mercredi 31 octobre 2012

Moos, le troubadour de l'impossible




Aujourd'hui je souhaite rendre hommage à un ovni de la chanson française des nineties, une météorite trop vite consumée, un homme dont le talent lyrique ferait passer les odes de Lamartine pour un tube de Ricky Martin. Un vrai poétique loveur a mi chemin entre Paul Eluard et Jamel Debbouze, avec une pointe d'accent toulousain.

Il s'agit du grand Moos. Vous allez me dire que je tire sur une ambulance ? C'est faux ! Je dirais plutôt que j'allume une baraque à frites avec un missile nucléaire, ou que je finis un grabataire au lance-flammes. Ne le plaignez pas, il a quand même réussi à vendre un million de disques, à l'époque où les connexions Internet ne permettaient pas de faire subir aux œuvres boiteuses le piratage qu'elles méritent.

Si, si, vous vous en souvenez. C'était l'été 1998. Vous tentiez de réviser le bac français au lieu de mater Roland Garros. Clinton était empêtré dans l'affaire Monica Lewinsky, la BCE était crée, et la crise asiatique battait son plein. Bref, les gens avaient besoin de se détendre.

Le moment idéal pour Moos, qui lance alors un genre inédit, : le Rap libertin avec son tube immortel « Au nom de la Rose ». Après tout, rien n'était impossible, après le Rap Celtique de Manau.

On est sur un terrain sensuel brûlant ou l'érotisme affleure. Dans une intro en violons synthétiques rondo-venezianesque, un feu de bois crépite (c'est la passion), et on devine dans un plan désagréable une sorte de femme qui chevauche au ralenti. Elle tombe et meurt. Inconsolable de la perte de l'Absente, Moos est prêt à se vautrer dans les vices du lupanar avec des mannequins lingerie de seconde zone, grimées comme des clowns. Moos siège, altier,, et caresse avec une sensualité fétichiste l'accoudoir d'un fauteuil Louis XV. Un regard latin de braise, et des lèvres bien charnues : il ne reste plus qu'à envoyer de la rime. La boite à rythmes commence à sévir, et des créatures lascives jettent des regards langoureux à une caméra chancelante. Elles se touchent vaguement derrière des voiles, c'est digne d'un porno soft de M6 ou d'une pub mainstream pour le parfum avec une fille de ministre. Un début d'orgie à Vaux-le-Vicomte, dont le climat musical évoquerait le rayon frais du marché U, plus qu'une toile de Boucher. En termes de bide, le plus comparable serait la piteuse comédie musicale « Mozart », et son esthétique ba-rock (sic) très discutable.




Si la chanson commence sur une strophe assez sobre,

Au nom de la rose
Mon amie la femme
Prête-moi ton corps
Ouvrez vos maisons closes
A celle qui descend du ciel
Et que j'adore


« Mon amie la femme », c'est très Châtelet les Halles, non ? Mais les choses se dégradent assez vite :
(...)

Habite leur corps
Tu as les plus belles croupes
Que j'ai posé sur un lit de cristal
Habite leur corps
Nous allons être seul couple
Qui va oser se prendre avec des griffes de métal


« Des croupes sur un lit de cristal », et « se prendre avec des griffes de métal ». Franchement, l'inconscient de ce type est un sombre cloaque, ou alors sa vie sexuelle est plus tordue qu'un film de David Lynch

(…)

Ma préférée reste celle ci :

Matérialise-toi
Dans un moule de chair
On réalisera
Ce qui t'es le plus cher

Sans commentaires.

Moos est à la musique ce que la fanfare municipale de Rodez est au Berliner Philharmoniker. Une insulte à la beauté. Mais il n'est pas dénué de charmes. Pourquoi a-t-il si rapidement décliné, alors que notre trouvère libertin était au firmament ?

Il existe une explication radicale. Un faux pas fatal, celui qui vous expédie du Capitole à la roche Tarpéienne, comme les Bananas sont cuitas de Philippe Risoli, ou les gants de boxe de Paul Amar. Ce détail sans mauvaises intensions qui tue définitivement une carrière.

Le péché qui provoqua la chute de Moos a un nom, celui de sa dernière chanson : Délicate Chatte. Un tube d'une d'une classe internationale.

Cette fois ci Moos est allé trop loin pour la ménagère de moins de 50 ans. Trop explicite pour les heures de grande écoute. Et pourtant ce clip est absolument mythique, il contient tous les ingrédients pour devenir un collector.


Je ne sais pas ce que je préfère dans ce clip. Le pseudo beat RnB jovial symptomatique de cette fin des 90's (Bambi Cruz, Dabbatchaz, Alliance Ethnik) ? Cette brune pulpeuse attachée à un lit dans un hôtel de passes, avec un travelling inutile sur la lampe Ikea renversée par terre, signe d'amour vache ? Ou Moos lui même, menotté dans une vieille américaine entre deux flics ripoux aux cheveux gras. Il porte un couvre chef indéfinissable, une sorte de bonnet de bain marron en tissu. Dans ce tunnel de 22km où été manifestement tournée la scène, la même brune pulpeuse que celle de l'hotel lui jette des regards scandaleux par le miroir de son pare-soleil en croisant et en décroisant ses jambes. Et on la retrouve sur le lit en petite tenue, très occupée à se frictionner lascivement des épaules au nombril. Il faut reconnaître qu'elle est assez bonne. Pendant ce temps, Moos se fait salement casser la gueule par les ripoux, mais on ne comprend pas, il sourit ! Masochisme, simple clin d'oeil à la violence policière ? Cette question restera sans réponse.


Evidemment, les paroles de « Délicate Chatte » atteignent des sommets de raffinement. Le titre de cette chanson constitue en lui même un hymne à la beauté, une invitation au voyage.

J'ai tant rêvé de vous (de vous)
Que je vais et je viens en somnambule

En somnambule ! Il faut aller voir un sexologue mon vieux.

J'ai tant pensé à vous (à vous)
Que mes paroles ne sont que lapsus
Vous qui n'en savez rien (oh ooooh)
Je meurs d'envie de pénétrer votre bulle (…)

Je me refuse à commenter ce passage dantesque.

Venez à moi
Je connais l'endroit
Où l'amour est roi
Il n'en tient qu'à vous

Je crois qu'on a tous idée de l'endroit dont parle Moos. Il ne s'agit certainement pas du pays qui te ressemble, mon enfant, ma sœur. Je crois qu'il s'agit plutôt de plomberie et d'évacuation des eaux usées.

Le reste de son album a sombré définitivement dans les limbes de la mass culture aux côtés des singles de Licence IV, Garcimore, Jordy et Patrick Topaloff.  Son titre improbable, « Le crabe est érotique », est-il un hommage aux surréalistes? Quelques chansons au nom inquiétant comme Au bout du cigare (Affaire Lewinsky?), Comme elle se touche ou encore Tango gigolo ne suffiront pas à l'exhumer, ne serait-ce que par une recherche Google.

Vous l'aurez compris, Moos est un poète maudit, mais plus maudit que poète.

Aux dernières nouvelles, il tiendrait une crêperie dans la région de Toulouse. Ou, selon les sources, une boite échangiste.

Salut, l'artiste.


lundi 29 octobre 2012

La “French Touch” : Back to the nineties


Quelques rares expositions donnent l’agréable sentiment d’être à la pointe de la tendance avec une caution artistique, tout en restant un terrain de jeu. La « French Touch » aux Arts Déco en fait partie : une pointe de nostalgie des nineties, une petite madeleine de Proust électronique, idéale pour un after-work en bonne compagnie, avant un dîner au Saut du Loup.

La French Touch, c’est la génération X des DJ français. Le Mur est tombé, le soleil se lève sur des années 90 finalement assez euphoriques, enivrées par l‘utopie du Cyberspace. Dans ce Paris en manque d’extase musicale, c’est la montée en puissance de petits génies français sur la scène de la house et de l’électro. Des pionniers comme Air, Daft Punk, Alex Gopher ou Etienne de Crécy, enfants terribles de bonnes familles de l’Ouest, partis à la conquête du monde avec leurs platines. L’expo nous raconte comment s’est créée une alchimie unique entre ces DJ en rupture avec le star system et de jeunes graphistes à la marge, pour donner naissance à un foisonnement créatif, décalé, ironique. Les pochettes de disque, c'est de l'art pour se marrer. Et les flyers de soirée, il faut pouvoir les lire bourré. Ça tombe bien, avec l’arrivée du Mac et de la suite Adobe, chacun pouvait devenir un Rembrandt du graphisme home-made, sans passer par les grands labels ou les agences. Le résultat saute aux yeux.




La scénographie complètement barrée, entre le squat haussmanien et le nightclub berlinois  est signée par le collectif 1024, des architectes VJ auteurs du Ghetto Blaster géant des soirées Boom Box et Square Cube, et du Bal Blanc de l’installation Monumenta 2012 de Buren  au Grand Palais. Vous le saurez à l’avenir.

D'abord, les flyers pop de La Shampouineuse aux Folies Pigalle, et les photos volées glauques d’Agnes Dahan pour les soirées Respect au Queen. Des pochettes décalées qui remettent en scène des films de blaxploitation des seventies ou des vieilles pubs pour les clopes, ringardissimes. On croise au passage l’album Paradise de Bob Sinclar, beaucoup plus pointu que ses productions actuelles. Nostalgie, quand tu nous tiens.







Parmi les petits chefs d’œuvre pop, on peut citer la pochette de Super Discount d’Etienne de Crécy, signée H5, auteur également de clips d’Alex Gopher ou Massive Attack, et de l’expo Hello™ que je vous invite à allervoir. Au passage, saluons le travail de « Restez vivants » pour Bang Bang, de Sylvia Tournerie pour Bosco, d’Hot Spot pour la « Cloud making machine » de Laurent Garnier. On ne peut pas rater la magnifique créature Art nouveau/Hawaïen/Girly qui accompagne la BO planante et élégante de Virgin Suicides par Air.









Personnellement j’adore les vinyls de Cassius par Alex Courtes. Le clip de « Cassius 99 »,  réalisé avec Martin Fougerol, est tout simplement stupéfiant, halluciné, d’une richesse visuelle jubilatoire. Cette course de motocross au milieu de flèches fluo pop donne le frisson. Et c’est LE son de 1999.


On n’est pas étonnés qu’ils aient signé également le clip d’If You Ever Feel Better de Phoenix, une soirée underground dans les ruines antiques, et le cultissime radio number one d’Air, Un clip post-apocalyptique qui se termine par une bataille de bouffe entre deux yuppies aux gestes de robots.

Ce passage par les clips est toujours formateur. Alex Courtès fait aujourd'hui des films d'horreur. Avant de devenir un réalisateur bankable à Hollywood, Michel Gondry a fait ses premières armes dans le clip de « Music Sounds Better withyou » de Stardust, profondément kitsch, désuet, texan. Le groupe était un « one-shot » avec notamment Thomas Bangalter des Daft Punk.

Quelques pochettes et flyers :



En résumé, même si vous avez passé les années 90 à vous faire racketter vos Pump Reebok, à collectionner les goodies Jurassic Park, ou à écouter les valses de Chopin avec votre maman, en espérant que votre amour de jeunesse imaginaire vous envoie des lettres imprégnées de parfum, vous serez cool rétroactivement aux yeux de vos proches en allant voir l’expo « French Touch ». Nocturnes le jeudi, avec un DJ set le 15 Novembre.

Bon vent !




mercredi 24 octobre 2012

Hello™, brave new world



Amis hype de la première heure, marketeurs 2.0, nostalgiques de Superdiscount, papes du Pantone, idolâtres de la pure police Helvetica, petits rebelles de la génération 99 Francs-No Logo, kinect-geeks et electro-freaks, ou si tout simplement vous haïssez comme moi le chat inquiétant d'Hello Kitty, vous avez tous une raison d'aller voir la géniale expo Hello H5 à la Gaité Lyrique.


Dans cet ancien opéra devenu un centre de création numérique soutenu par la ville de Paris, se tient en ce moment une expérimentation extraordinaire : la création d'une marque imaginaire totale, puissante, impactante et légendaire, mais fascisante, utopique, creuse et finalement vide, Hello.




A l'origine, on trouve le collectif de créateurs H5, auteur des meilleures pochettes d'albums de la French Touch electro dans les 90's, comme Air ou Etienne de Crécy, célébré actuellement dans une expo dédiée aux Arts Déco. H5, ce sont aussi des petits génies de l'animation, récompensés par un Oscar pour leur génial Logorama, un court métrage très décalé mettant en scène une course poursuite policière dans un Los Angeles peuplé de logos vivants. H5 est certes une  belle machine à créer des rêves publicitaires pour les plus grandes marques, mais ils sont aussi capables d'une ironie et d'un cynisme typiques de la démarche Pop Art.

C'est l'objet de l'exposition Hello H5 : à travers une série d'installations artistiques, créer un univers symbolique extrêmement riche autour d'une marque fictive, fédératrice (car Hello vous dit bonjour et invite au dialogue), qui suscite l'adhésion et la sympathie. Puis effrayer le visiteur pour dénoncer la manipulation publicitaire. Hello possède une légende fabriquée, avec un storytelling très élaboré sur la saga de la famille Halloway, une dynastie d'industriels américains fondateurs d'un empire né à Chicago en 1812. Hello™ est une grande utopie, un récit exemplaire, une entreprise et une marque, même si les produits commercialisés importent peu. Ce qui compte, c'est qu'au fil des oeuvres, des logos, des affiches détournées, des puissants hymnes électro composés par Alex Gopher à la gloire de la marque, on se sent grisé, enivré, envahi par une sensation jubilatoire, devant la force de cette identité ! 






C'est le moment d'investir sur l'Aiglon



Et c'est là que cette exposition révèle un profond malaise : Hello n'est rien d'autre qu'une coquille vide, qui déroule des slogans à la fois puissants et vides, qui pourraient être ceux d'Apple (Think Different) ou de Nike (Just do It). Le slogan de l'expo, "In brand we trust", n'est pas plus inquiétant que celui d'Henkel, "A brand like a friend". Au nom de quoi une marque voudrait être mon amie? L'autre slogan d'Hello, "Ensemble pour un monde qui vous ressemble", n'est pas beaucoup plus rassurant.

Le logo d'Hello est un aigle "tout rond, roi des animaux devenu puissant doudou". Un aigle qui pourrait être Hello Kitty, mais aussi une réminiscence de l'aigle nazi (Heili-Hello), l'emblème de l'US Air Force, de Napoléon ou des légions romaines. Un oiseau de proie qui plane comme une menace. L'aigle martial des Halloway qui nous accueille dans l'entrée évoque davantage les anges franquistes de la basilique de Los Caidos qu'un animal de dessin animé. D'ailleurs, les croquis fictifs, projets de pavillons Halloway pour l'exposition universelle de 1893, réalisés avec une maestria et un réalisme étonnant, donnent des frissons dans le dos : ce pourraient être des esquisses d'Albert Speer pour Germania, la capitale du Reich. Ou un des cauchemars futuristes d'Enki Bilal. Une utopie, U-topos, une ville de perspectives monumentales surmontée par un rapace gigantesque prêt à enserrer les masses. 




















Hello est inquiétant car on peine à en saisir les contours. Je donne la parole à la commissaire de l'exposition, Charlotte Camille : 

"Ancrée dans la légende des siècles, (...) Hello s'adresse autant au consommateur qu'au citoyen. Un mélange d'Etat Providence et de providentiel service-client.
Hello™ est une osmose de la sphère politique et marchande. 
Hello™ est jaune et bleu, comme le soleil et le ciel que tout le monde aime. 
Hello™ est un slogan qui rassemble à tout prix, une communauté se jouant de la diversité. 
Hello™ est une promesse de bonheur. 
Hello™ est une coquille vide, une religion sans message, un candidat sans programme, un faisceau d'informations sans conséquences. Un territoire de néant où la communication se déploie en flux continu. La communication remplace le message."

C'est orwellien. On se croirait dans 1984.



Hello™ Mondrian
Hello™ cherche à nous rassurer pour nous dominer. L'agence H5 sollicite notre imaginaire collectif pour nous interpeller sur le sens des mots et des images, et sur l'entreprise de manipulation  que constitue le marketing. La marque Hello™ possède une part d'ombre et d'inquiétante étrangeté, comme cet aigle géant qui nous regarde fixement, comme ces oeufs alignés, dans une sérialité "standard", comme des packshots de produits, avec les noms des cadres de l'entreprise inscrits comme des codes barres. L'installation vidéo Hello™ Genesis offre une immersion totale dans cet enfer. Dans une chambre sombre, un carillon surpuissant, comme celui de Top Gun ou du Grand Bleu, égrenne quatre notes aussi obsédantes que les cinq bips utilisés dans les Rencontres du Troisième Type (lien Soundcloud). 

Puis se déroulent des hélices torsadées : l'ADN de la marque Hello™. Les noyaux se transforment en petits oeufs bleus,qui éclosent rapidement, faisant place à une prolifération de petits oisillons, bientôt des aigles qui prennent leur envol et s'entrechoquent dans un fracas assourdissant, une confrontation presque darwinienne : le rapace est né, il va pouvoir se lancer dans la confrontation violente du marché concurrentiel.



Un florilège des meilleures affiches et installations : 
















Une nouvelle molécule  : la Helloxine





















Cette exposition est donc une réflexion sur les rouages du marketing. Dans l'installation Hello™ Strategy, nous sommes accueillis dans une immense salle de réunion terne et blanche, conseil d'administration où sont projetés des slides sur les valeurs de la marque Hello™. Le fameux "Brand Book", des mots vides de sens, le brief des annonceurs pour les créatifs des agences. Ceux ci vont s'en donner à coeur joie dans une salle où sont détournées des dizaines d'affiches issues des mythes du XXème siècle : les transatlantiques, la vaccination, les marches contre l'arme nucléaire, entretenant toujours une confusion entre le corporate et la société civile. Le travail graphique est exceptionnel, de l'Art Déco au Bauhaus jusqu'au style hippie, les mecs d'H5 ont bien bossé. Pour les enfants, un jeu vidéo permet de se prendre pour un aigle ; un carnet de coloriage subversif est vendu à la boutique, sous la thématique "Le marketing est un jeu d'enfant, la politique s'apprend en jouant". Les ateliers "Capitaine Futur" de la Gaîté guident les enfants pour leur apprendre, eux aussi, à manipuler les mots et à développer leur sens critique. 



Finalement, la force d'H5 est de créer un univers auquel on croit, qui nous interpelle et nous rassemble. L'occupation est totale. Un site web a été créé, qui rassemble et parodie toutes les techniques de communication 2.0 : géolocalisation, vidéo, sondages. (Retrouvez les sur Twitter, Facebook).  Une e-boutique de goodies arty dignes de Colette a été lancée. Et surtout, on retrouve la BO de l'exposition composée par Alex Gopher, DJ Falcon et Saint Michel (http://soundcloud.com/groups/hello-remix). De l'électro de très bonne facture. Et pour couronner le tout, un festival Hello™ on stage est organisé en marge de l'expo, où vont mixer les meilleurs DJ's de la French Touch : ne manquez surtout pas, le 17 Novembre, la reformation du mythique trio Alex Gopher-Etienne de Crécy - Julien Delfaud pour la soirée Hello™ Superdiscount.


La morale de cette histoire?, Il existe un temps pour se révolter contre le système, et un autre pour se marrer sur de l'électro qui déchire. C'est bien l'ironie de l'exposition Hello™ H5 : contrairement au monde réel de la surconsommation dopée au marketing, ici tout se termine bien.





samedi 13 octobre 2012

J'aurais voulu être un artiste ! - L'expo « Bohèmes »




En ces temps où les quasi-pogroms de roms rendent les cités de Marseille plus hostiles aux nomades que l'est de la Slovaquie, je vous conseille ardemment d'embarquer dans la roulotte de pierre du Grand Palais pour un tour de piste bobo qui ne vous laissera pas de marbre.

La Bohème... C'est une chanson galvaudée de crooner arménien, évoquant la misérable vie pétrie d'espérance de l'artiste fauché en quète de gloire, dans sa mansarde mal chauffée, certes moins bedonnant que le bourgeois sous les moulures deux étages plus bas, mais avec un modèle nu plus désirable dans son lit ! C'est une classe d'artistes marginaux, heureux et mélancoliques, entre le rire et les larmes... c'est un mythe de l'art occidental né en marge d'un XIXème siècle trop industriel, celui d'hommes libres antisociaux, vivant hors des modes et des conventions, comme des Bohémiens.

Gainsborough aurait lacéré cette toile, vert de rage

L'ensemble de l'expo repose sur un mauvais usage du dictionnaire des synonymes, un lendemain de fête, à la réunion des Musées Nationaux : les "bohémiens" annonceraient en quelque sorte la vogue de la "bohème" artistique qui sévit chez nous depuis 200 ans. Cette affirmation est un peu osée : je ne vois pas du tout le lien entre les deux. Mais c'est pas grave parce que c'est marrant.

Les organisateurs nous lancent donc sur la route avec les roms, manouches, gitans, zingari, tsiganes, Egyptiens ou gipsies. Appellez les comme vous voulez, ces peuples chrétiens orthodoxes chassés par les ottomans ont déferlé dans l'Europe du XVème siècle, envahissant les toiles des artistes pour devenir un symbole de liberté, le pittoresque en plus. Dans les toiles de La Tour, De Vinci, Caravage, voleurs et diseuses de bonne aventure bernent les bourgeois imprudents. Quand l'errance de la Sainte Famille est assimilée à celle des gipsies, les vierges à l'enfant se couvrent de coiffes « égyptiennes » à larges bords, et vont avec Joseph, pieds nus sur le chemin. Des tuniques colorées, une peau halée, qui fascinent les peintres et effraient les autorités, prompts à condamner le diabolique attrait de la divination et des cartes.



Watch your back
Le bohémien est une figure de l'Etranger, libre comme l'air, proche de la nature, dans son campement de fortune, il dort au milieu de nos ruines antiques envahies par le lierre qui fascineront les premiers romantiques. Des gitanes édentées promettent la romance aux jeunes filles en fleurs de Watteau et Boucher. Au cœur de ses forêts ombrageuses, Corot esquisse une bacchanale pastorale de petites bohémiennes pourpres au son du tambourin.




Une vision un peu idéalisée de ce peuple tour à tour esclave et bouffon du roi, éternel relégué, persécuté avant de connaître la Solution Finale. Le nazisme rôde d'ailleurs autour de l'exposition : il haissait tout autant le Tsigane comme sous-homme, et la vie de bohème de l'artiste dégénéré, star de l'expo de 1937. Chanteuse, danseuse, éternelle tentatrice portée par la mélodie suave du violon et de la flûte, la bohémienne devient un mythe littéraire et musical. Carmen, la cigarière andalouse, chante dans son envoutante habanera que l'amour est un oiseau rebelle, comme sa fière beauté. L'éblouissante Esmeralda est à la fois sensuelle et pure, séductrice et digne : elle danse devant Phoebus et se refuse à Frollo, qui aurait bien commis un péché pour l'occasion.

Le GR 20 en famille
Le grand Charles leur consacre une de ses Fleurs du Mal :

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes. (…)

(…) Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.




« Art de la liberté, liberté de l'art »

Le lien est fait une fois de plus par mon idole, Franz Liszt, entre la fascination pour les bohémiens, et la « vie de bohème » du XIXème siècle.

Je vous conseille de respecter le grand Franz.


Son portrait nous accueille à l'étage, dans une salle aménagée en chambre de bonne aux murs délabrés. Le pianiste-errant, éternel nomade virtuose, était lui même un hommage vivant à cette liberté infinie de l'artiste, acclamé par les foules de villes en ville, partout chez lui sans l'être nulle part, empereur à Saint Petersbourg, prince à Paris, mais finalement simple troubadour amuseur des puissants. Il écrira beaucoup sur cette condition ambiguë de l'artiste, et sur « les bohémiens et leur musique », auxquels il consacrera un ouvrage, salué par Jankélévich. Ses « Rhapsodies Hongroises » compilent dans leur folie pianistique toute la verve, toute la séduction des musiciens tsiganes rencontrés lors de ses voyages. Bartok poursuivra ce travail ethnographique. Eloquentes et séduisantes, tour à tour pathétiques et légères, diablement drôles et épiques, ses Rhapsodies portent en elle l'ensemble du geste lisztien, une étincelle de vie et de liberté. La musique conquérante de Liszt rassemble toute la dynamique du romantisme, un élan révolutionnaire prêt à tout renverser sur son passage. Mais le romantisme, c'est aussi un culte de la mélancolie et du suicide, celui du Chatterton de Vigny, le désespoir d'une jeunesse nourrie aux exploits Napoléoniens étouffée par les prètres et les notaires de la Restauration, cette génération désabusée des Enfants du Siècle de Musset, dont la Confession est un manifeste. Combien de jeunes aristocrates européens se laisseront envahir par le doux poison du Werther de Goethe, jusqu'à la mort ?

Un petit Xanax?


Le jeune artiste dans son atelier de Géricault nous jette un regard mortellement lassé, entre un crâne poussiéreux et une palette sans ses couleurs. Nous le laissons derrière nous pour pénétrer dans une évocation de la « vie de bohème » artistique du XIXème siècle. Saluons ici la brillante scénographie de Robert Carsen, metteur en scène d'opéra, qui n'hésitera pas à présenter les toiles exposées sur les chevalets d'un atelier d'artiste, ou au milieu des tables d'un café de Montmartre.

Déception, espoir, amertume, ironie, fière insouciance, la « bohème » est une métaphore de la condition tsigane. C'est Balzac qui en donne la première définition :  

Ce mot de Bohème vous dit tout. La Bohème n’a rien et vit de tout ce qu’elle a. L’espérance est sa religion, la foi en soi-même est son code, la charité passe pour être son budget. Tous ces jeunes gens sont plus grands que leur malheur, au-dessous de la fortune mais au-dessus du destin.

Viens par ici
On y trouve pêle mèle journalistes fauchés, peintres et poètes ; relégués volontaires, clochards célestes, sublimes marginaux – prêts à toucher l'absolu dans une sous-pente glaciale, entre un matelas fangeux et un poële rempli de manuscrits raturés. Le premier d'entre eux, évidemment, c'est l'homme aux semelles de vent, Rimbaud. Ses escapades scandaleuses avec Verlaine sont présentées avec quelques manuscrits et photographies, dans une grange aux murs branlants. « Ma Bohème » retrace une de ses fugues, pour échapper au conformisme bourgeois de Charleville-Mézières (cf mon billet de blog sur les Ardennes).


Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Un passage optimiste retrace la Bohème galante, symbolisée par la Rêverie de Charles Amable Renoir.

C'est le moment de tenter un lancer de bras

Quelle fraîcheur dégage ce jeune couple, et quelle douce espérance ! Les scènes de la Vie de Bohème de Murger inspirent à Puccini son Opéra La Bohème, une évocation touchante de la condition d'artiste. Les décors de l'opéra sont exposés.

Par la voix suave de la Callas, Mimi la couturière se dévoile à Rodolpho le poète : « Mi chiamano Mimi ». Quand des scènes drolatiques mettent en scène le peintre, le poète et le philosophe faisant boire leur propriétaire pour ne pas payer le loyer, on ne peut pas s'empêcher de penser aux scènes de bouffonerie du Moulin Rouge de Baz Luhrmann.

Spectacular Spectacular
En fait le XVème c'est moins sympa














Sur le mur d'en face, la misère de l'artiste est symbolisée par la paire de chaussures la plus célèbre de l'histoire de l'art, les Souliers de Van Gogh. Abondamment commentées par Heidegger, dans son Origine de l'oeuvre d'art, ces deux godillots crottés valent bien plus que leur simple représentation : ils sont un puissant symbole de la condition de ceux qui les portent.


« Dans l’obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente et opiniâtre foulée à travers champs, le long des sillons toujours semblables, s’étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s’étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soir. A travers ces chaussures passe l’appel silencieux de la terre, son don tacite du grain mûrissant, son secret refus d’elle-même dans l’aride jachère du champ hivernal ».
Ceci n'est pas une paire de chaussures (regardez bien)

Heidegger y voyait donc des sabots de paysanne ; le critique d'art Shapiro est entré dans la controverse en soutenant au contraire qu'il s'agit des chaussures du peintre, des chaussures bien urbaines. Que sont ces chaussures au fond : une apparaition fantomatique, une inquiétante étrangeté ? Derrida siffle la fin du match : elles sont support anonyme, vidé d'un sujet absent. En gros, elles ne siginifient rien, et font parler les curieux. Le tableau rappelle aussi que quand on était pauvre, il fallait marcher, et user ses souliers. Et que l'artiste est déjà Sur la Route, comme Kerouac après lui, car la beat generation est une nouvelle Bohème. La vidéo-teaser de l'expo nous le rappelle avec humour


Enfin l'exposition devient pittoresque, et aborde le versant sympa de la Bohème qu'étaient venus chercher les touristes américains en arrivant de Roissy, et vous aussi, petits paresseux: l'ambiance des cafés de la butte Montmartre ! On retrouve Picasso, Appolinaire et Modigliani se rincant l'oeil au Moulin de la Galette, sifflant des bocks au Lapin Agile, et Aristide Bruant fait la promo du chat noir.


L'absinthe de Degas rappelle que la fée verte faisait des ravages. Verlaine finira indigent, le cerveau grillé. Erik Satie esquisse une Gymnopedie, et je m'enfuis de cette salle, car comme tous les snobs, je n'aime pas beaucoup les impressionnistes, et encore moins le kitsch rockwellien qu'est devenu Montmartre. Je me refuse donc à traiter ce qui devrait pourtant faire l'objet de ce post de blog.


Zone d'accueil des nouveaux arrivants
Les impressionistes aimaient peindre ceux qui vivent libres et au jour le jour : ouvriers, artisans et bohémiens. Ces roulottes bariolées peintes à Arles par Van Gogh, ou photographiées par Atget dans laZone, sont touchantes car elles expriment aussi la fragilité de leurs propriétaires


L'exposition s'achève par le spectre du nazisme, qui plane sur une série de toiles un peu laides de l'Avant Gardiste Otto Mueller, dont les portraits de tsiganes des balkans n'avaient pas beaucoup plus aux organisateurs de l'exposition sur l'Art Dégéneré. Certains sont toujours prêts à sortir leur revolver quand ils entendent le mot culture. Restons vigilants.

Je trouve Goebbels très sévère avec ce tableau

Il est donc temps de rendre un hommage vibrant aux Bohémiens en prenant un ticket pour cette exposition. Si vous êtes chômeurs  c'est gratuit. De mon côté, je vais aller vivre la vie de Bohème en allant dérober quelques kilomètres de câbles en cuivre au bord d'une voie ferrée. Et pourquoi ne pas estropier un petit enfant pour le faire danser à Châtelet Les Halles ? Ce serait pour le moins politiquement incorrect.

Et de votre côté, réfléchissez un peu. Si vous avez lu ce texte, c'est que vous êtes un bobo. Bourgeois – bohème ! Quelle étrange idée d'accoler ces deux mots antagonistes !

Bonne chance.