samedi 16 novembre 2013

Cyberpunk is back


Le jour s’achève et je suis submergé par un bien-être plus puissant qu’une marée d’équinoxe, quand mon tramway jaune canari m’arrache à mon bureau, et s’enfonce dans une nuit sans étoiles vers ma chambre en contreplaqué monastique. Le jour s’achève, et je bio-hacke mon cerveau au thé Earl Grey pour vous jeter avec brio mes chapelets d’adjectifs apaisants, billets d’humeur cosmiques, volutes de fumée verbale dans la fraicheur nocturne. Je n’ai plus qu’à saisir les substantifs pour vous les servir comme un blogger burger, entre deux tranches de contenu mal grillé. Le sésame, ce sont les accents, le sel des mots. Le jour s’achève, et tu me manques, lecteur, toi qui arpentes une fois de plus la décrépitude délavée des couloirs de la ligne 4, en attendant qu’un RTT meilleur vienne t’arracher au calvaire sans stigmates de ta vie de cadre.



C’est pour ça que je veux t’écrire ce post. J’ai vu deux films récemment : Elysium et Oblivion. Deux
excellentes dystopies cyberpunk. Une dystopie ? C’est le contraire d’une utopie, un univers situé dans un futur déchiré par la folie des hommes et/ou au choix : des catastrophes naturelles, le réchauffement climatique, des guerres civiles ou fratricides, le Jihad, le racisme, le gauchisme, les aliens, ou tout à la fois, généralement dans un monde-bidonville ultra-capitaliste écrasé par un monopole militaro-industriel invincible. Sympa. Chaque dystopie modélise un cauchemar différent : délabré et cynique comme le Détroit en faillite de Robocop, carcéral dans Fortress, eugéniste dans Bienvenue à Gattaca, télévisuel dans le Truman Show, glauque dans Soleil Vert où les pauvres mangent des restes lyophilisés de vieillards suicidés pour survivre, destroy et désertique comme Mad Max, solitaire et extinctionniste comme « I am Legend », au lendemain d’une pandémie, où Will Smith arpente en Dodge Viper un New York vide, peuplé de lions, de gazelles et de zombies nocturnes.

D’autres films surfent sur les peurs millénaristes, comme le blockbuster fast food « 2012 », et sa référence débile au calendrier Maya, ou le navrant Armageddon. Déjà une dystopie, dans les années 20, quand Fritz Lang sidérait le monde avec sa Métropolis visionnaire, ville inhumaine de lumpen-prolétaires dévorés par le Moloch des usines souterraines pendant que les nantis font des orgies à la Otto Dix au sommet de vertigineux buildings art-déco. Le genre a connu des fortunes diverses. Il faut oublier le Manhattan, prison géante, zoo darwinien d'« Escape from New York » avec son Kurt Russell en cow-boy cyclope et barbu. Je vous épargne les naufrages épouvantables de Waterworld et Postman du grandiloquent Costner. Mais récemment, j’ai été agréablement troublé par Time Out d’Andrew Niccol, planté dans un Los Angeles-favela hérissé de check-points pires qu’à Ramallah, que Justin Timberlake franchit à la poursuite du temps. De précieuses secondes, unités de vie dans un monde aseptisé où l’argent a disparu au profit d’une durée de vie inégale entre les riches et les pauvres… 

Le cyberpunk naît quand la technologie avancée et un esprit rebelle viennent se greffer à ces visions maudites de l’avenir. Car le cyberpunk, c’est avant tout l’esthétique du hacker érigé en rock star. L'audace d’un héros seul face au système, qu’il pirate cyniquement à son profit depuis son laptop, pour le faire exploser de l’intérieur. Punk, car dans cet univers post-moderne, post-apocalypse, le futur est déjà passé, et l’avenir est sans espoir. Les villes sont un chaos underground et nihiliste, à la culture globish illisible, des babels privatisées sous tension. La seule action possible du héros cyberpunk, c’est la lutte désespérée, suicidaire, solitaire contre la Matrice, le Système, ou le Conglomérat. Le héros de Watch Dogs, futur bestseller d’Ubisoft, est un misfit qui hacke la ville de Chicago depuis son smartphone. Dans l’univers nocturne du cyberpunk, la technologie engendre un fantastique pessimiste, où le rêve rejoint la réalité virtuelle, comme dans Matrix ; les geeks prennent leur revanche, et bio-hackent leur propre corps, pour devenir des humains augmentés.


Le film cyberpunk par excellence est Blade Runner, thriller noir d’une ville-monde post-tokyoïte où l’on parle le cityspeak, un mélange de japonais, d’allemand et d’espagnol, un anti-espéranto pour prolos. Le Los Angeles de 2019, aux bas-fonds peuplés de putes en plastique et de cinglés, est noyée dans une nuit éternelle, sous une pluie diluvienne. Des bolides volants serpentent entre les torchères de raffineries pétrolières et des buildings gothamiens de proportions inhumaines où brillent de mille LED des pubs Coca-Cola géantes, et des vidéos de Geishas. A cette époque les Etats-Unis rêvaient encore du Japon. 

Dans des appartements boisés rétro-futuristes à la Frank Lloyd Wright, Harrisson Ford traque les réplicants, ces androïdes clonés sans passé ni souvenirs, qui ont décidé de tuer leurs créateurs (un thème constant de la SF, du Frankenstein de Shelley à I, Robot en passant par 2001 l’Odyssée de l’Espace). Ce qui est amusant, c’est que le modèle de fabrication des réplicants est Nexus, comme les tablettes de Google. Une interrogation métaphysique est troublante : qu'est ce qui différencie les androïdes des humains ? Leur manque d'empathie, leur absence de souvenirs, voire leurs souvenirs implantés artificiellement ? Pourtant, Harrison Ford se laisse charmer par la belle Rachael, qui est un Nexus 6. Le film est inoubliable pour les vagues de synthé océaniques de Vangélis nous immergent dans un son d’une puissance wagnérienne, scintillant, fascinant et inquiétant, tandis que se reflètent dans l’iris d’Harisson Ford les flammes et les lumières de la ville-monde.  Métropolis de Fritz Lang est la mère de toutes ces visions hallucinées de babylones du futur, la plus forte, la plus fascinante qui soit, déclinée à l’infini, du Cinquième Élément aux BD d’Enki Bilal.




Elysium n’a évidemment pas le génie narratif de Blade Runner, issu d’une des meilleures nouvelles de Philip K Dick, « Do androids dream of electric sheep ? » En vérité, Elysium a été descendu par la critique, sauf par l’intelligent Wired. Mais j’ai bien aimé ce film pour son atmosphère.

Matt Damon est un ancien braqueur baraqué devenu ouvrier pauvre, sur une planète Terre bidonville poussiéreuse, sous la férule de robots flics très susceptibles pilotés par de méchants humains capitalistes. Ils peuvent vous fracturer un bras pour un regard mal placé : l’intelligence artificielle a beaucoup progressé, les robots comprennent quand on se fout de leur gueule. Contrairement à Soleil Vert où Charlton Heston manque avant tout de pain et de viande, ici il n’y a presque pas de soins médicaux : on vit plus mal qu’à Port-au-Prince en 2013. Pendant ce temps-là, les riches règnent sur la Terre depuis une station orbitale privée nommée Elysium,  un immense Beverly Hills lové dans un anneau spatial de 100km de diamètre, avec golfs, piscines et villas au clair de la Terre, mon ami Pierrot. Des cabines ressemblant à des machines à bronzer leur réparent le corps, ce qui donne aux rupins une santé éternelle. Jodie Foster administre cette station Mir de luxe avec le charme d’une maîtresse d’école psychofrigide en tailleur Chanel. Les réfugiés terriens sans visa qui débarquent en vaisseau spatial sont exterminés sans pitié, alors qu’ils veulent simplement se servir des cabines médicales pour soigner leurs gosses. Horrible.



Gravement irradié dans son usine, Matt Damon n’a plus que 5 jours à vivre, donc plus rien à perdre. Il

devient robin des bois involontaire : une bande de hackers lui greffe un exosquelette directement relié à sa moelle épinière, qui décuple sa force et lui permet de tirer avec des armes relativement méchantes. Parti sur la station spatiale pour se soigner, traqué par des mercenaires, il introduit dans le système un virus volé directement dans le cerveau du patron du directeur de l’usine (on retrouve le thème de l’info stockée dans le cerveau, du cultissime Johnny Mnemonic, un des premiers films sur la réalité virtuelle). Il reboote entièrement le système, ce qui équivaut à une révision constitutionnelle : tous les terriens redeviennent des citoyens à part entière. On devrait expliquer ça à François Hollande. Cette atmosphère est vraiment cyberpunk : bio-hacking, armes dévastratrices,  futur crépusculaire, station spatiale de luxe. Bloemkamp signe ici sa deuxième œuvre de science-fiction après le très réussi District 9, où des aliens débarqués sur Terre se retrouvent parqués dans des camps de réfugiés près de Johannesbourg, sur fond de références à l’apartheid et de milices paramilitaires. Un must.



Elysium fait écho à System Shock, un first person shooter des années 90 qui est une référence absolue du Cyberpunk. Capturé par les membres d’une omni-multinationale après avoir piraté leur système, un jeune hacker est transporté sur une station orbitale, où il lui est greffé un implant neuronal permettant d’interagir avec le système. Quand il se réveille, la station entière est un chaos aux murs couverts de sang : un superordinateur à l’intelligence artificielle redoutable, Shodan, règne sur les lieux et mijote de créer un virus mortel pour contaminer la planète. Quelques zombies massacrés plus tard, il est possible d’affronter Shodan dans un monde de 3D fil de fer à la Tron pour l’anéantir. Avec Doom et Duke Nukem 3D, ce jeu a bercé mon enfance. Je suis un cyberpunk sans le savoir.


Mais je dois reconnaître qu’Oblivion m’a encore davantage transporté. Vous en saurez plus dans mon prochain post.


samedi 2 novembre 2013

Mon post de come-back de la rentrée pour toi, lectorat des autoroutes de l’information.



Bonjour à toi.  Tu m’as manqué. Je voulais t’écrire, mais je n’ai pas senti cet appel des profondeurs, cette étincelle fugace, ce séisme du Génie qui m’ébranle comme un séisme arménien tous les 6 mois, quand je bois 1 litre de Nescafé Leader Price, avec Misty d’Erroll Garner à fond dans les tympans, fumant des Lucky dans mon lit monastique en caleçon Zara, en attendant que se produise sur mon laptop cet ouragan démiurgique et prométhéen, que la dictée de Dieu tombe sur moi comme un Poltergeist dans un Maelström, que mon Doppelgänger le blogueur saisisse le Zeitgeist avec une légère Schadenfreude, et m’inspire ce post fulgurant qui retentira comme l’éclair dans la brume forestière d’Ettlingen (Baden-Württemberg). J’attendais avec une passivité procrastinatrice ces bouffées de self-empowerment, quand retentit sur l’écran mon cri intérieur, plus fort que le brame du cervidé dans la commune voisine de Bad Herrenalb (Forêt Noire).



Je ne t’ai pas entendu non plus me supplier à genoux de revenir sur cette scène cybernétique où je me suis
tant exposé aux quolibets d’une foule vagissante de cliqueurs blasés dont tu fais partie. As-tu réclamé cette Vie de Liszt que je promets à mon entourage depuis 10 ans, quémandé ce post sur le clash Booba-La Fouine sous l’angle des duels de pianistes, ce plaidoyer pour la réouverture des maisons closes Belle Époque, ou mon ode la renaissance du cyberpunk ? Non je ne t’ai pas entendu, sauf toi, @eronoele, et toi, @benmsnl.

J’aime à croire que l’esprit de l’écrivain serait une sorte de capteur photosensible qu’il suffirait de pointer vers l’extérieur pour qu’il s’imprime un texte digne de vos yeux, parce que mon regard est unique, et en même temps, je suis humain comme vous, ô mes semblables qui lisez ce post au péril de votre emploi de consultant intérimaire en système d’infos. Les rêveries à rallonge de Proust les yeux mis-clos, à la tombée de la nuit, à la lisière des rêves (j’ai lu les trois premières pages de la Recherche) nous touchent parce que ce sont les émotions universelles d’un animal humain qui sent, souffre et désire, sauf que la plupart d’entre nous ne savent pas l’écrire… de la même manière que si j’éteins les essuie-glaces de mon chalutier au milieu d’un tsunami, je verrai exactement la même chose que Turner au réveil quand il va à la boulangerie, mais je ne saurai pas le peindre.


Moi blogueur, il y aura toujours de la place pour des informations douteuses, fausses et biaisées, pour l’absence de documentation érigée en système et les rapprochements brumeux, les intros qui font pschitt, les plans en une partie sans idée-force, sans ligne de partage, sans ligne rouge ou verte. Moi blogueur, la paresse, la procrastination et la mauvaise foi auront leur droit de cité sur la Toile. Moi blogueur, le découragement, la dépression et la dévalorisation de soi trouveront toujours une esthétique et un relais de croissance. Moi blogueur, une plume baveuse masquera toujours l’indigence du raisonnement, un poème pillé remplacera sans lustre la lyre hugolienne. Moi blogueur, je n’aurai de cesse d’affirmer contre vents et marées que l’amitié franco-allemande est soluble dans la colocation avec un cinglé, le recyclage des bouteilles consignées, et qu’une guerre chimique pourrait toujours avoir lieu pour des raisons gastronomiques.


Mais moi blogueur, vous ne trouverez pas plus grand chantre de l’héroïsme pianistique, meilleur rhapsode de l'écoute dy 1er concerto de Medtner dans une Golf Essence à l'ombre des sapins noirs des Ardennes, quelque part à la frontière belge, un soir de Novembre 2007. C’est pour ce type de moments que mon blog existe. Pour ces pensées solaires de 15h37. C’est pour regarder  le fleuve vitreux qui me traverse, y pécher des poissons d'or poétiques et vous les servir en bâtonnets d'adjectifs panés. C’est pour oublier que vous faites un triple menton devant Outlook. C’est pour oublier que le dernier livre que vous avez lu, c’était le mode d’emploi de votre poupée gonflable. C’est pour oublier le flap-flap pathétique de la chauve-souris de vos espoirs contre la vitre froide du Réel. Pour oublier que vos idéaux ont sombré comme un uBoot rouillé dans le fjord glauque du pack Office.

Comme le montre au quotidien un séjour en Allemagne, la vie d’un homme est une série d’épreuves initiatiques qu’il convient de surmonter par la pratique régulière d’un sport-alibi et de l’écriture automatique.


Je trempe donc ma plume dans du Jägermeister et j’y retourne.