samedi 21 septembre 2013

Liberace, folle du piano bling


Avis aux pianomaniaques, ce soir je veux louer Steven Soderbergh pour son excellent film sur le pianiste Liberace.

Qui est Liberace ? Un prince du kitsch, une folle du piano à paillettes échappée de sa cage, une bête de scène aux costumes exubérants. Un mix de Richard Clayderman et Lady Gaga, un hybride fou de Vladimir Horowitz et Michael Jackson, un faux Liszt du moonwalk pianistique en chemise à jabot. Une comète éblouissante qui ferait passer Elton John pour un moine franciscain et Michou, pour un séminariste frigide.



Liberace, un temps l'artiste le mieux payé du monde, avait un instinct de showman, c'était un cabotin sachant flatter et séduire son public avec des anecdotes édifiantes et une virtuosité facile, tape à l'oeil. Dans ses shows à Vegas, il cultive la sobriété : quand il ne vole pas suspendu à un câble, il débarque sur scène en limousine blanche, en manteau de fourrure de lapin, avec une traîne royale de 10 mètres. Maestro s'installe sur son piano à queue scintillant comme une boule à facettes, surmonté d’un immense candélabre, sa marque de fabrique. D’où le titre du film : Behind the Candelabra. Chacun de ses concerts est une invitation à entrer dans un univers baroque et foisonnant. Quel panache ! Quel cinglé ! 


Liberace affirmait lui-même avoir relancé l'industrie autrichienne du strass. Sur scène, sa virtuosité clinquante brille de mille feux : ses mains couvertes de bagouzes 200 carats plaquent sur l'ivoire les grands standards qui firent son triomphe. 

du boogie-woggie, un nocturne de Chopin, du Rachmaninov à la guimauve, du Tchaïkovski en sucre d'orge, rien ne lui faisait peur ! Les fameux « Chopsticks » ressemblent beaucoup à une rhapsodie hongroise passée par la fête foraine, avec un goût de barbe à papa. Entre deux morceaux, il raconte des blagues, toujours les mêmes, sur son concert privé chez la reine d'Angleterre. Comme une sorte d'Horowitz lâché dans l'univers pop, on reste fasciné par sa capacité à magnétiser le public.


Imposteur ou vulgarisateur ?

Son registre est bien celui de la musique légère, romantique et jazzy, du classique pour les masses, du piano pour tous... son but avoué n'était pas de changer le monde, mais de le distraire, en faisant des masses de cash au milieu du désert. Et il faut le dire, ses arrangements cheap avaient largement de quoi tourmenter dans leur tombe les grands compositeurs germaniques.

Mais nous aurions tort de mépriser Liberace. C'était un bourreau de travail qui prenait très au sérieux sa mission « d'entertainer ». Sa technique, parfaite, était celle d'un grand pianiste classique. Dans cette interprétation du deuxième concerto de Liszt, son jeu passionné et limpide n'a rien à envier à un concertiste de classe mondiale (malgré un orchestre aux sonorités de fanfare de village). 



Liberace, le vrai
Quand il s'agit de jouer « sérieusement » une polonaise de Chopin, en bon vulgarisateur, Liberace pose le stroboscope et met hors concours un bon nombre des clones chinois actuels.  Il a choisi délibérément d'en rajouter : tours de passe-passe, mains croisées, glissandi et autres saltos arrière de virtuose, des pas de funambules visuels un peu inutiles mais toujours efficaces à l'applaudimètre. Le style – pour plaire aux femmes. Le plaisir électrique d'être le meilleur.

Pourtant, même s'il le cachait farouchement à son public principalement constitué de grands-mères sentimentales aux cheveux rouges, Liberace était gay. 100 % gay. Soderbergh le présente comme une véritable folle incarnée de manière hilarante par un Michael Douglas méconnaissable en moumoute sous trois couches de maquillage, entouré dans sa loge d'une véritable cour de mignons filtrés par Scott Bakula, très drôle dans son personnage de vieux biker cuir moustache façon Tom of Finland.


Le film évoque de manière explicite l'idylle passionnée et destructrice de Liberace avec son grand
amour, Scott Thorson (Matt Damon dans le film), un gentil garçon de province grimé en éphèbe aux faux airs de Patrick Juvet. Liberace est tour à tour narcissique et névrosé, séducteur, attachant, flamboyant et dépressif, admirable et glauque. Entre deux concerts sur le Strip, il fréquente les glory holes des clubs les plus sordides. Dans son palais de marbre kitsch rempli de chaises Louis XXXIV et de fauteuils Napoléon VIII, de tapis léopard, de sculptures en toc et de jacuzzis où il descend tous les soirs une bouteille de Dom Pérignon, il règne sur un univers de pacotille. Le soir, quand il retire sa perruque, il devient un tyran domestique doucereux au désir insatiable. Son toy-boy, voué à distraire la diva à la sortie de ses shows, devient une desperate house-queen et connaît une véritable descente aux enfers. Le visage refait pour plaire au maestro, défoncé, meurtri, Thorson finira junkie, délaissé pour un jeune Apollon imberbe en pantalon moulant.




La vie de Liberace est brisée par le Sida, et on touche du doigt la tragédie de cet homme qui a cherché toute sa vie à plaire et à aimer, devenu comme tant de stars esclave de son image, de ses désirs et de son public. Entouré de séraphins, sous une arche géante de touches blanches et noires, le maestro tire sa révérence. Drôles et profondément touchants, les deux acteurs sont au sommet de leur art, en particulier Michael Douglas, qui signe une performance d'acteur stupéfiante, surpassant Jim Carrey fou d’Ewan Mc Gregor dans « I love you Philip Morris ». Cette histoire d'amour homosexuelle qu'aucun studio hollywoodien n'a pris le risque de produire pourrait bien devenir la romance queer de l'année. Et Liberace sera enfin reconnu de tous comme l’empereur du piano bling.