mercredi 31 janvier 2018

Souvenirs de la côte Amalfitaine.




Sous le soleil timide de décembre, j'arpente avec ma mère les ruelles étroites de Ravello. Ce village perché au dessus des vallées d'orangers et de citronniers, surplombant Mare Nostrum, est sans aucun doute la perle de la côte Amalfitaine. Dans les superbes jardins de la villa Rufolo, qui auraient inspiré à Wagner les jardins de Klingsor de son Parsifal, je m'égare au milieu des roses et des lauriers, des bosquets soigneusement taillés. Entre deux coupoles d'une église et un pin parasol, le bleu profond de la mer, et le ciel à l'infini.

La côte amalfitaine est un des plus beaux endroits au monde, certainement, mais un des pires enfers pour les automobilistes. Les routes sont affreusement sinueuses, les conducteurs nerveux ; le simple passage d'un bus peut virer à la partie de Tetris en version routière, le vide de la corniche en bonus. Mais ces trajets récompensent le touriste téméraire. D'immenses montagnes tombent dans la mer, et quelques villages aux maisons bariolées tentent de s'y accrocher. Amalfi, la fière république maritime qui n'est plus que l'ombre de sa gloire passée, exhibe fièrement sa cathédrale aux réminiscences byzantines. Positano est un kaleidoscope de couleurs : demeures jaunes, rouges, orangées sur les flancs hostiles de la montagne si escarpée.

La veille, j'ai découvert des maisons romaines mystérieuses, entièrement ensevelies et retrouvées telles quelles avec leurs colonnades, leurs mosaïques et salons d'apparat, leurs bassins et leurs thermes. Je me dis que les patriciens devaient se la couler douce à Stabies. A Herculaneum, c'est différent, une petite ville de pêcheurs avec quelques maisons bourgeoises, excavée en plein cœur d'une banlieue napolitaine ; un trou de 30 mètres de profondeur qui révèle les secrets de la petite cité piégée par le Vésuve en 79. Demeures patriciennes, auberges, autels et basiliques, fontaines et latrines, je suis transporté dans l'empire romain, et je compatis devant les centaines de squelettes des malheureux qui ont tenté d'échapper aux nuées ardentes en se cachant dans des hangars. Pour remonter le temps, il suffit de descendre quelques marches.


Je reviendrai à Naples car sa baie me fascine ; la prochaine fois, j'irai à la rencontre de ses îles, Procida et Ischia, et je m'étendrai sous la lumière dorée du Sud qui permet d'oublier tous les tourments.

mardi 30 janvier 2018

Pourquoi lire Proust ?




Je me souviens encore de la tête de mes amis quand je leur ai dit que j'attaquais la "Recherche" de Proust : un mélange de compassion et d'effroi. "Mais serais tu devenu masochiste ? Ou définitivement snob? Bon courage, vieux ! "

Pour ces esprits pourtant raffinés que je compte parmi mes amis, Proust serait avant tout ce chroniqueur mondain aux phrases interminables, dont la sensibilité maladive lui a permis de noircir 7 volumes en parlant uniquement de salons, de thés l'après midi en aristocratique compagnie, de stations balnéaires huppées et leurs hôtes illustres, le tout dans une ambiance d'inaction totale et donc forcément soporifique.

Je veux rendre ici justice au génie de Proust. Si vous voulez de l'action, du sang et des explosions, peut être feriez vous mieux de vous tourner vers Guillaume Musso ou Netflix. Proust est en effet une plaque photosensible qui a su fixer avec une subtilité et une finesse absolue le tempérament d'une époque, son Zeitgeist, et le milieu grand-bourgeois dans lequel il a été immergé comme jeune rentier désoeuvré, avant de s'enfermer pour écrire.

Si la littérature est un effort visant à sauvegarder définitivement, contre l'oubli, un monde voué à chavirer et à disparaître à cause de la mort de ses protagonistes, alors la Recherche est de la plus haute des littératures. Précisément parce qu'elle saisit ces petits riens, ces millions d'impressions presque imperceptibles, ineffables, ces dialogues entre des comtesses, le sentiment ressenti devant une humiliation mondaine, la vie des cocottes entretenues et de leurs riches patrons, une soirée dans une loge de théâtre, un monde disparu que Proust met une application totale à ressusciter. Pour retrouver "le temps perdu" : le temps qui s'écoule inexorablement et nous ensevelit dans l'oubli, que Proust se propose de retrouver, en peignant des décors,  des portraits psychologiques et des traits d'esprit avec une précision quasi maniaque.

La Recherche est aussi un grand livre sur l'art. La fameuse sonate de Vinteuil, compositeur imaginaire, est un hybride de Franck et de Saint-Saens, et Proust décrit magnifiquement les impressions et les couleurs de cette musique jouée dans un salon. Elstir, peintre impressioniste imaginaire, établi près des falaises de Normandie, le fascine. Mais à chaque page surtout, on trouve des références à Wagner, Liszt, Giotto, Guillaumin, Auber, Ingres, Zola, Balzac, chaque scène étant prétexte à un parallèle avec la musique ou la littérature de son temps; la peinture italienne vient étayer les sentiments amoureux.

Odette trouve grâce aux yeux de Swann car elle ressemble à la fille de Jéthro, dans la fresque de Botticelli. Au début il trouvait Odette plutôt fade, c'est sa ressemblance avec Botticelli qui lui révélera sa beauté. De même, la Sonate de Vinteuil, étroitement liée à sa rencontre amoureuse, évoquera pour Swann à jamais son amour pour Odette.

Je reconnais que la difficulté de Proust réside dans le fait que sa narration n'entraîne pas une progression dramatique, ou des actions spectaculaires. Proust a recréé patiemment, telle une cathédrale de souvenirs, un monde évanoui, délicieusement suranné, le sien, pour nous passer le témoin au XXIème siècle et que nous n'oublions pas, peut être, l'importance du souvenir et de la lenteur délicieuse.

C'est pourquoi j'aime me promener avec Proust du côté de Guermantes, ou dans la forêt près de Combray, quand le soleil couchant vient révéler la beauté mystique des clochers émergeant des arbres. J'aime arpenter avec lui les immenses allées de ce monde aristocratique disparu, et la complexité byzantine de leurs amitiés, traîtrises, us et coutumes, comme le ferait un anthropologue possédé par une seule idée : écrire pour dire avant que tout ne s'effrondre.