mercredi 24 octobre 2012

Hello™, brave new world



Amis hype de la première heure, marketeurs 2.0, nostalgiques de Superdiscount, papes du Pantone, idolâtres de la pure police Helvetica, petits rebelles de la génération 99 Francs-No Logo, kinect-geeks et electro-freaks, ou si tout simplement vous haïssez comme moi le chat inquiétant d'Hello Kitty, vous avez tous une raison d'aller voir la géniale expo Hello H5 à la Gaité Lyrique.


Dans cet ancien opéra devenu un centre de création numérique soutenu par la ville de Paris, se tient en ce moment une expérimentation extraordinaire : la création d'une marque imaginaire totale, puissante, impactante et légendaire, mais fascisante, utopique, creuse et finalement vide, Hello.




A l'origine, on trouve le collectif de créateurs H5, auteur des meilleures pochettes d'albums de la French Touch electro dans les 90's, comme Air ou Etienne de Crécy, célébré actuellement dans une expo dédiée aux Arts Déco. H5, ce sont aussi des petits génies de l'animation, récompensés par un Oscar pour leur génial Logorama, un court métrage très décalé mettant en scène une course poursuite policière dans un Los Angeles peuplé de logos vivants. H5 est certes une  belle machine à créer des rêves publicitaires pour les plus grandes marques, mais ils sont aussi capables d'une ironie et d'un cynisme typiques de la démarche Pop Art.

C'est l'objet de l'exposition Hello H5 : à travers une série d'installations artistiques, créer un univers symbolique extrêmement riche autour d'une marque fictive, fédératrice (car Hello vous dit bonjour et invite au dialogue), qui suscite l'adhésion et la sympathie. Puis effrayer le visiteur pour dénoncer la manipulation publicitaire. Hello possède une légende fabriquée, avec un storytelling très élaboré sur la saga de la famille Halloway, une dynastie d'industriels américains fondateurs d'un empire né à Chicago en 1812. Hello™ est une grande utopie, un récit exemplaire, une entreprise et une marque, même si les produits commercialisés importent peu. Ce qui compte, c'est qu'au fil des oeuvres, des logos, des affiches détournées, des puissants hymnes électro composés par Alex Gopher à la gloire de la marque, on se sent grisé, enivré, envahi par une sensation jubilatoire, devant la force de cette identité ! 






C'est le moment d'investir sur l'Aiglon



Et c'est là que cette exposition révèle un profond malaise : Hello n'est rien d'autre qu'une coquille vide, qui déroule des slogans à la fois puissants et vides, qui pourraient être ceux d'Apple (Think Different) ou de Nike (Just do It). Le slogan de l'expo, "In brand we trust", n'est pas plus inquiétant que celui d'Henkel, "A brand like a friend". Au nom de quoi une marque voudrait être mon amie? L'autre slogan d'Hello, "Ensemble pour un monde qui vous ressemble", n'est pas beaucoup plus rassurant.

Le logo d'Hello est un aigle "tout rond, roi des animaux devenu puissant doudou". Un aigle qui pourrait être Hello Kitty, mais aussi une réminiscence de l'aigle nazi (Heili-Hello), l'emblème de l'US Air Force, de Napoléon ou des légions romaines. Un oiseau de proie qui plane comme une menace. L'aigle martial des Halloway qui nous accueille dans l'entrée évoque davantage les anges franquistes de la basilique de Los Caidos qu'un animal de dessin animé. D'ailleurs, les croquis fictifs, projets de pavillons Halloway pour l'exposition universelle de 1893, réalisés avec une maestria et un réalisme étonnant, donnent des frissons dans le dos : ce pourraient être des esquisses d'Albert Speer pour Germania, la capitale du Reich. Ou un des cauchemars futuristes d'Enki Bilal. Une utopie, U-topos, une ville de perspectives monumentales surmontée par un rapace gigantesque prêt à enserrer les masses. 




















Hello est inquiétant car on peine à en saisir les contours. Je donne la parole à la commissaire de l'exposition, Charlotte Camille : 

"Ancrée dans la légende des siècles, (...) Hello s'adresse autant au consommateur qu'au citoyen. Un mélange d'Etat Providence et de providentiel service-client.
Hello™ est une osmose de la sphère politique et marchande. 
Hello™ est jaune et bleu, comme le soleil et le ciel que tout le monde aime. 
Hello™ est un slogan qui rassemble à tout prix, une communauté se jouant de la diversité. 
Hello™ est une promesse de bonheur. 
Hello™ est une coquille vide, une religion sans message, un candidat sans programme, un faisceau d'informations sans conséquences. Un territoire de néant où la communication se déploie en flux continu. La communication remplace le message."

C'est orwellien. On se croirait dans 1984.



Hello™ Mondrian
Hello™ cherche à nous rassurer pour nous dominer. L'agence H5 sollicite notre imaginaire collectif pour nous interpeller sur le sens des mots et des images, et sur l'entreprise de manipulation  que constitue le marketing. La marque Hello™ possède une part d'ombre et d'inquiétante étrangeté, comme cet aigle géant qui nous regarde fixement, comme ces oeufs alignés, dans une sérialité "standard", comme des packshots de produits, avec les noms des cadres de l'entreprise inscrits comme des codes barres. L'installation vidéo Hello™ Genesis offre une immersion totale dans cet enfer. Dans une chambre sombre, un carillon surpuissant, comme celui de Top Gun ou du Grand Bleu, égrenne quatre notes aussi obsédantes que les cinq bips utilisés dans les Rencontres du Troisième Type (lien Soundcloud). 

Puis se déroulent des hélices torsadées : l'ADN de la marque Hello™. Les noyaux se transforment en petits oeufs bleus,qui éclosent rapidement, faisant place à une prolifération de petits oisillons, bientôt des aigles qui prennent leur envol et s'entrechoquent dans un fracas assourdissant, une confrontation presque darwinienne : le rapace est né, il va pouvoir se lancer dans la confrontation violente du marché concurrentiel.



Un florilège des meilleures affiches et installations : 
















Une nouvelle molécule  : la Helloxine





















Cette exposition est donc une réflexion sur les rouages du marketing. Dans l'installation Hello™ Strategy, nous sommes accueillis dans une immense salle de réunion terne et blanche, conseil d'administration où sont projetés des slides sur les valeurs de la marque Hello™. Le fameux "Brand Book", des mots vides de sens, le brief des annonceurs pour les créatifs des agences. Ceux ci vont s'en donner à coeur joie dans une salle où sont détournées des dizaines d'affiches issues des mythes du XXème siècle : les transatlantiques, la vaccination, les marches contre l'arme nucléaire, entretenant toujours une confusion entre le corporate et la société civile. Le travail graphique est exceptionnel, de l'Art Déco au Bauhaus jusqu'au style hippie, les mecs d'H5 ont bien bossé. Pour les enfants, un jeu vidéo permet de se prendre pour un aigle ; un carnet de coloriage subversif est vendu à la boutique, sous la thématique "Le marketing est un jeu d'enfant, la politique s'apprend en jouant". Les ateliers "Capitaine Futur" de la Gaîté guident les enfants pour leur apprendre, eux aussi, à manipuler les mots et à développer leur sens critique. 



Finalement, la force d'H5 est de créer un univers auquel on croit, qui nous interpelle et nous rassemble. L'occupation est totale. Un site web a été créé, qui rassemble et parodie toutes les techniques de communication 2.0 : géolocalisation, vidéo, sondages. (Retrouvez les sur Twitter, Facebook).  Une e-boutique de goodies arty dignes de Colette a été lancée. Et surtout, on retrouve la BO de l'exposition composée par Alex Gopher, DJ Falcon et Saint Michel (http://soundcloud.com/groups/hello-remix). De l'électro de très bonne facture. Et pour couronner le tout, un festival Hello™ on stage est organisé en marge de l'expo, où vont mixer les meilleurs DJ's de la French Touch : ne manquez surtout pas, le 17 Novembre, la reformation du mythique trio Alex Gopher-Etienne de Crécy - Julien Delfaud pour la soirée Hello™ Superdiscount.


La morale de cette histoire?, Il existe un temps pour se révolter contre le système, et un autre pour se marrer sur de l'électro qui déchire. C'est bien l'ironie de l'exposition Hello™ H5 : contrairement au monde réel de la surconsommation dopée au marketing, ici tout se termine bien.





1 commentaire:

  1. Ha ! cher ami, cette passion commune pour le rapace ! mais l'aigle d'Enki est Horus, un faucon !
    Bacardi Blovodos

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