jeudi 20 décembre 2012

Ambiance cervidés




Dans ces temps d’agitation marketing millénariste, nous attendons patiemment la fin du monde Maya en sirotant du thé Earl Grey. C’est le moment pour identifier des tendances de fond structurantes, pour avoir un truc à lire dans les limbes en attendant le Jugement Dernier. Eh bien je ne sais pas si vous avez remarqué, mais c’est @eronoele, qui est à la fois une muse, mon mentor et mon coach vestimentaire, qui me l’a soufflé à l’oreille : on évolue totalement dans une ambiance cervidés. A base de cerf.




Au milieu des conifères nordiques, les cors bucoliques sonnent la traque. Herbivore majestueux et élancé, le cerf évoque un paradis forestier perdu, mais aussi l’univers chic et cruel de la chasse, de la mise à mort, et la dégustation d’une bonne viande saignante. Dans le dernier film de Vinterberg, la Chasse, les scènes de chasse au cerf entre amis sont la métaphore de la chasse à l’homme vertigineuse qui va frapper le héros. Dans The Deerhunter (Voyage au bout de l’enfer), la chasse au cerf dans les Appalaches précède les mitraillettes et les lances flammes du Vietnam, la destruction psychologique d’anciens soldats qui finissent par s’affronter dans d’insoutenables tournois de roulette russe.

La croix symbolise Saint Hubert, patron des chasseurs 
Le cerf est un mâle dominant prêt à percuter un rival de ses bois puissants, pour protéger Bambi et rafler Madame la Biche. Le cerf-macho est un trophée de chasse. C'est aussi le logo du Jägermeister, cet alcool au goût de sirop pour la toux. Dans cette forêt de symboles viennent glaner nos amis les créatifs - vous savez, ceux qui ne deviennent pas gras et chauves à 30 ans devant MS Office - pour enfanter une étoile qui danse





D'habitude, une pub pour le parfum, c'est un porno soft dans une chambre de palace mal aérée, où l’on devine le vague flap-flap des seins d’une doublure lingerie se faisant prendre à la hussarde sur un lit de roses.  Cette fois ci, pour Lolita Lempicka, Woodkid innove et déploie son imaginaire baroque d'autiste au milieu des fougères des Landes, foulées par une petite créature diaphane. Un hymne symphonique païen  à la pureté originelle, d’une immense intensité émotionnelle. Cette ambiance sapin est à la fois baltique et celtique. Le soleil filtre entre les arbres et révèle le pollen qui flotte dans l’air. Gracile vestale, sylphide à mi-chemin entre l’ange et l’elfe, elle caresse les bouleaux et ses cheveux blonds, comme une Lorelei landaise. Cette Marilou mineure de porcelaine nous invite à partager son mystère et peut être à commettre des péchés ou des infractions pénales avec elle. La lumière à la Sophia Coppola, le côté Brocéliande, c’est bien. Modèle réduit de Kirsten Dunst, elle s'empifre de blackberries en nuisette.



Ses yeux transparents croisent alors le regard d’un cerf qu’elle étreint avec force. Elle le câline, il la réconforte, le vent souffle sur les pins, et c’est le Chant de la Terre qui se déchaîne parmi les violons. Elle rejoint le cervidé originel, certainement pour mourir à ses côtés, comme Jacques Mayol avec les Dauphins. Clap de fin. Il fallait le génie musical et cinématographique du surdoué Woodkid pour restituer la puissance mahlérienne de ce retour à la nature. Ce clip dégage aussi une certaine ambigüité sexuelle. Elle Fanning, du haut de ses 14 ans, est au sens propre une Lolita.

Tout cela vous a évidemment fait penser à la légende de Diane et Actéon. Schématiquement, Actéon est le petit-fils d’Apollon, et il aime la chasse. Il est dans une ambiance cynégétique, dirait-on à l’ONF. Un jour qu’il se promène avec son arc et ses flèches, Acteon surprend Diane qui se baigne à poil avec ses copines les nymphes. Très pudique, Diane connaît bien la chasse car elle en est la déesse. Rancunière, elle fait payer à Acteon un prix très cher pour s’être rincé l’œil : elle le transforme en cerf et lance les chiens à sa poursuite, qui le mettent en pièces. Cet épisode des métamorphoses d’Ovide a été peint avec brio par Titien dans un mythique trio de peintures réunies cet été à la National Gallery.




 A cet occasion, le Crédit Suisse a financé un court métrage troublant, « Metamorphosis »,  qui raconte la transformation d’Acteon en cerf dans ce même style païen et brutal, avec une nuance so British cette fois ci. Ce freluquet a reluqué Diane de manière trop explicite à un dîner dans son pavillon de chasse cosy du Sussex. Il pousse le vice jusqu’à la troubler dans sa salle de bain. How dare you ? Ce jeune premier d’Eton voit son reflet dans le miroir changé en cerf, une végétation de cauchemar envahit sa chambre victorienne, tandis que d’horribles bois lui poussent sur le dos, une douleur insoutenable… il va servir de gibier !




Les auteurs de ce clip se sont certainement promenés dans Richmond Park à Londres, cette foret royale de mille hectares où 650 cerfs et biches évoluent en liberté. On peut se promener avec eux avec la désinvolture de dandy du groupe Metronomy, dans leur clip « Everything Goes my Way ». C’est extraordinaire de voir deux cerfs mâles se combattre pendant la période du brame et du rut, avec la même violence peinte par Courbet, une veste de chasse toute neuve sur le dos, à 5 kilomètres de South Kensington et d’Heathrow Airport. 




Les combats de cerfs pour la femelle, c’est quand même une drague qui a la classe. Plus courageux que de glisser un billet au videur pour qu’il vire votre rival. Le cerf serait-il un symbole de machisme hétéro ? Et pourtant…  Viado, « cerf » en brésilien, veut dire gay ! Une pirouette de plus, après les scènes de volley ball de Top Gun, où derrière les pectoraux et la pavane sous testostérone des F14 se cache une franche camaraderie de vestiaire, plus délicate. Entre mâles dominants. Le cerf-macho est crypto-gay !



Je ne résiste pas à l’envie de conclure par Electric Six,  et son ambiance de gentleman farmer british dégénéré. Cette fois ci,  la chasse n’est qu’un prétexte de plus pour ridiculiser un trophée d’élan pour être exact. Et pour vous donner une raison inutile de briller en société, sachez que la ville du Père Noel, Rovaniemi, en Finlande, brulée par les Allemands en 1944, a été reconstruite par Alvar Aalto selon un plan en forme de renne, l'autre cousin nordique du cerf. Vous avez vu suffisamment de pubs Canal Satellite pour le savoir.




Vous vouliez des images et des petites vidéos à twitter, et je vous donne des tunnels de texte faisandé plus touffu que du maquis corse ! Désolé, c’est mon côté graphomane. @eronoele me lâche un thème et j’improvise dessus comme en Jam Session. Si je savais faire de la musique, on dirait que je fais un bœuf. Si vous souhaitez que j’écrive un article sur n’importe quel sujet, dites le moi ! Je m’engage à le traiter dans les 2 mois, à condition que ce ne soit ni un thème négationniste, antisémite, défavorable aux handicapés, à Benoît XVI, Jean Yanne, Franz Liszt ou au club Dorothée. Par contre j’accepte les articles misogynes, haineux, colonialistes, et réactionnaires - tout ce qui «était mieux avant », c’est mon créneau, à condition de garder une tonalité fraternelle et légère. Mon article idéal c'est celui qui me permettrait de crier mon amour des bornes frontières en tapant sur la gueule de Jean Sarkozy. Passez de bonnes fêtes ! 




vendredi 14 décembre 2012

Ode à la cartographie



J’étais tout seul dans un restaurant érythréen de Karlsruhe. Après un entretien dans une boîte d’Internet, une après-midi marron-kaki à la Derrick me collait à la peau. Un grand brouillard enveloppait les baies vitrées sixties de la Cour Constitutionnelle tandis que je finissais avec les doigts un Injera couvert de boeuf, mal arrosé d’une bière à la banane. Comme toujours dans ces cas là, je me suis mis à divaguer mentalement du mauvais côté du Rhin. Je pensais à des histoires de cartographie.

Rien à voir avec l’Ethiopie de la bière à la banane, peut-être une conséquence du plan étrange de Karlsruhe, une ville-utopie circulaire du 18ème, dont les rayons partent du château mal reconstruit des ducs de Bade. Dans ce mini Saint-Pétersbourg de la Forêt Noire amoché par l’US Air Force, en attendant mon TGV Est, je me suis rappelé que les cartes m’ont toujours fait rêver.



Les moins érudits d’entre vous seront choqués de l’apprendre, mais je vous conseille de vous rendre à la BNF voir l’exposition sur « l’Age d’or des cartes marines ». C’est la plus belle collection du monde de cartes « portulans », c’est-à-dire de manuels de navigation. Richement décorées, elles étaient destinées aux palais des rois et des princes, pour nourrir leurs rêves de gloire ; les cartes des navigateurs ont été trop usées par les embruns et les pointes des compas pour nous parvenir. La représentation du monde méditerranéen était claire depuis Pausanias et Ptolémée.  Dès le 13ème siècle, la carte « Pisane » fixe avec fidélité chaque ile de la Mer Egée.

Mais la révolution était à venir : à l’ère des Grandes Découvertes, le Monde variait chaque année au passage d’un cap ou d’un fjord patagonien. Colomb situait ses Indes dans les Caraïbes, et Amerigo Vespucci l’imposteur donnait son nom à tout un continent. Les hommes étaient prêts à se faire tuer pour le poivre que nous saupoudrons en toute indifférence sur nos burgers. Des Moluques à Cochin, des Célèbes à Malacca, les épices valaient plus cher que l’or, et la navigation permettait de s’affranchir du monopole arabe et vénitien sur la route des Indes.

Après l’odyssée cruelle de Magellan, brillamment relatée par Zweig, on découvrit que la Terre était ronde. Les puissants se firent alors construire des globes pour tenir le monde urbi et orbi dans la paume de leurs mains. Les Globes de Coronelli de Louis XVI à la BNF en sont le magnifique exemple tardif. Ces cartes polychromes délicates, reflètent un monde fantasmé, avec sa faune et sa flore exotiques. Avec les habitants de ces nouvelles contrées, hommes nus, indigènes, cannibales, esclaves... Ces fascinants bon sauvages qu’on aillait amadouer  avec  des verroteries pour mieux les exterminer ou les exhiber à Séville comme des curiosités zoologiques. Un prélude à 500 ans de colonisation au goût un peu amer. Parenthèse geek : le jeu Colonization vous donnera ce frission de pionnier génocidaire sans quitter votre laptop de bômeur.

Le héros du dernier Houellebecq est un artiste contemporain fasciné par les cartes Michelin, qu'il photographie compulsivement dans son atelier en bordel avant de serrer une Russe très appétissante. Selon lui,  « La carte est plus importante que le territoire ». Je suis d’accord avec Jed Martin. La carte est en elle même une promesse d’ailleurs, un petit univers pliable de poche. Une réduction unidimensionnelle de la terre des hommes, vivante, foisonnante, baroque dans sa richesse. Infinie comme les fractales de côtes.  Le jeune Sartre vénérait les livres-totems dans un grenier d’enfance, moi je passais des heures à balader mon regard myope sur les collines des atlas. Je survolais sur le papier routes, fleuves, méridiens et frontières, en rêvant un jour de les franchir. Courbes de niveau, pistes caillouteuses, cimes alpines et thalwegs, arêtes déchiquetées, pics du Népal, fosses abyssales, j’étais fasciné. J’écoutais les valses de Chopin par un Cziffra nonchalant comme un dandy. Mon adolescence a vraiment duré longtemps, et ma virginité fut jalousement préservée par mon appareil dentaire.




J’aime les cartes Michelin, leur palette chormatique restreinte, et leur graphisme désuet si rassurant. Les départementales tortueuses serpentent paresseusement vers les cols du Tour de France.  Surlignées en vert pour leur intérêt touristique, elles nous promettent une escapade-RTT en Golf Cabriolet. Des épingles rouges nous donnent la distance entre Bénévent l’Abbaye et la Souterraine, entre La Croix Valmer et Saint Tropez. Dans les sous-préfectures marquées « SP », on imagine un jeune énarque droit comme un i devant son hôtel républicain  en pierre de taille. Le vert des Parcs Naturels nous tend les bras, et les terrains militaires nous excluent de leurs pointillés rouges réservés aux chars Leclerc. Une « vue » est désignée par des petits éclats de lumière, avec deux ou trois étoiles si elle est « exceptionnelle ». Hiérarchie contestable. Les points culminants nous toisent de leur triangle chiffré. Précieuse information? Cet hymne à la France pittoresque, aux villages fleuris 4 étoiles de Jean-Pierre Pernaut, serait-il profondément réactionnaire ? Souvenons-nous des Mythologies de Roland Barthes au sujet du Guide Bleu :

Le Guide Bleu ne connaît guère le paysage que sous la forme du pittoresque. Est pittoresque tout ce qui est accidenté. [...] De même que la montuosité est flattée au point d’anéantir les autres sortes d’horizons, de même l’humanité du pays disparaît au profit exclusif de ses monuments. Pour le Guide Bleu, les hommes n’existent que comme « types ».
[...] En général, le Guide Bleu témoigne de la vanité de toute description analytique, celle qui refuse à la fois l’explication et la phénoménologie : il ne répond en fait à aucune des questions qu’un voyageur moderne peut se poser en traversant un paysage réel, et qui dure.

Dans ce « franquisme latent » déshumanisé, les cartes Michelin ne font pas exception. Châteaux, monastères, églises, abbayes, grottes et ruines sont l’image réductrice d’une vision passéiste et figée du paysage. La vue se « mérite » après une ascension-calvaire, la beauté est forcément ecclésiastique, féodale, datée. Et si vous conduisez en Paraboot votre DS vert bouteille en écoutant les Grosses Têtes de Philippe Bouvard, vous aurez constaté avec bonheur que rien n’a changé en France pendant ces 30 dernières années, mon Général !



Je laisse aux esprits chagrins gauchisants ce genre de scrupules. Ce kitsch routier est terriblement séduisant, des vestiges de la nationale 7 aux restaurants Courtepaille, des aires d’autoroutes aux ronds points improbables, sans oublier les stations services avec leurs caissières dépressives en blouse rouge et jaune tachée d'hydrocarbures. N’avez-vous jamais ressenti un frisson le long de la Vallée du Rhône, quand, au Sud de Valence, quelque part près de Montélimar, les herbes grasses laissent la place aux pins et aux lauriers de la Méditerranée ? Quand la Provence vous étreint avec sa lumière maternante?

La Carte Michelin est le fil d'Ariane de ces Odyssées… La voix féminine douceâtre d’un GPS, l’insipide Google Maps, même la toute-puissance tridimensionnelle de Google Earth, n’auront jamais la saveur de ces cartes enchantées qui nous font effleurer du bout des doigts la beauté du Pays.





Je n’accepte qu’une seule carte, animée d'ailleurs : celle des routes Ryanair. Pour quelques euros, ces cow boys célestes dopés au kérosène ont rendu Riga plus proche de Baden-Baden que Limoges de Paris. Ses lignes improbables nous font rêver : Charleroi-Thessalonique, Kaunas-Kos, Béziers-Bristol. A quand un Marmande-Timisoara? Un Sedan-Cluj Napoca? Ou une ligne qui irait de Nuremberg à Nuremberg? Grâce au low cost, les volcans des Canaries nous tendent les bras depuis Beauvais. La topographie européenne redessinée par le chômage de masse en Pologne, le cannabis du Rif, le soleil pas cher de Rhodes, le dumping salarial et les subventions régionales ! Merci Ryanair.



mercredi 31 octobre 2012

Moos, le troubadour de l'impossible




Aujourd'hui je souhaite rendre hommage à un ovni de la chanson française des nineties, une météorite trop vite consumée, un homme dont le talent lyrique ferait passer les odes de Lamartine pour un tube de Ricky Martin. Un vrai poétique loveur a mi chemin entre Paul Eluard et Jamel Debbouze, avec une pointe d'accent toulousain.

Il s'agit du grand Moos. Vous allez me dire que je tire sur une ambulance ? C'est faux ! Je dirais plutôt que j'allume une baraque à frites avec un missile nucléaire, ou que je finis un grabataire au lance-flammes. Ne le plaignez pas, il a quand même réussi à vendre un million de disques, à l'époque où les connexions Internet ne permettaient pas de faire subir aux œuvres boiteuses le piratage qu'elles méritent.

Si, si, vous vous en souvenez. C'était l'été 1998. Vous tentiez de réviser le bac français au lieu de mater Roland Garros. Clinton était empêtré dans l'affaire Monica Lewinsky, la BCE était crée, et la crise asiatique battait son plein. Bref, les gens avaient besoin de se détendre.

Le moment idéal pour Moos, qui lance alors un genre inédit, : le Rap libertin avec son tube immortel « Au nom de la Rose ». Après tout, rien n'était impossible, après le Rap Celtique de Manau.

On est sur un terrain sensuel brûlant ou l'érotisme affleure. Dans une intro en violons synthétiques rondo-venezianesque, un feu de bois crépite (c'est la passion), et on devine dans un plan désagréable une sorte de femme qui chevauche au ralenti. Elle tombe et meurt. Inconsolable de la perte de l'Absente, Moos est prêt à se vautrer dans les vices du lupanar avec des mannequins lingerie de seconde zone, grimées comme des clowns. Moos siège, altier,, et caresse avec une sensualité fétichiste l'accoudoir d'un fauteuil Louis XV. Un regard latin de braise, et des lèvres bien charnues : il ne reste plus qu'à envoyer de la rime. La boite à rythmes commence à sévir, et des créatures lascives jettent des regards langoureux à une caméra chancelante. Elles se touchent vaguement derrière des voiles, c'est digne d'un porno soft de M6 ou d'une pub mainstream pour le parfum avec une fille de ministre. Un début d'orgie à Vaux-le-Vicomte, dont le climat musical évoquerait le rayon frais du marché U, plus qu'une toile de Boucher. En termes de bide, le plus comparable serait la piteuse comédie musicale « Mozart », et son esthétique ba-rock (sic) très discutable.




Si la chanson commence sur une strophe assez sobre,

Au nom de la rose
Mon amie la femme
Prête-moi ton corps
Ouvrez vos maisons closes
A celle qui descend du ciel
Et que j'adore


« Mon amie la femme », c'est très Châtelet les Halles, non ? Mais les choses se dégradent assez vite :
(...)

Habite leur corps
Tu as les plus belles croupes
Que j'ai posé sur un lit de cristal
Habite leur corps
Nous allons être seul couple
Qui va oser se prendre avec des griffes de métal


« Des croupes sur un lit de cristal », et « se prendre avec des griffes de métal ». Franchement, l'inconscient de ce type est un sombre cloaque, ou alors sa vie sexuelle est plus tordue qu'un film de David Lynch

(…)

Ma préférée reste celle ci :

Matérialise-toi
Dans un moule de chair
On réalisera
Ce qui t'es le plus cher

Sans commentaires.

Moos est à la musique ce que la fanfare municipale de Rodez est au Berliner Philharmoniker. Une insulte à la beauté. Mais il n'est pas dénué de charmes. Pourquoi a-t-il si rapidement décliné, alors que notre trouvère libertin était au firmament ?

Il existe une explication radicale. Un faux pas fatal, celui qui vous expédie du Capitole à la roche Tarpéienne, comme les Bananas sont cuitas de Philippe Risoli, ou les gants de boxe de Paul Amar. Ce détail sans mauvaises intensions qui tue définitivement une carrière.

Le péché qui provoqua la chute de Moos a un nom, celui de sa dernière chanson : Délicate Chatte. Un tube d'une d'une classe internationale.

Cette fois ci Moos est allé trop loin pour la ménagère de moins de 50 ans. Trop explicite pour les heures de grande écoute. Et pourtant ce clip est absolument mythique, il contient tous les ingrédients pour devenir un collector.


Je ne sais pas ce que je préfère dans ce clip. Le pseudo beat RnB jovial symptomatique de cette fin des 90's (Bambi Cruz, Dabbatchaz, Alliance Ethnik) ? Cette brune pulpeuse attachée à un lit dans un hôtel de passes, avec un travelling inutile sur la lampe Ikea renversée par terre, signe d'amour vache ? Ou Moos lui même, menotté dans une vieille américaine entre deux flics ripoux aux cheveux gras. Il porte un couvre chef indéfinissable, une sorte de bonnet de bain marron en tissu. Dans ce tunnel de 22km où été manifestement tournée la scène, la même brune pulpeuse que celle de l'hotel lui jette des regards scandaleux par le miroir de son pare-soleil en croisant et en décroisant ses jambes. Et on la retrouve sur le lit en petite tenue, très occupée à se frictionner lascivement des épaules au nombril. Il faut reconnaître qu'elle est assez bonne. Pendant ce temps, Moos se fait salement casser la gueule par les ripoux, mais on ne comprend pas, il sourit ! Masochisme, simple clin d'oeil à la violence policière ? Cette question restera sans réponse.


Evidemment, les paroles de « Délicate Chatte » atteignent des sommets de raffinement. Le titre de cette chanson constitue en lui même un hymne à la beauté, une invitation au voyage.

J'ai tant rêvé de vous (de vous)
Que je vais et je viens en somnambule

En somnambule ! Il faut aller voir un sexologue mon vieux.

J'ai tant pensé à vous (à vous)
Que mes paroles ne sont que lapsus
Vous qui n'en savez rien (oh ooooh)
Je meurs d'envie de pénétrer votre bulle (…)

Je me refuse à commenter ce passage dantesque.

Venez à moi
Je connais l'endroit
Où l'amour est roi
Il n'en tient qu'à vous

Je crois qu'on a tous idée de l'endroit dont parle Moos. Il ne s'agit certainement pas du pays qui te ressemble, mon enfant, ma sœur. Je crois qu'il s'agit plutôt de plomberie et d'évacuation des eaux usées.

Le reste de son album a sombré définitivement dans les limbes de la mass culture aux côtés des singles de Licence IV, Garcimore, Jordy et Patrick Topaloff.  Son titre improbable, « Le crabe est érotique », est-il un hommage aux surréalistes? Quelques chansons au nom inquiétant comme Au bout du cigare (Affaire Lewinsky?), Comme elle se touche ou encore Tango gigolo ne suffiront pas à l'exhumer, ne serait-ce que par une recherche Google.

Vous l'aurez compris, Moos est un poète maudit, mais plus maudit que poète.

Aux dernières nouvelles, il tiendrait une crêperie dans la région de Toulouse. Ou, selon les sources, une boite échangiste.

Salut, l'artiste.


lundi 29 octobre 2012

La “French Touch” : Back to the nineties


Quelques rares expositions donnent l’agréable sentiment d’être à la pointe de la tendance avec une caution artistique, tout en restant un terrain de jeu. La « French Touch » aux Arts Déco en fait partie : une pointe de nostalgie des nineties, une petite madeleine de Proust électronique, idéale pour un after-work en bonne compagnie, avant un dîner au Saut du Loup.

La French Touch, c’est la génération X des DJ français. Le Mur est tombé, le soleil se lève sur des années 90 finalement assez euphoriques, enivrées par l‘utopie du Cyberspace. Dans ce Paris en manque d’extase musicale, c’est la montée en puissance de petits génies français sur la scène de la house et de l’électro. Des pionniers comme Air, Daft Punk, Alex Gopher ou Etienne de Crécy, enfants terribles de bonnes familles de l’Ouest, partis à la conquête du monde avec leurs platines. L’expo nous raconte comment s’est créée une alchimie unique entre ces DJ en rupture avec le star system et de jeunes graphistes à la marge, pour donner naissance à un foisonnement créatif, décalé, ironique. Les pochettes de disque, c'est de l'art pour se marrer. Et les flyers de soirée, il faut pouvoir les lire bourré. Ça tombe bien, avec l’arrivée du Mac et de la suite Adobe, chacun pouvait devenir un Rembrandt du graphisme home-made, sans passer par les grands labels ou les agences. Le résultat saute aux yeux.




La scénographie complètement barrée, entre le squat haussmanien et le nightclub berlinois  est signée par le collectif 1024, des architectes VJ auteurs du Ghetto Blaster géant des soirées Boom Box et Square Cube, et du Bal Blanc de l’installation Monumenta 2012 de Buren  au Grand Palais. Vous le saurez à l’avenir.

D'abord, les flyers pop de La Shampouineuse aux Folies Pigalle, et les photos volées glauques d’Agnes Dahan pour les soirées Respect au Queen. Des pochettes décalées qui remettent en scène des films de blaxploitation des seventies ou des vieilles pubs pour les clopes, ringardissimes. On croise au passage l’album Paradise de Bob Sinclar, beaucoup plus pointu que ses productions actuelles. Nostalgie, quand tu nous tiens.







Parmi les petits chefs d’œuvre pop, on peut citer la pochette de Super Discount d’Etienne de Crécy, signée H5, auteur également de clips d’Alex Gopher ou Massive Attack, et de l’expo Hello™ que je vous invite à allervoir. Au passage, saluons le travail de « Restez vivants » pour Bang Bang, de Sylvia Tournerie pour Bosco, d’Hot Spot pour la « Cloud making machine » de Laurent Garnier. On ne peut pas rater la magnifique créature Art nouveau/Hawaïen/Girly qui accompagne la BO planante et élégante de Virgin Suicides par Air.









Personnellement j’adore les vinyls de Cassius par Alex Courtes. Le clip de « Cassius 99 »,  réalisé avec Martin Fougerol, est tout simplement stupéfiant, halluciné, d’une richesse visuelle jubilatoire. Cette course de motocross au milieu de flèches fluo pop donne le frisson. Et c’est LE son de 1999.


On n’est pas étonnés qu’ils aient signé également le clip d’If You Ever Feel Better de Phoenix, une soirée underground dans les ruines antiques, et le cultissime radio number one d’Air, Un clip post-apocalyptique qui se termine par une bataille de bouffe entre deux yuppies aux gestes de robots.

Ce passage par les clips est toujours formateur. Alex Courtès fait aujourd'hui des films d'horreur. Avant de devenir un réalisateur bankable à Hollywood, Michel Gondry a fait ses premières armes dans le clip de « Music Sounds Better withyou » de Stardust, profondément kitsch, désuet, texan. Le groupe était un « one-shot » avec notamment Thomas Bangalter des Daft Punk.

Quelques pochettes et flyers :



En résumé, même si vous avez passé les années 90 à vous faire racketter vos Pump Reebok, à collectionner les goodies Jurassic Park, ou à écouter les valses de Chopin avec votre maman, en espérant que votre amour de jeunesse imaginaire vous envoie des lettres imprégnées de parfum, vous serez cool rétroactivement aux yeux de vos proches en allant voir l’expo « French Touch ». Nocturnes le jeudi, avec un DJ set le 15 Novembre.

Bon vent !




mercredi 24 octobre 2012

Hello™, brave new world



Amis hype de la première heure, marketeurs 2.0, nostalgiques de Superdiscount, papes du Pantone, idolâtres de la pure police Helvetica, petits rebelles de la génération 99 Francs-No Logo, kinect-geeks et electro-freaks, ou si tout simplement vous haïssez comme moi le chat inquiétant d'Hello Kitty, vous avez tous une raison d'aller voir la géniale expo Hello H5 à la Gaité Lyrique.


Dans cet ancien opéra devenu un centre de création numérique soutenu par la ville de Paris, se tient en ce moment une expérimentation extraordinaire : la création d'une marque imaginaire totale, puissante, impactante et légendaire, mais fascisante, utopique, creuse et finalement vide, Hello.




A l'origine, on trouve le collectif de créateurs H5, auteur des meilleures pochettes d'albums de la French Touch electro dans les 90's, comme Air ou Etienne de Crécy, célébré actuellement dans une expo dédiée aux Arts Déco. H5, ce sont aussi des petits génies de l'animation, récompensés par un Oscar pour leur génial Logorama, un court métrage très décalé mettant en scène une course poursuite policière dans un Los Angeles peuplé de logos vivants. H5 est certes une  belle machine à créer des rêves publicitaires pour les plus grandes marques, mais ils sont aussi capables d'une ironie et d'un cynisme typiques de la démarche Pop Art.

C'est l'objet de l'exposition Hello H5 : à travers une série d'installations artistiques, créer un univers symbolique extrêmement riche autour d'une marque fictive, fédératrice (car Hello vous dit bonjour et invite au dialogue), qui suscite l'adhésion et la sympathie. Puis effrayer le visiteur pour dénoncer la manipulation publicitaire. Hello possède une légende fabriquée, avec un storytelling très élaboré sur la saga de la famille Halloway, une dynastie d'industriels américains fondateurs d'un empire né à Chicago en 1812. Hello™ est une grande utopie, un récit exemplaire, une entreprise et une marque, même si les produits commercialisés importent peu. Ce qui compte, c'est qu'au fil des oeuvres, des logos, des affiches détournées, des puissants hymnes électro composés par Alex Gopher à la gloire de la marque, on se sent grisé, enivré, envahi par une sensation jubilatoire, devant la force de cette identité ! 






C'est le moment d'investir sur l'Aiglon



Et c'est là que cette exposition révèle un profond malaise : Hello n'est rien d'autre qu'une coquille vide, qui déroule des slogans à la fois puissants et vides, qui pourraient être ceux d'Apple (Think Different) ou de Nike (Just do It). Le slogan de l'expo, "In brand we trust", n'est pas plus inquiétant que celui d'Henkel, "A brand like a friend". Au nom de quoi une marque voudrait être mon amie? L'autre slogan d'Hello, "Ensemble pour un monde qui vous ressemble", n'est pas beaucoup plus rassurant.

Le logo d'Hello est un aigle "tout rond, roi des animaux devenu puissant doudou". Un aigle qui pourrait être Hello Kitty, mais aussi une réminiscence de l'aigle nazi (Heili-Hello), l'emblème de l'US Air Force, de Napoléon ou des légions romaines. Un oiseau de proie qui plane comme une menace. L'aigle martial des Halloway qui nous accueille dans l'entrée évoque davantage les anges franquistes de la basilique de Los Caidos qu'un animal de dessin animé. D'ailleurs, les croquis fictifs, projets de pavillons Halloway pour l'exposition universelle de 1893, réalisés avec une maestria et un réalisme étonnant, donnent des frissons dans le dos : ce pourraient être des esquisses d'Albert Speer pour Germania, la capitale du Reich. Ou un des cauchemars futuristes d'Enki Bilal. Une utopie, U-topos, une ville de perspectives monumentales surmontée par un rapace gigantesque prêt à enserrer les masses. 




















Hello est inquiétant car on peine à en saisir les contours. Je donne la parole à la commissaire de l'exposition, Charlotte Camille : 

"Ancrée dans la légende des siècles, (...) Hello s'adresse autant au consommateur qu'au citoyen. Un mélange d'Etat Providence et de providentiel service-client.
Hello™ est une osmose de la sphère politique et marchande. 
Hello™ est jaune et bleu, comme le soleil et le ciel que tout le monde aime. 
Hello™ est un slogan qui rassemble à tout prix, une communauté se jouant de la diversité. 
Hello™ est une promesse de bonheur. 
Hello™ est une coquille vide, une religion sans message, un candidat sans programme, un faisceau d'informations sans conséquences. Un territoire de néant où la communication se déploie en flux continu. La communication remplace le message."

C'est orwellien. On se croirait dans 1984.



Hello™ Mondrian
Hello™ cherche à nous rassurer pour nous dominer. L'agence H5 sollicite notre imaginaire collectif pour nous interpeller sur le sens des mots et des images, et sur l'entreprise de manipulation  que constitue le marketing. La marque Hello™ possède une part d'ombre et d'inquiétante étrangeté, comme cet aigle géant qui nous regarde fixement, comme ces oeufs alignés, dans une sérialité "standard", comme des packshots de produits, avec les noms des cadres de l'entreprise inscrits comme des codes barres. L'installation vidéo Hello™ Genesis offre une immersion totale dans cet enfer. Dans une chambre sombre, un carillon surpuissant, comme celui de Top Gun ou du Grand Bleu, égrenne quatre notes aussi obsédantes que les cinq bips utilisés dans les Rencontres du Troisième Type (lien Soundcloud). 

Puis se déroulent des hélices torsadées : l'ADN de la marque Hello™. Les noyaux se transforment en petits oeufs bleus,qui éclosent rapidement, faisant place à une prolifération de petits oisillons, bientôt des aigles qui prennent leur envol et s'entrechoquent dans un fracas assourdissant, une confrontation presque darwinienne : le rapace est né, il va pouvoir se lancer dans la confrontation violente du marché concurrentiel.



Un florilège des meilleures affiches et installations : 
















Une nouvelle molécule  : la Helloxine





















Cette exposition est donc une réflexion sur les rouages du marketing. Dans l'installation Hello™ Strategy, nous sommes accueillis dans une immense salle de réunion terne et blanche, conseil d'administration où sont projetés des slides sur les valeurs de la marque Hello™. Le fameux "Brand Book", des mots vides de sens, le brief des annonceurs pour les créatifs des agences. Ceux ci vont s'en donner à coeur joie dans une salle où sont détournées des dizaines d'affiches issues des mythes du XXème siècle : les transatlantiques, la vaccination, les marches contre l'arme nucléaire, entretenant toujours une confusion entre le corporate et la société civile. Le travail graphique est exceptionnel, de l'Art Déco au Bauhaus jusqu'au style hippie, les mecs d'H5 ont bien bossé. Pour les enfants, un jeu vidéo permet de se prendre pour un aigle ; un carnet de coloriage subversif est vendu à la boutique, sous la thématique "Le marketing est un jeu d'enfant, la politique s'apprend en jouant". Les ateliers "Capitaine Futur" de la Gaîté guident les enfants pour leur apprendre, eux aussi, à manipuler les mots et à développer leur sens critique. 



Finalement, la force d'H5 est de créer un univers auquel on croit, qui nous interpelle et nous rassemble. L'occupation est totale. Un site web a été créé, qui rassemble et parodie toutes les techniques de communication 2.0 : géolocalisation, vidéo, sondages. (Retrouvez les sur Twitter, Facebook).  Une e-boutique de goodies arty dignes de Colette a été lancée. Et surtout, on retrouve la BO de l'exposition composée par Alex Gopher, DJ Falcon et Saint Michel (http://soundcloud.com/groups/hello-remix). De l'électro de très bonne facture. Et pour couronner le tout, un festival Hello™ on stage est organisé en marge de l'expo, où vont mixer les meilleurs DJ's de la French Touch : ne manquez surtout pas, le 17 Novembre, la reformation du mythique trio Alex Gopher-Etienne de Crécy - Julien Delfaud pour la soirée Hello™ Superdiscount.


La morale de cette histoire?, Il existe un temps pour se révolter contre le système, et un autre pour se marrer sur de l'électro qui déchire. C'est bien l'ironie de l'exposition Hello™ H5 : contrairement au monde réel de la surconsommation dopée au marketing, ici tout se termine bien.