mardi 27 décembre 2011

Pourquoi Onéguine ?



Je veux rendre un ici hommage à un monument de la culture russe, un hymne aux vains plaisirs, au spleen et aux espoirs déçus : « Eugene Oneguine », le roman en vers de Pouchkine, un chef d’œuvre pétillant comme du champagne, d'une mélancolie douce, ironique – et tout à fait suicidaire.

L'histoire d'Oneguine est celle d'un enfant du siècle, jeune dandy désabusé incapable de saisir le bonheur. Ce héros byronien par excellence a surtout inspiré à Tchaïkovski son plus bel opéra, marqué comme le reste de son œuvre par le signe du Fatum, le destin tragique qui pèse irrévocablement sur nos vies (cf les premières mesures de la Symphonie n°4 et l'adagio final de la 6ème, la « Pathétique »). Les airs de Lenski et Tatiana sont des sommet du répertoire : ce sont des mélodies d'une beauté à donner des frissons, d'un sentimentalisme slave à tirer des larmes au plus blasé d'entre nous ; mais les rires ne sont pas loin, et cet opéra danse aussi la valse, la polonaise et l'écossaise, dans les bals les plus entraînants qui soient.

Qui est Eugène ? Depuis son triste exil sur la mer Noire, comme Ovide, Pouchkine nous transporte dans la vie aristocratique du Saint Petersbourg des années 1820, et son faste impérial. Notre héros est le plus précieux des dandys, il cultive les artifices pour triompher dans les salons, avec la plus totale indifférence !

"Peindrai-je, dans un tableau fidèle, le cabinet solitaire où l’exemplaire nourrisson de la mode s’habille, se déshabille et se rhabille ? (...) tout ce que le goût insatiable de Paris invente pour notre luxe, nos fantaisies, nos plaisirs ; tout cela décorait le cabinet d’un philosophe de vingt ans ».
(…)

"Craignant par-dessus tout le blâme qui s’attache aux misères, Onéguine était très-recherché dans sa toilette. Il était capable de passer trois heures entre des miroirs, et il sortait de son boudoir semblable à la pimpante Vénus, si, vêtue d’un habit d’homme, elle se rendait au bal masqué."

Sa conversation est brillante, il vole de palais en théâtres, il court les quais de la Neva ; il plaît aux femmes et à leurs maris trompés, il a un avis péremptoire sur tout ce qu'il ne connaît pas : bref, le plus parfait snob.

"Il est encore au lit, que déjà on lui apporte des billets. Qu’est-ce ? des invitations, précisément. (…) Où ira-t-il ? par où commencera-t-il ? Eh bien, il ira partout. Cela décidé, en toilette du matin, un large bolivar sur la tête, Onéguine part pour le boulevard de l’Amirauté, et s’y promène nonchalamment jusqu’à ce que sa vigilante montre de Bréguet ait marqué l’heure du dîner.

(...)Il avait l’heureux talent de tout effleurer dans une conversation ; de garder le silence, avec l’air profond d’un connaisseur, dans une discussion sérieuse, et d’exciter le sourire des dames par un feu roulant d’épigrammes inattendues.

Pour comprendre cette ambiance, il faut avoir flâné dans cette ville aérée et harmonieuse, rêve classique de Pierre, sur les canaux bordés de palais jaune pâle et bleu turquoise. Avec pour horizon le dôme de devant l'Ermitage et la perspective Nevski chère à Gogol ! Un beau décor de théâtre à peine dérangé en 2011 par quelques flics corrompus.

(...)« Un splendide palais se dresse, tout illuminé d’un cercle de lampions. Des ombres passent sur les glaces sans tain des fenêtres. Ce sont des profils, tantôt de femmes charmantes, tantôt d’originaux à la mode. »

Si sa vie est une immense fête, malheureusement Eugène est insensible, et il s'ennuie à mourir ! Il ne veut même plus se battre en duel. Il fait peine à voir.

(…) La sensibilité s’émoussa bientôt en lui. Le bruit du monde le fatigua ; les beautés ne furent plus l’objet constant de ses pensées. Les trahisons même finirent par le trouver indifférent. L’amitié l’ennuya aussi bien que les amis. (...) Et bien qu’il eût le sang vif, il cessa de trouver du charme à la perspective d’une pointe de sabre ou d’une balle de pistolet.

La référence à Byron est explicite ! Même si Eugène en est le pur produit, Pouchkine est sévère avec le romantisme nordique qui étourdit les esprits jusqu'à leur donner l'amour de la Mort. On retrouvera, avec un profil psychologique plus profond, ce type « d'enfant du siècle » dans le Petchorine de Lermontov, « Un héros de notre temps » : la jeunesse désenchantée par l'immobilisme d'une société trop conservatrice, qui  se désintéresse de tout.

Une certaine maladie, (...) que les Anglais nomment spleen, et nous autres Russes khàndra, s’empara de lui peu à peu. Il n’essaya point de se brûler la cervelle, mais il se refroidit complètement dans son amour de la vie. Un nouveau Childe-Harold, moitié farouche, moitié languissant, apparaissait dans les salons. Rien ne semblait le toucher, ni les caquets du monde, ni le boston, ni un regard attendri, ni un soupir indiscret. Il ne remarquait plus rien.

Pouchkine est sévère avec son personnage, que Tchaïkovski traitera même plus tard de « freluquet » ! Eugène s'ennuie tellement qu'il décide, à la faveur d'un héritage, de s'installer dans un nouveau domaine à la campagne. Il emménage dans une de ces charmantes maisons d'aristocrates russes remplie de tapis, de portraits d’ancêtres et de samovars, au milieu des lacs et des forêts de bouleaux...

Mais il s'ennuie très vite :

Pendant deux jours, il trouva nouveaux les prés solitaires, la fraîcheur des bois ombreux, le murmure d’un timide ruisseau. Le troisième jour, ces bois et ces prés ne l’occupaient plus ; puis ils lui furent indifférents ; puis il s’aperçut bientôt que l’ennui est le même à la campagne, bien qu’il n’y ait ni rues, ni palais, ni bals, ni cartes, ni poëtes.

Et c'est ici que commence l'Opéra de Tchaïkovski, quand l'intrigue va se nouer. L'ouverture, pessimiste, semble condamner les protagonistes à un triste destin.

Oneguine se prend d'amitié pour un jeune poète sensible et idéaliste, propriétaire terrien lui aussi  : Lenski. Pouchkine en donne un portrait bien moqueur !

De la Germanie nébuleuse il avait rapporté ces fruits de la science : des rêveries amoureuses de la liberté, un esprit inflammable et bizarre, une conversation toujours enthousiaste, et de longs cheveux noirs tombant sur ses épaules.

L'action se noue assez rapidement : pour sortir Onéguine de son ennui, Lenski le traîne chez les Larine, une autre famille de nobles. Leurs deux filles, Olga et Tatiana, sont charmantes. Enflammé et inexpérimenté auprès des femmes, Lenski est déjà amoureux d'Olga, simple et extravertie. Oneguine à son habitude est froid et indifférent :

« J’aurais choisi la Tatiana, si j’étais comme toi un poëte. Il n’y a pas de vie dans les traits d’Olga, pas plus que dans ceux de la madone de Van-Dyck. Elle est ronde et rouge de visage comme cette sotte lune sur ce sot horizon »

Tatiana, rêveuse et contemplative, a trop lu de romans. Elle tombe éperdument amoureuse d'Oneguine. Pouchkine considère cet amour comme un poison werthérien – il sait qu'elle sera malheureuse.

Ses yeux s’ouvrirent ; elle se dit : c’est lui ! Hélas ! maintenant, les jours, les nuits, les veilles, le sommeil solitaire, tout est plein de lui. Tout ce qu’elle aperçoit semble lui répéter constamment et avec mystère le nom aimé.

Dans une des scènes les plus célèbres de l'opéra, Tatiana, dévorée par la passion, écrit une longue lettre (en Français) à Eugène, où elle lui déclare qu'il est l'homme que le destin lui a envoyé. Cet air est la plus belle déclaration d'amour qui soit, fébrile et déchirante, celle d'une femme envahie par le désir, effrayée de perdre le contrôle d'elle même. Renée Fleming (Met, 2007) nous en donne une interprétation passionnée :

    La scène de la lettre, partie 1

                                      Partie 2 : Une des plus belles mélodies de l'opéra (4.50)

« Qui es-tu : mon ange gardien
Ou un tentateur malin ?
Détruis mes doutes.
Peut-être n’est-ce qu’un rêve vide,
L’illusion d’un cœur sans expérience,
Et arrivera tout autre chose.. »


Mais, loin de s'émouvoir devant cet aveu sublime, Oneguine reste indifférent à sa passion, et pire encore, il lui fait une leçon de morale, et prétend l'aimer « comme un frère, et plus encore ! ». Quel goujat ! Hvorostovsky est un excellent Onéguine, glacial mais tellement séduisant!



Pendant ce temps là, Lenski ne perd pas de temps : il déclare sa flamme, dans tous ses transports



Lemeshev était un Lenski de légende dans les années 20-40.

Ya lyublyu vas, Ya lyublyu tibya : je vous aime, je t'aime ! (un mot utile en Russie, croyez moi)
Mais après ces déclarations, que faire à présent ? Comme dans la vraie vie, il faut se donner des raisons d'être malheureux :

Après une musique d'introduction à l'acte II, s'ouvre sur scène une belle soirée de bal, avec la célèbre valse, irrésistible, qui vient nous rappelle le talent de Tchaïkovsky pour le ballet. Elle ressemble un peu à celle du Faust de Gounod



Pas trop de faste : nous sommes chez les hoberaux! Un choeur d'hommes et de femmes de peu d'esprit échangent des mondanités moqueuses, et médisent sur Eugène, qui s'ennuie à mourir (comme d'habitude!)

Il en veut à Lenski de l'avoir amené « à ce bal minable », et fait la cour à Olga pour le faire enrager. Olga, trop heureuse de se faire séduire, ne fait rien pour le décourager....Lenski est furieux, et demande réparation. 

Eugene et Lenski s'affrontent en duel dès le lendemain, pour un motif idiot.

Avant le combat, Lenski chante un air désespéré, sublime, où il réalise que sa vie est perdue. Le Fatum, encore !



Kuda, kuda. Vi udalis

...Où, où, où avez-vous fui,
Jours dorés de ma jeunesse ?
Que m’apporte le jour qui naît ?
Je le sonde en vain :
Il est empli de ténèbres !

Oneguine pousse le cynisme jusqu'à arriver en retard au duel. Il enlèvera la vie à son meilleur ami. La plus grande ironie, c'est que Pouchkine lui même trouvera la mort peu après, à 37 ans dans un duel contre un officier alsacien, d'Anthès. La provocation était une lettre anonyme où Pouchkine était décrit comme « co-adjuteur du grand maître de l'Ordre des cocus et historiographe de l'Ordre ». Son ami Lermontov mourra aussi en duel comme l'adversaire de son Petchorine, en tombant d'une falaise...


Belle version du duel dans ce film de 1999 « Oneguine », qui semble de bonne facture si on pardonne à Liv Tyler d'avoir joué dans "Armageddon"

A l'ouverture de l'acte III, nous retrouvons Oneguine, dans le faste d'un bal dans la maison d'un noble de Saint Petersbourg. Nous ne sommes plus chez les provinciaux désormais : une brillante polonaise éclate, de mille feux. Bijou d'orchestration, elle sera transcrite par Liszt pour le piano en 1880. 



Au milieu des convives, Oneguine reconnaît Tatiana, désormais mariée au plus âgé prince Gremine. On entend un instant le leitmotiv de la scène de la lettre : l'amour serait-il revenu? Oneguine n'en croit pas son coeur : pour la première fois depuis si longtemps, il éprouve des sentiments!



Est ce vraiment (...) la même jeune fille
Que j’ai méprisée dans sa simplicité ?
Qu’est-ce qui m’arrive ? Je dois rêver !


Mais Gremine chante sa vie heureuse avec Tatiana dans le grand air de basse de l'opéra.


Elle (...) m’apparaît toujours
(...) Comme un ange auréolé.
L’amour ne se soucie pas de l’âge...


La fin de l'opéra est tragique : Oneguine réalise, beaucoup trop tard, que Tatiana est la femme de sa vie. Il lui écrit ; elle le reçoit et lui avoue qu'elle aussi est amoureuse, mais qu'elle ne rompra pas son mariage et restera fidèle. 

Il se jette à ses pieds :
"Oh, par pitié, par pitié, épargnez-moi !
Je me suis tant trompé, je fus tant puni "
(...) 
Blêmir et mourir : voilà ma joie,
Mon seul rêve, mon seul bonheur 

Voilà une époque où on pouvait vraiment parler aux femmes ! 
Elle le repousse : 

(...)Quelle réponse trouvai-je
Dans votre cœur ? Rien que de glacial !

(...) Ah ! Le bonheur était si proche,
Si proche ! Si proche !


Et elle laisse Oneguine seul dans son désespoir.

Cet opéra si populaire est un sommet du répertoire. Il est le mêtre étalon de tout l'opéra russe, et chaque création au Bolchoi ou au Mariinski est un événement. J'ai choisi ici de vous donner surtout des liens vers la très belle interprétation donnée au Met de NY en 2007, avec la sensuelle Renée Fleming jouant Tatiana, et le grand baryton russe Dmitri Hvorostovsky dans le rôle d'Oneguine.

Un ballet de John Cranko est donné également en ce moment à Paris, basé sur l'Oneguine de Pouchkine; il  suit la trame de l'opéra, avec quelques extraits de Tchaikovski. Si vous aimez la danse, allez y !

Si vous aimez le piano, écoutez absolument la paraphrase de Pabst sur des airs de l'opéra, (par Ginzburg, jubilatoire). L'air de Lenski au violon par Heifetz devrait aussi vous briser le coeur.

Pour finir, ne faites pas la même bêtise que Tchaïkovski : il était gay donc très malheureux dans la Russie des tsars, et pour ne pas finir seul comme Oneguine, il s'est marié avec une de ses admiratrices complètement allumée. Ce fut un fiasco : divorce immédiat. Tchaïkovski a finira par se suicider pour ne pas trahir son lourd secret. Sa symphonie "Pathétique", donnée neuf jours avant sa mort, s'achève sur un long adagio tragique (WPO, Karajan, 37.00). Le Fatum a encore frappé.



mardi 20 décembre 2011

Franz Liszt Superstar




« Mon piano est pour moi ce qu'est la frégate pour le marin, le cheval pour l'Arabe - plus encore! Ce fut jusqu'ici mon moi, mon langage, ma vie ». 


Au-delà des évènements inutiles qui ponctuent notre année (Fête des mères, mort de dictateurs, Téléthon, discours de Nicolas Sarkozy), je vous propose de retenir un des seuls qui vaille la peine d’écrire quelques lignes : 2011, pour dix jours encore, est l’année Franz Liszt. S’il était encore vivant, il aurait 200 ans ! Et il nous manque tellement ! Si vous n’êtes pas d’accord, écoutez ceci.

La vie de Liszt est un roman : c’est le titre d’une de ses biographies. Comment résumer en quelques lignes une personnalité extravertie et généreuse, d'un pianiste virtuose, transcripteur de génie, compositeur iconoclaste, dragueur, poète, rockstar, abbé !

Enfant prodige, il quitte les bords insalubres du Neusiedler See pour un premier roadshow dans l’Europe entière, de Paris à Vienne. Il prend des cours avec Czerny et Salieri, le rival de Mozart (vous avez vu « Amadeus » ?). Impressionné par une belle improvisation, Beethoven l’aurait pris dans ses bras pour lui prédire un grand avenir ! Etranger, il est refusé au conservatoire de Paris en 1823 par un Cherubini plus méchant que Claude Guéant – mais ce fut un cadeau, car être autodidacte sera sa plus grande force : toute sa vie, il sera un infatigable innovateur, surmontant les règles de la musique du passé. Il donne des cours et s’éprend d’une élève, Caroline de St Cricq : ils entretiennent une belle relation platonique, donnant lieu à une méchante déception amoureuse quand le père ministre refuse de la donner à un saltimbanque. Toute sa vie d’ailleurs, dans ses écrits,  Liszt réfléchira à la place de l’artiste dans la société, à la fois source de la Beauté, mais aussi simple amuseur des puissants de ce monde.

Tous les Werther vous le diront : les amours adolescentes laissent des blessures indélébiles. Mais Liszt sera toujours entouré de femmes, et l’amour est un thème majeur de son œuvre. Il est resté célèbre pour avoir  enlevé sa maîtresse Marie d'Agoult à son vieux mari, pour s'enfuir en Suisse et en Italie! Martha Argerich considère que Liszt comme « Eros en personne », Nietzsche, plus sévère, parle de son style, « pour plaire aux femmes » : quand la verve, l’audace, l’habileté triomphent sur le clavier, la musique prend les chemins détournés de la séduction. Parfois, c’est dans un mode onirique, comme dans ce nocturne, le Rêve damour N°3, tellement sentimental, comme si des chérubins volaient sur le clavier ! Ou la spectaculaire étude « Un sospiro », séraphique, aérienne. Ces caresses voluptueuses… Cela rappelle un peu cette Etude-Tableau de Rachmaninov aussi suave que redoutable pour le pianiste.

La séduction, c’est un faible mot. Liszt est la première rock-star de l’histoire*. Il fréquente la haute société, devient ami avec Chopin, Wagner, Rossini, Dumas,George Sand. Il tourne le piano vers la salle pour qu’on voie ses mains : c’est l’invention du récital. De 1839 à 1848, il sillonne l’Europe entière en train, en diligence ou en bateau. Sa virtuosité, sa présence scénique, son allure élancée de dandy conquérant magnétisent les foules. Accueilli comme un empereur dans les grandes capitales, il donne ses bénéfices aux œuvres de charité. Les femmes tombent devant lui, s’arrachent ses mouchoirs et ses gants : des scènes d’hystérie qui ne se reproduiront pas avant les Beatles et les Stones. C’est la « Lisztomania » dénoncée par Henri Heine, célébrée avec élégance par le groupe Phoenix : les gens deviennent fous, et Liszt entretient le mythe. Son « Grand galop chromatique » est un morceau de bravoure autant que les solos de guitare de Joe Satriani ou de Jimi Hendrix. Les caricaturistes le représentent dans un cirque, perché sur des chevaux portant un piano !

          Liszt (joué par Sviatoslav Richter) rencontre Glinka à St Petersbourg - Regardez à partir de 2 mn

Mais la performance de l’interprète n’est pas une fin en soi. Compositeur à plein temps dès 1848, Liszt va pousser le piano dans ses derniers retranchements, transcender la technique pianistique pour la mettre au service de ses idées musicales : il va donner au piano une voix universelle, une puissance d’orchestre. Il va inventer un langage musical sans lequel Grieg, Ravel, Rachmaninov et Prokofiev n’auraient pas existé.

Il transcrit inlassablement les œuvres de ses contemporains : il rédige des centaines de variations sur les opéras les plus célèbres, fantaisies, paraphrases, valses de concert, réminiscences… Délicieuses arabesques sur des thèmes d’une grande richesse. Quelques exemples :  « Rigoletto » de Verdi , Faust de Gounod, Don Juan de Mozart (extraordinaire Valentina Lisitsa !),  « la Mort dIsolde » de Wagner (électrique Horowitz !), « Robert le Diable » de Meyerbeer (Earl Wild avait il pris des trucs ?)... Mais aussi l’intégralité des symphonies de Beethoven, Bach, Berlioz, des lieder de Schubert (Erlkönig – Evgeni Kissin !), et des centaines d’autres qu’il est impossible d’évoquer ici.

Ce talent pour la transcription et l’improvisation, Liszt l’a utilisé pour exalter ses origines nationales dans les Rhapsodies Hongroises. Ces thèmes traditionnels hongrois et bohémiens, Liszt les a cousus ensemble pour donner des pièces éloquentes, tour à tour sautillantes et graves, très mélodieuses, comme la célèbre Rhapsodie n°2,( qui donna lieu à un incroyable duel au piano entre Donald et Daffy Duck !), la 6ème, 9ème et la 15ème, « Marche de Rakoczy » brillamment orchestrée par ailleurs par Berlioz (vous vous souvenez de la Grande Vadrouille ? Quand la pop culture s’en empare, c’est souvent bon signe. On ne peut pas être snob toute la journée.)



A Weimar dans les années 1850, Liszt va inventer « la musique de l’avenir », ce qui lui vaudra beaucoup d’admirateurs, et des rivaux perfides ! Ses deux concertos pour piano (1,Argerich, 2, Richter) sont tour à tour impétueux, triomphaux, dionysiaques… Les thèmes s’enchaînent de manière cyclique, et les innovations sont nombreuses, comme l’usage du triangle par exemple ! En dehors du piano, Liszt va surtout innover en dépassant la symphonie classique alors divisée en 3 ou 4 parties avec différents tempi. Le poème symphonique est une nouvelle forme orchestrale, d’un seul tenant, qui décrit un univers issu d’une œuvre littéraire ou d’un fait historique. Par exemple, Mazeppa le pauvre homme attaché à un cheval au galop pour avoir trop câliné une jeune noble polonaise, avant de devenir le grand chef des cosaques (poème dHugo (les Orientales) après avoir lu Byron). Ou, évidemment, « Les Préludes » (Gergiev), d’à peu près Lamartine ? Ses procédés d'orchestration très complexes, qui exaltent toutes les couleurs des instruments, seront abondamment repris par Wagner, qui épousera d’ailleurs la fille de Liszt, Cosima. Liszt en est mort : alors qu’il était malade, sa fille qui avait un sale caractère (elle avait déjà brisé le cœur du pianiste Hans von Bulöw), lui a demandé de venir à Bayreuth pour les Festspiele de 1886. C'était le voyage de trop : il est encore enterré sur place, et ses groupies doivent faire le voyage.

Les thèmes, les recherches, les influences qui ont modelé son œuvre son infinies. Vous voulez en savoir plus sur le séducteur, le mystique, l'homme fasciné par la Mort, le Diable et les Enfers ? Ses études d’exécution transcendante? Son grand duel avec son rival Thalberg ? Sa fascination pour Paganini? La manière dont il traitait ses maîtresses? Pourquoi sa musique tardive a tracé la voie du futur ? Et surtout, que disait de lui Jankélévitch? Impossible de tout dire cette fois ci sans vous lasser et vous jeter dans les bras d'un tube d'Efferlagan. Je vous donne donc rendez vous au prochain post.

lundi 12 décembre 2011


Tentative de come-back

Paresse ! Paresse ! Paresse ! Facilité de l'inaction, tentation de l'édredon, confort de la complaisance ! Molesse épistolaire, capitulation de l'esprit, méchant repli domestique !

J'avais un embryon de public, et je vous ai laissé en rase campagne, devant un blog aussi vide que le frigo d'un rom (ou un discours de Brice Hortefeux). Promis, cela n'arrivera plus. Sinon je m'engage à verser un pourcentage indéterminé de mes recettes publicitaires à une œuvre plus ou moins caritative (ex : campagne d'Eva Joly, refuge de la SPA, soutien aux victimes du poker en ligne et des compagnies low-cost).


En parlant de compagnies low-cost, avez vous acheté le calendrier 2012 des hôtesses de Ryanair ? C'est la preuve qu'on peut réunir esclavagisme aérien et voyeurisme machiste dans la plus grande sérénité. Avec ce chef d'oeuvre, Ryanair nous prouve que les calendriers pour camionneurs ont aussi leur place dans les cockpits. Le shooting s'est manifestement déroulé à Lanzarote, plus célèbre pour ses volcans que pour ses obus. Si vous êtes restés sur votre faim, regardez donc ce making-of coquin qui donne à ce racolage actif un petit vernis de pin-up à la Marylin Monroe.

Comment expliquer ce talent que nous avions à 16 ans pour éreinter notre plume dans de grands élans lamartiniens pour des petites lolitas glaciales, à tenter sans panache le coup du poète maudit dopé aux Nocturnes de Chopin, pendant que les vrais mecs sportifs marquaient des points sur le dance-floor? Et pourquoi aujourd’hui, il est si difficile de noircir l'écran avec quelques mots distrayants? C'est la nature humaine : tout effort mérite une vraie récompense. Dans cette solitude de la rédaction, il faut s'imaginer une belle ukrainienne de l'autre côté du miroir, ou à la limite, un cadre moyen qui ricane vaguement dans son open space. Il faut ce courage pour surmonter une après-midi d'échec à étaler de la pâte de cabillaud suédois sur des Cracottes Leader Price, dans une ambiance de tapis persans, de plantes mortes et de tabac froid.

Bref. Malgré ce silence radio coupable, tout n'est pas perdu, car pendant ces trois semaines je me suis beaucoup interrogé sur la ligne éditoriale qui ferait de ce blog un authentique événement dans le monde étrange du numérique.

Au départ, je pensais créer une plate forme collaborative qui centraliserait toutes sortes de propos réactionnaires, positivistes, nihilistes, pro-motards, anti-motards, féministes, royalistes, naturistes, scientologues, ou favorables au lancer de nains. Je me suis dit : c'est une mauvaise idée : qui aurait le courage de s'aventurer là dedans alors qu'il suffit de regarder TF1 ?

Alors j'ai réfléchi : les gens ont de l'énergie à canaliser en temps de crise, pourquoi pas tout simplement un forum d'incitation à la haine sous couvert de thèmes touristiques pittoresques?Par exemple : « Randonnées en Algérie », « la Trinité sur Mer avec Marine», « les auberges bavaroises d'Argentine», « Nuremberg et Wagner », « les autoroutes de Prusse Orientale»...


Ou sinon, pour les plus généreux d'entre vous, la version plus à gauche : « comment séquestrer son patron en lui infligeant de graves dommages corporels », « je caillasse un camion de pompiers», « je sabote mon usine en 30 mn », « je dors au bureau », « je dors au volant », « je fais du camping urbain », les secrets de la coupe Playmobil d'Arlette Laguiller (j'en profite pour manifester mon admiration devant son épigone Nathalie Artaud, qui applique pour la première fois la continuité capillaire au sommet d'un parti politique). Ou alors un site « Ostalgie », style Good Bye Lenin, avec tous les objets les plus bruts de l'ex-RDA, et une section pour réhabiliter Staline qui, après tout, a donné aux Moscovites un excellent réseau de métro.







Là j'ai réfléchi et je me suis dit : « Niet ». En plus de recevoir une lettre du procureur de la République et des menaces de mort, je vais finir dans un parking souterrain du 93 avec deux Albanais et des chaînes rouillées. Ou alors dans un fût en béton dans la baie de Naples. Et pire encore : les gens me retireront sur Facebook.




Donc je m'en tiens à la plus stricte modération et ce blog restera, sans grande prétention, un prélude à la distraction.