vendredi 11 janvier 2013

Etoile des neiges



Ah, les vacances au ski… dans votre rétro cassé de Polo Fancy, le massif de la Chartreuse s’anamorphose, et déjà vous franchissez les mornes collines qui mènent à la contournante de Lyon, ses aires de repos désertes avec produits régionaux, ses routiers lettons qui lisent en douce des revues X, son Bison Futé orange clair… bref c’est un retour à la vie, la vraie, comme dirait Auchan. De la neige sale sur le bas-côté vous rappelle les origines ludiques de ces vacances de glisse, mais au fond ça commence à sentir le lundi, la ligne 13 du métro, et vos Power Point en retard.


-             Chérie, tu peux mettre le CD de Martha Argerich?
-             F*** y**, je suis pas ton DJ ni Radio Classique
-             Tu peux me passer les Petits Ecoliers ?
-             Ils sont dans le coffre
-             On arrive quand ?
-             Tais toi
-             Mais je...
-             Chut
-             S'il te plaît…
-             Maintenant jusqu'au prochain péage on va jouer au Roi du Silence


Tiens, je savais pas qu'ils passaient encore les Forbans sur Autoroute FM. Quand vous aurez passé Beaune, la dernière porte autoroutière du Sud, il ne vous restera plus qu’à vous laisser lentement mourir en direction de Melun, à peine égayé par les considérations épistémologiques gâteuses mais distrayantes d’un Michel Serres sur France Info, entre deux flashs exclusifs sur la crise de la dette. 

Cette nostalgie vous piquait déjà les yeux à Grenoble devant les derniers vestiges des Alpes, ces énormes plissements de gâteaux géologiques en tranches, qui surplombent les tours de béton et le fameux accélérateur de particules. Dentelle de sapins sur la forteresse qui protège le Vercors ! Pas suffisamment cependant pour empêcher les maquisards de se faire trucider par la Wehrmacht.




Ah la ville de Stendhal, sa mini guerre des gangs, ses quais de l’Isère, une montagne au bout de chaque rue ! Un tremplin vers les neiges. Un peu plus loin, si on remonte vers l’Oisans, on trouve les fonds de vallées glauques des Rivières Pourpres, leurs centrales hydro-EDF, usines sidérurgiques semi-closes sur les bords sombres de la Romanche, foyers Sonacotra d’Algériens subclaquants bien loin du soleil de Constantine.

Hier encore, au sommet des téleskis, j’étais lyrique :

« Je tressaillis devant l’immensité majestueuse qui s’offrait à moi. Les derniers accords du 3ème de Rachmaninov n’auraient pas pu résonner plus fort dans les tréfonds de mon être. Les aiguilles acérées du massif des Ecrins triomphaient dans l’Azur immaculé ! L’aiguille Dibona, altière, la Meije vaincue par Gaspard, le glacier de la Girose, étaient battus par les vents, et la neige aux reflets irisés caressait la peau glacée de la montagne comme un délicat panache de fumée. Ah, s’étendre dans la poudreuse des sommets et contempler toute sa vie la Barre des Ecrins ! Laisser à ses pieds le monde des hommes, sa vanité, et François Hollande, pour siéger sur un Olympe accessible par télésiège ! Me laisser entraîner par l’ivresse surfeuse solitaire, ce libre sentiment de plénitude, fendre de mes lames de carbone les pentes de neige soyeuse à peine écorchées par un pylône… »



Je vais vous calmer tout de suite, vous avez trop lu Byron et Frison-Roche. Le ski, c’est pas un tableau idyllique.

Un jour, les archéologues trouveront les ruines de notre civilisation occidentale dégénérée, et ils se poseront de nombreuses questions. Parmi elles, celle-ci : « que sont venus faire ces milliers de crétins sur ces plates-formes pétrolières d’extraction d’or blanc, à 2000m d’altitude, à se geler par moins trente pour dépenser une année de frustration aliénante derrière Microsoft Excel ? ». C’est pour le moins un paradoxe. Les stations de ski, ce subtil mélange de barres HLM à 2000€ la semaine, de chalets en béton armé plaqué sapin et de Pubs pour hollandais, offrent une évasion toute relative.


Cet amas humain refoule-chamois se caractérise par la consommation de préservatifs et de mozzarella d’une ville italienne de 40000 habitants. Les conditions de logement cosy consistent à s’entasser dans un 9m² en lits superposés, entouré de chaussettes mouillées et de collants en Lycra douteux, dans des effluves de pet non identifié, de fromage à raclette et de mandarines à pépins. L’équilibre alimentaire évolue entre la fondue quotidienne et les soupes en sachet goût asperge, arrosées de gros rouge sucré avec un bout de cannelle qui flotte dedans (on appelle ça du vin chaud, merci, @benmsnl).

Les apparts ont des noms de code, et les bâtiments, comme les pistes, portent le nom d’une montagne du coin, ou d’un col, ou d'une star du ski des sixties presque décédée, avec un numéro, par exemple :


-       Il est où ton appart ?
-     C’est OJ9, à Galibier3. Par contre, pour pas me faire péter ma caisse par les ritals je suis garé à Lautaret22.
-       Ok moi je suis sur Crètes8
-       Demain, on va se faire Bellecombe2 et 3, par le Dome Express, Killy7 et SuperDiable8
-       Super !

Il faut aussi pointer un des problèmes récurrents des stations de ski, c’est leur utilisation abusive du mot super-, ce préfixe latin qui évoque votre plein d’essence (SuperDévoluy, SuperBesse…).

Mais pourquoi pas hyper-, ultra- ou extra- ? Super-, parce que c’est génial, et que c’est au-dessus. Au-dessus de quoi ? D’un ancien village misérable de tailleurs d’ardoises goitreux victimes du crétinisme alpin, aujourd’hui plus enrichi en taxe d’habitation qu’une tribu des Emirats. Avant, ils mangeaient des racines de mélèze et des croûtes de tomme pour finir l’hiver, ils taillaient à mains nues des terrasses pierreuses le long des précipices ; aujourd’hui, les bourgeoises de montagne tiennent des spas, elles sont botoxées et font la moue en vous vendant des Moon Boots en strass à 500€.

Enfin, Super-, c’est un problème récurrent des années 60, avec l’épidémie sémantique relative au nombre « 2000 » (Isola 2000, Sport 2000, Radiocom2000). Eh oui : 2000, c’est le futur meilleur de demain.

En effet, nulle part ailleurs que dans les stations de ski on n’a pu voir éclore une conception aussi biaisée du mythe du progrès, qui ne s’est pas uniquement manifestée par de graves dérives architecturales néocorbusiennes qui ont porté la Courneuve au cœur de la Savoie, grâce aux Ménuires.

Alfred Nobel a créé le prix éponyme afin de se faire pardonner l’invention de la dynamite, et ses effets mortels (pèche à la dynamite en Corse par exemple). Or, le ski, ce sont les vacances à la dynamite : celle qu’on utilise la nuit pour faire péter les avalanches, pendant que vous faites des cauchemars hypoxiques au ClubHotel2000, et celle qu’on utilise pour fragmenter la roche afin de la laminer en boulevards à pistes vertes, et de planter des pylônes gris matelassés rouge vif.






Car le mythe du progrès, ce sont les remontées mécaniques ! Ce divorce pour faute entre le skieur et la montagne. Pour la remercier de sa beauté généreuse, l’homme a hérissé ses sommets d’infâmes poteaux campés sur du béton, reliés par des câbles disgracieux, carrousels à bestiaux, pièges à parapentistes novices. Les télésièges débrayables Pomagalski, c’est tout le charme du métro parisien pour 45 euros par jour. Vous faites la queue, la sueur perle sous vos trois couches de polaire Quechua, et vous badgez avec une carte à puce, comme au bureau, avant de monter à 8 dans un canapé branlant, suspendu par un trombone dans la bourrasque au-dessus du vide pendant 20 minutes, avant de descendre la piste rouge… en trente secondes.



Ramené au temps effectif de descente, la minute de ski est donc plus chère qu’un massage thaïlandais au champagne par Scarlett Johannson dans un Airbus en vol parabolique au-dessus de la Mongolie. Et encore heureux, vous ne faites pas partie des trois morts de la journée rapatriés en hélicorbillard à la Morgue de Bourg d’Oisans – dommage, il fallait prendre l’assurance à 3,5 euros.

Dans cette cohue hébétée, la montagne apparaît comme une curiosité rocheuse, un arrière-plan inerte dans un jeu vidéo style Mario-Kart2000.

Passées ces quelques émotions, les photos Facebook pour emmerder les gens, les trois vins chauds-Chartreuse dans des restos d’altitude sonnants et trébuchants, vous redescendez ivre à la station en slalomant sans vos bâtons (on vous les a volés), vous retirez des chaussures en plastoc vos pieds tuméfiés, et se prépare alors la soirée d’après ski avec les ritals et les anglaises sales de la résidence. En effet, il est temps pour vous de leur montrer le Big Ben français.


La vente massive de mousseux au Super U permet de préparer sereinement un duel entre les CRS de Chambéry et 300 supporters de la Juve débarqués en Volkswagen Touareg  pour le Nouvel An. Même s’ils sont Key Account managers chez Fiat à Turin, ils aiment casser du touriste cisalpin pour Noel, et c’est parti pour la grande fête du Stéristrip, de la bouteille fracassée sur un crâne juvénile, et de la main amputée pour cause de pétard non lancé !



Vous auriez dû partir avec le CE de votre boite faire la chenille à Hurghada derrière Kevin de la compta, plutôt que d'agoniser dans les effluves de bibine, du sang caillé dans les cheveux, le foie dans le même état que l'armée romaine après la bataille d'Andrinople (378), à fixer compulsivement vos pneus neige d'un air désespéré. On vous avait prévenus. Pourquoi les premiers Janvier sont-ils toujours si lugubres? 2013, à nous deux !