vendredi 3 août 2012

Mes coins de nanotourisme 2 - Le massif de l'Esterel


Je voue un culte païen à la lumière dorée de la Provence, mais j’ai toujours  détesté nager dans la mer. Tout cela m’ennuie profondément : les mouvements gauches et répétitifs, le sentiment d’inutilité qui vous gagne peu à peu, et, au bout de 5 minutes, l’appel fatal de la serviette de plage qui vous tend ses bras cotonneux. Et puis, le bleu incertain du liquide cache quelque chose de louche.  Dans ces abysses, pensez aux baleines décomposées, aux marins sans sépulture, aux morceaux de galion mangés par les vers, à ces bâtonnets de surimi vivants qu’on appelle les crabes. Sans parler des bancs de préservatifs en direct de Saint Tropez, du mazout de yacht, des tuiles de villas d’oligarques, tout cela trempe dans un bouillon de culture qu’on aurait du mal à nommer avec Virgile « Mare Nostrum ».

Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, j’aime le rivage pour contempler la Méditerranée sans y mettre un pied. Ça viendra peut-être le jour où je saurai manœuvrer un voilier sans m’empêtrer dans les cordes.  Sur la Côte d’Azur, pour passer des vacances honnêtes, je me suis tourné à 180° vers l’arrière-pays.

Il faut dire que tout vous incite à entrer dans les terres. Entre Nice et Toulon, la bande côtière est d’une densité humaine qui ferait sombrer mère Theresa dans la misanthropie.  Au soleil de plomb, les vierges collines des Maures contemplent avec dépit des files de scandinaves grillant sur le bitume dans leur Ford Focus d’occase. Sous le regard dépité des pins parasols, une armée bedonnante de teutons en tongs se ruent comme un Blitzkrieg sur les stocks gargantuesques de rosé prévus pour alimenter 20 campings en zone inondable. C’est pas grave, en cas d’orage, on peut hélitreuiller, et Dortmund se passera de quelques nudistes à la rentrée. Le marchand de journaux vous balance la Tribune à la figure avec la même hargne depuis 30 ans ; le boucher vous insulte, et votre plaque d’immatriculation nordiste vous vaudra des queues de poisson sur tous les ronds-points du Var. Si vous parlez politique avec les gens du coin, évitez de sortir vos théories bobo compatissantes : ici, on est très déçu par le virage à gauche de Marine Le Pen. Je connais quelques chics types là-bas, mais n’allez surtout pas généraliser !

Derrière ce rideau de béton spéculatif, loin des péages autoroutiers et des avions publicitaires, se cache le plus bel endroit du monde : le massif de l’Esterel. C’est un mini-Colorado vierge, hors du temps, où le Créateur a donné quelques coups de pinceau généreux pour le plaisir des esthètes vététistes. Un morceau de Corse échoué entre Cannes et Fréjus, où se jettent dans la mer des immenses rochers de porphyre rouge, dans lesquels les Romains aiment tailler de jolies baignoires pour leurs villas. A l’intérieur, des vallées encaissées, du maquis parfumé, des canyons où serpentent des pistes bordées d’eucalyptus à l’écorce dénudée, les seuls à offrir de l’ombre ! Parfois un étang avec quelques roseaux, un lac presque vide dans la chaleur étouffante qui fait éclater les pierres. On a l’impression d’être dans une maquette géante de la montagne, tant le relief donne l’illusion de l’altitude. Tout s’endort le soir sous l’œil rassurant de la vigie du Mont-Vinaigre, dans la lumière mauve. Pas de doute, ce jour-là, Dieu était inspiré…

Quand le mistral souffle un grand coup, la mer devient plate. Elle se couvre de petites rides, et elle a froid. Les kite-surfers ont intérêt à rentrer pour pas finir à Alger. C’est le moment où les pompiers pyromanes envoient leurs balles de tennis imbibées d’alcool à 90°, quand leurs collègues cuvent le pastis à l’ombre des camions.  Et surtout, l’air est si clair, que des hauteurs de l’Esterel, on aperçoit Cannes, les Iles de Lérins entourées de bateaux au mouillage, Nice, ses retraités et ses avions low-cost, les cîmes blanches du Mercantour… jusqu’en Italie, où les sympathiques Sénégalais de Vintimille écoulent en douce leurs faux Vuitton à la frontière.

Oups.
L’Esterel, rouge vif, vert bouteille, bleu profond, a toujours été un coin sympa pour les esprits libres. Le fameux Saint Honorat, né à Trèves au Vème siècle d’un père sénateur romain, a joué les ermites dans la sainte Baume (ce qui signifie grotte en provençal), avant de fonder le monastère qui porte son nom sur les Iles de Lérins.  Les évadés du bagne de Toulon venaient y faire du camping sauvage, déjà interdit à l’époque. Le guide Vert Michelin, qui résume à peu près l’étendue de ma culture, raconte qu’une sorte de prince des voleurs menait grand train dans une grotte avec son butin. Sa tête a fini épinglée près d’une auberge au bord de l’ancienne voie Aurélienne, que nous nommons aujourd’hui nationale 7. Quand il a fallu construire l’autoroute qui mène à Nice dans ce paysage accidenté, les tirs de dynamite du chantier ont fait voler en éclats un barrage tout proche. Bilan : 423 morts. Relisez les débuts du jeune Labro sur ce scoop très chaud, dans son roman attachant, « Un début à Paris ».

La route de corniche, une merveille de l’âge d’or aristocratique de l’Automobile Club, réserve des surprises au conducteur roturier. Les GI’s ont débarqué ici en 44 pour chasser les méchants nazis, au pied du Cap Dramont, de ses criques affûtées comme des rasoirs, de son sémaphore. Sur la fameuse Ile d’Or, au début du 20ème siècle, une tour sarrasine a été construite par un original qui faisait des grosses fiestas et battait la monnaie d’un pays imaginaire. Cette fantaisie aurait inspiré l’Ile Noire d’Hergé : belle filiation pour une bizarrerie architecturale digne de la couverture d’une carte IGN.




Un peu plus loin vers le Nord, la baie en forme de coquillage d’Agay est surplombée par le grand complexe « Cap Esterel », où fut tournée en son temps la très kitsch série d’été « Extrème Limite », d’une délicieuse naïveté nineties. Vous n’avez jamais eu un petit émoi adolescent honteux en contemplant le décolleté de la plantureuse Astrid Veillon ? Allez ! La belle plante sirotait des cocktails en mini-jupe fluo, entre un saut en parachute et des championnats de ski nautique sur l’étang de Roquebrune.



J’ai toujours été fasciné par ces séries de luxe méridionales, comme Sous le Soleil, dont les héros paresseux, barmen et chômeurs de longue durée, vivent des romances intenses dans des villa obscènes des hauteurs de Sainte Maxime. A priori, leur job subalterne ne suffirait même pas à couvrir la première tranche d’ISF, ou l’entretien de la piscine, mais peu importe : seul comptent les yeux écarquillés de la mongolienne de 50 ans à Roubaix. Elle ne viendra jamais repérer les lieux sur Ramatuelle : autant lui vendre un monde idéal où les palmiers et les coupés sport remplacent les roustes de son mari quand il a perdu son RSA au Rapido.



Un jour, je suis parti en randonnée à 17h30 dans l’Esterel. J’ai garé ma Golf au sommet d’une montagne, et je suis parti me perdre comme un con dans les méandres des chemins. A la tombée de la nuit, je me voyais déjà dormir avec les meutes de sangliers, quand les serviables pompiers des Adrets de l’Esterel m’ont ramené au bercail, avec une bouteille de Cristalline et un coucher de soleil incroyable sur la baie de Fréjus. Malgré l’argent que j’ai coûté au contribuable, je garde un excellent souvenir de ce petit trek solitaire. La nuit tombée, ma famille m’attendait dans notre jolie résidence en bord de mer, une folie lecorbusienne en béton des sixties, posée avec aplomb sur les rochers bruns. Sur la terrasse, j’ai regardé la mer en trinquant au rosé avec la lune. Et je me suis dit : vive les Trente Glorieuses !