compétentes. Bourgeois de province déclassé, patron potentiel des arts et des lettres, pacifique esthète de salon, je ne saurais finir cette phrase autrement.

Je vais donc vous parler du ZKM. Non, ce n’est pas une maladie vénérienne ou une section du plan comptable estonien, mais le centre sur la technologie des médias et l’art de Karlsruhe (Zentrum für Kunst und Medientechnologie). Un OVNI culturel qui squatte une ancienne usine de munitions, un gigantesque labyrinthe de coursives et de balcons métalliques subventionné rempli d’expositions foisonnantes sur des thèmes aussi fédérateurs que l’art vidéo asiatique ou les jeux vidéo des seventies.

Un endroit improbable avec son cube acoustique géant pour concerts dissonants, ses auditoriums où des philosophes clodos et d’anciens beatniks viennent évangéliser les spectateurs d’Arte, et sa cafète qui sert des spätzle au fromage tout à fait passables.





Je viens d’y faire un saut et je n’ai pas été déçu. L’exposition « Total Accomplishment » de Matthew Day Davis est d’une grande puissance visuelle. C’est une évocation de l’apocalypse nucléaire, et de sa place dans l’inconscient collectif pop aux Etats-Unis. L’ensemble fait froid dans le dos. Nous sommes accueillis par la réplique du cockpit du bombardier d’Hiroshima, rempli d’organes en plastique, piloté par un squelette fluorescent. Ce macabre fuselage lustré se détache sur une immense fresque stellaire couverte de galaxies étincelantes. L’Apocalypse mène-t-elle à la communion cosmique ? Un plan de Paris en bois consumé au chalumeau et une vidéo très didactique sur la puissance de destruction des bombes H de la guerre froide achèvent le visiteur en quête de distraction du dimanche. Vous apprendrez notamment que la Tsar Bomba soviétique, testée au-dessus de la Nouvelle-Zemble, pouvait anéantir toute forme de vie en Ile de France, en quelques minutes. Vladimir, tu as encore les clés ?





Si vous voulez « chiller » ou faire une « date » ludique et digitale (dans le sens de « numérique »), allez plutôt voir l’exposition "ZKM Game Play", très réussie, comme un écho à l’expo  "Game Story" de 2011 au Grand Palais. Elle propose tout d’abord une histoire pittoresque des jeux vidéo, des pixels bruts de Pong et Pac Man à Assassin’s Creed qui voltige sur les coupoles de Constantinople. Vous frémirez de nostalgie devant vos anciennes Game Boy et MegaDrive, lourdes comme des parpaings de plastique… vous pourrez même jouer à Tetris et Mario World, délicieuse régression ! Le jeu vidéo comme utopie, univers onirique, modélisation d’un monde fantasmé, corpus de règles ludiques à respecter, mais aussi comme média, et comme œuvre d’art pop, audacieuse ou provocatrice. 

Certains jeux originaux sont dévoilés, comme la « PainStation » inflige ainsi au joueur malchanceux des coups de fouet, chocs électriques et brûlures ! Un autre jeu, moins drôle, vous met dans la peau d’un clandestin tentant de survivre à la traversée du Sahara. Nous retrouvons ici cette tendance des « Serious games », des jeux utilisés pour former, apprendre ou sensibiliser. Clin d'oeil, le jeu "Long March : restart" avec son graphisme 16 bits à la Street Fighter II, qui nous montre des commissaires de la révolution en train de lutter contre les capitalistes et les canettes de Coca-Cola. Les jeux vidéos en tant que pop culture ont eu une influence notable sur les artistes, comme le montre par exemple le pixel art ; ils sont une branche de l’art vidéo devenue autonome.



D’ailleurs, une exposition d’art vidéo asiatique fait actuellement rage au ZKM. Elle est attrayante à plus d’un titre, et pas uniquement pour ses soldats coréens camouflés en bouquets de fleurs évoluant au ralenti (des canons sous des fleurs, disait Schumann des polonaises de Chopin, belle oxymore, clic clic #éruditiongratuite). Ne me demandez pas pourquoi, le ZKM héberge environ 10 expositions en même temps. C'est incompréhensible.


Enfin je ne peux pas prendre congé de vous sans vous parler de l’exposition Babel World, et ses visions de cauchemar d’une mondialisation chaotique et inhumaine. Les fresques de Du Zhenjun, patchwork effrayant de buildings démesurés, d’éléments architecturaux, de milliers de photos d’hommes et de femmes mélés avec virtuosité dans une foule informe, nous offrent une lecture postmoderne du mythe de Babel. Ici, la Tour s’élève comme un monstre de béton qui écrase des foules noyées dans un chaos urbain d’émeutes, de ravages, d’inondations, de restaurants chinois, de panneaux d’autoroute allemands, de façades haussmanniennes, de colonnes romaines… un immense chaos postmoderne (comme le blog de votre serviteur), qui nous rappelle une vérité : la mondialisation écrase les peuples et ravage la planète. L’homme qui a voulu se faire Dieu tout puissant est puni pour son orgueil par une vie misérable dans des mégapoles sinistres, et la dernière fresque montre la Tour maudite, Babel, hideuse, ravagée, qui s’effondre par pans entiers sur une colonie d’hommes-cafards. Une vision juste du 11 Septembre ?

Un écho lointain...



L’exposition sur Allen Ginsberg et ses potes beatniks Burroughs  et Kerouac est assez décevante. Quelques photos, quelques textes, une ou deux vidéos,  entre Bob Dylan et une escapade à Tanger, pas grand-chose à se mettre sous la dent pour comprendre ces clochards célestes, marginaux pacifiques, contemplatifs et désabusés, qui ont consumé leur vie dans le bourbon comme Kerouac et rêvé les mots comme des surréalistes, sur les rythmes syncopés de Charlie Parker. Je vous conseille plutôt de regarder le documentaire sur Arte, et de relire On the Road. Peut-être l’exposition au centre Pompidou de Metz sera-t-elle plus intéressante ?









S’il vous reste un peu de temps (après tout vous avez été assez fous pour finir cet article), jetez un œil sur cet artiste : Manfred Mohr. Un pionnier de l’art géométrique par ordinateur, dont les compostions fascinantes de pureté et de complexité mettent l’entendement à l’épreuve… comme un fils illégitime de Mondrian et Miro qui aurait fait un stage chez IBM en 1973.










Allez, vous m’avez déjà fait traverser trop longtemps votre cortex endolori. Je vous rends vos méninges, et retourne à mon TGV Est qui avale la Lorraine à 320 à l’heure. Bon vent !


mardi 2 juillet 2013

Éloge du sauna



Vous m’avez manqué. Depuis ma terre d’exil, sur les rives boueuses du Rhin, entouré de programmeurs gothiques, d’écolos à vélo et d’hirsutes dévoreurs de saucisses, j’ai plus d’une fois pensé à vous. Je me suis égaré dans la symétrie maniaque de Karlsruhe, son plan circulaire qui rayonne comme un immense cadran solaire, son château sans grâce qui tourne le dos à la ville,  sa cour constitutionnelle qui gouverne l’Europe, cachée dans les échafaudages… Le matin, quand le soleil se lève honteusement sur les bordels de Durlacher Tor, je saute dans une chemise usagée, j’attache compulsivement mon badge, j’engouffre deux bretzels devant l’université, et mon tramway jaune serpente paresseusement entre les colonnades classiques de Weinbrenner et les façades couleur gâteau framboise de Marktplatz.

Je suis fasciné par l’obélisque bordé de griffons aligné sur le mausolée du père fondateur de la ville, cette pyramide maçonnique de grès sombre. A moins que ce ne soit de l’égyptomanie ? Pas assez ésotérique en tout cas pour les punks - les derniers du monde - qui descendent des bières avachis sur son plan incliné. Ils ne troublent pas le repos de Karl – seine Ruhe. Au loin, derrière la cheminée en céramique des anciens thermes, on devine les premières collines verdoyantes de la Forêt Noire.

Le tram évite les cratères du métro en formation, traverse la Kriegstrasse (rue de la guerre), bien plus longue que la Friedenstrasse (rue de la paix), cahote vers le Sud-Ouest et ses tours soviétiformes bordées de pelouses grasses où batifolent des lapins en chaleur. Un skate park bon enfant et une piscine géante : je suis arrivé au bureau. A voir cette esplanade de béton brut, on se croirait en Ukraine mais en réalité c’est la région la plus riche d’Allemagne. L’immense logo bleu et blanc de mon employeur me regarde d’un œil amusé tandis que je me hâte là où se déploie mon temps de cerveau disponible : mein Büro. L’odeur du café flotte dans les étages, et la moquette amortit mon pas lourd. La journée commence. Comme j’ai de la chance d’avoir des collègues qui supportent ma logorrhée verbale, mon humeur bipolaire, mon humour édifiant, ma compétence aléatoire, et par-dessus tout, mes remarques éminemment inutiles !

(…) Ma journée ? Elle est déjà terminée. Déjà ? Oui, les Allemands n’ont pas ce culte de la présence qu
i conduit tant de couples parisiens à la rupture et au whisky d’appartement. Je vais pouvoir me consacrer à mon activité favorite, que j’ai presque poussée jusqu’à l’overdose : les bains.

Les bains ? Oui, les Allemands, ce peuple de nudistes, ont poussé le fanatisme thermal à des extrémités que nul ne peut se représenter. Ici, nous ne sommes pas réconfortés par le soleil maternant de la méditerranée, sa lumière dorée qui irradie tout, sa chaleur écrasante qui fait éclater les pierres… Nous sommes loin des ruines de Tipasa où Camus célébrait ces Noces de l’homme et de la Terre, entouré d’oliviers plongés dans l’azur profond.

Ici, c’est plutôt un divorce permanent : la terre est grasse, le ciel bas, le climat calamiteux. Les hivers plongent le plus robuste des buveurs de Pils dans une torpeur mélancolique. Le manque de lumière est sur le point de nous faire sombrer dans l’alcoolisme, il faut faire quelque chose.
Les Allemands ont trouvé la solution : le sauna.

Car je veux chanter ici le geste et l’esthétique du sauna, ses rituels codifiés comme une chorégraphie de la sudation, son utopie naturiste, sa réalité voyeuriste, et finalement, son résultat : un sentiment d’intense bien être suivi d’une mycose des pieds trois mois plus tard.
Le sauna ? Cette enceinte nordique sacrée où l’ouvrier et le juge, le chômeur et le rentier, le gros tatoué et la strip-teaseuse piercée fraternisent ensemble, unis dans la sueur, nus dans cet Eden chauffé à blanc, l’œil fixé sur les pierres brûlantes et le sablier salvateur !

Le sauna, ce délire de finnois, cette cabane de Carélie qui nous chante un étrange Kalevala !


Le sauna, c’est l’Aufguss. Prouesse physique, ce morceau de bravoure tient à la fois de la corrida et du
show de GO du Club Med. Aufguss signifie humidification. Un type en tongs et gilet fluo entre dans la pièce brûlante, avec un immense seau rempli d’eau parfumée. Il dégaine sa louche : c’est le signe qu’on va déguster. L’eau crépite sur les pierres chaudes, et ce cinglé agite une serviette qui tournoie furieusement, nous expédiant Ad Patres dans des volutes de vapeur à 100°. Ca s’évapore, la sueur perle sur la peau, le smicard à la serviette rit et hurle, il débite du babil badois, c’est l’enfer de Dante ! Deux fois, trois fois, c’est extrême, des ruisseaux s’écoulent de mon front sur ma serviette écarlate, tachant le nom des thermes brodé dessus : « Europabad ». Mon voisin me passe un bloc de glace. Il fond sur mon cou et le donne l’illusion de la fraicheur. Terrassés, assommés, nous sommes fascinés par la virtuosité de ce desperado, qui frôle la crise cardiaque pour brasser de la vapeur 5 fois par jour. Sortir maintenant du saune serait une trahison pour lui. Une révérence, des applaudissements : l’Aufguss est terminé. Il est lessivé, nous sommes cuits.


Une douche froide, un bain glacial, et je m’étends, frissonnant, sur mon transat mou. J’oublie le temps et les tracas du bureau. Etouffé par les vitres, me parvient au loin le chant de la voie rapide, et je me plonge dans la lecture du Nouveau Détective. Une salade grecque m’attend au bar.


Finalement, l’Allemagne, c’est pas si mal.