lundi 14 novembre 2011


Lazy teaser

Comme le disait Keynes, à long terme, nous serons tous morts. Le moyen terme n'est pas plus réjouissant : le marché de l'emploi ressemble à un no man's land couvert de barbelés rouillés, les actualités sont aussi marrantes qu'un Requiem de Mozart chanté par des inspecteurs de l'URSSAF, avec Lionel Jospin aux percussions et Arnaud Montebourg au pipeau.

L'économie est asthmatique en ce début d'hiver, et l'innovation consiste à développer de nouvelles applications très spirituelles sur l'Iphone, comme « Juif ou pas juif », celle qui souffle les bougies d'anniversaire, ou celle qui localise les toilettes publiques par GPS. Ce bond technologique est infiniment plus important que la découverte de la pénicilline par Alexander Fleming, ou celle de la structure de l'ADN par Crick et Watson. Eh oui, comme le chantait déjà Jamiroquai en 1996 : Futures made of virtual insanity now / ( …) For useless, twisting, our new technology (…). La profusion de gadgets sur batteries, le bruissement permanent des appels et des emails, le ronronnement des ordinateurs, leur indifférence à votre labeur d'ouvrier du savoir, tout cela ne ferait pas émerger un violent sentiment de haine pour les nouvelles technologies ? Une volonté de revenir à zéro dans une vieille baraque de pêcheur en Lettonie, avec sa batte et son couteau, en communion avec la nature ?


Ce développement imprévu vient de démontrer que le moyen terme n'est pas top. Il faut donc se distraire à très court terme pour détourner notre regard du néant de notre condition, celle d'un pet dans le souffle géant de l'Univers, comme le disait de manière moins triviale notre ami Blaise, l'Auvergnat le plus intelligent avec les frères Michelin.

Je vous propose donc de me suivre au métro Porte de Pantin autour du génie de Paul Klee. N'hésitez pas à faire le voyage, qui vous fera découvrir un nouveau visage de Paris, plus varié que l'insipide 7ème arrondissement. Pourquoi consacrer une exposition à un peintre moderne obsédé par la couleur à la Cité de la Musique, en la nommant de surcroit « Polyphonies » ? En fait, Paul Klee était un très bon joueur de violon, et la musique a eu une profonde influence sur sa peinture. Et l'harmonie en peinture se rapproche plus que vous ne le pensez des harmonies musicales.

Vous saurez pourquoi dans le prochain post !

dimanche 6 novembre 2011



Nos amis les dépressifs norvégiens

Vous allez mal en ce début d'hiver ? Elle vous a largué alors que c'était la première à la fois sexy et passionnée par la crise de la dette? Vous allez vous jeter d'un pont parce que le soleil se couche à 16h48 ? Comme les Écossais de Glasgow, vous n'avez pour seul horizon que la bière brune, les paris sur les combats de chiens et les rixes avec des tessons de bouteille ?

Dans ce cas n'allez pas voir l'exposition sur Edvard Munch, le peintre dépressif norvégien*. Vous risquez de faire une grave rechute et de finir sous neuroleptiques, à écouter des Nocturnes de Chopin en éclusant du mauvais whisky, devant Michel Drucker.

Je souris encore en songeant aux commentaires bien pensants sur cette exposition, par ailleurs très réussie : « Une idée reçue fait de Munch un artiste reclus, en proie à de violentes angoisses, dépressif, une âme tourmentée ». Non, c'est vrai ? Il faudrait donc montrer une autre face de l'artiste, sans la peur panique protéiforme du fameux Cri, (la Joconde des norvégiens, qui n'a pas fait le voyage, car on leur a déjà piqué deux fois). Beaubourg présenterait donc un Munch tardif ouvert sur le monde, lisant les journaux, passionné de théâtre. Il était en effet mordu de son polaroid de l'époque (« une vieille boîte avec laquelle j'ai pris d'innombrables photos de moi même, ») et filmait ses potes avec une sorte de caméra super 8.


Belle métaphore de la fusion amoureuse, version nordique

Je vous préviens tout de suite : si un membre de votre entourage se met à peindre comme ça, faites le hospitaliser d'office. Certes, Munch est un génie visionnaire, à la croisée du fauvisme et de l'expressionnisme. Certains de ses paysages ont une beauté onirique, irréelle, où le turquoise et le jaune étincelant viennent illuminer l'oeil du spectateur. Mais ses toiles sont aussi peuplées de fantômes, d'ombres et de reflets de lune, de formes étirées, à décrypter comme autant de signes et d'obsessions (la course du temps, la maladie, l'amour, la mort). Les perspectives fuyantes, l'horizon tourmenté, la lumière oppressante, les intérieurs étouffants donnent un sentiment d'enfermement mental que nous n'avions pas ressenti peut être depuis le Spleen de Baudelaire « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle »...


Chez Munch, les meurtriers ont un visage vert et décomposé quand ils fuient une scène de crime aux couleurs surnaturelles. Une femme debout en pleurs est représentée 5 fois dans sa chambre, compulsivement. Munch aimait se répéter : il se peignait aussi chaque année, pour conjurer son propre vieillissement. Un peu alcoolo sur les bords, il posait avec ses bouteilles préférées. Il montre même un homme sortant la chevrotine à ses visiteurs après avoir vidé son bar. Bref, un bon client pour les maisons de repos. Enfin, au rayon « art et ophtalmologie », un petit frisson : Munch jette sur le papier les tourments de sa vision déclinante, des globes visuels remplis de tâches noires et de fissures, avec une écriture griffonante. Des dessins à faire passer Shining de Kubrick pour un conte de fées...

Bref, on sort de là en se disant que les anti-dépresseurs ont empêché à toute une génération d'artistes peintres, compositeurs et poètes suicidaires de voir le jour (à l'exception de Kurt Cobain, Amy Winehouse et peut être Mike Brant). Cette exposition vient confirmer le goût des français pour la déprime, au sens médical, ou artistique ; souvenez vous de l'exposition « Mélancolie, génie et folie en Occident », qui avait fait un véritable carton en 2005 !

Et les Norvégiens ? Ils ont de la chance peut être ? Cet émirat pétrolier de vikings mal dégrossis est passé de la pèche à la morue au pétrole offshore en moins de 40 ans. Richissimes, ils ont les plus beaux paysages d'Europe, des Iles Lofoten qui tombent comme des lames de rasoirs dans le cercle polaire, aux fjords wagnériens qui combinent le charme des Alpes et celui de Costa Croisières.


Ce pays passe pour un paradis terrestre où les handicapés gagnent autant qu'un cadre sup bulgare, l'agriculture, tellement subventionnée qu'une simple vache est plus riche qu'un Ougandais, où les filles blondes en short partent faire un an le tour du monde, et surtout, pour les geeks des frontières, le seul endroit sur terre où se rencontrent 3 fuseaux horaires en un seul point. Comme il fait nuit tout l'hiver, la vente d'alcool est contrôlée par la sécu.

Alors certes, parfois un chanteur de black metal fait brûler une église, certes parfois un fou sanguinaire fasciste déguisé en GI-Joe massacre 68 enfants sur une île, mais au fond cette société reste pacifique, prospère, un rien casanière. D'ailleurs, si vous faites du stop en Norvège, sachez que personne ne vous prendra, sauf au bout d'une heure, un Iranien, un Australien, ou des Coréens (si vous êtes asiatique). Les norvégiens n'aiment pas prêter leur Volvo.

Nous approfondirons plus tard sur la Norvège, notamment le mystère des ø et des å, comment les sous marins soviétiques venaient dire bonjour à l'OTAN au fond des fjords, les ours blancs du Spitzberg, et pourquoi le Big Mac Index y est le plus élevé du monde, ce qui transforme les touristes bourgeois français en Moldaves faméliques.

Cet instantané nous permet de conclure de manière laconique : la Norvège est le pays d'un seul écrivain (Ibsen), un seul compositeur (Grieg), et manifestement, un seul peintre, notre ami Edvard le dépressif.

*prononcez « Mounck », sinon vous serez la risée de tous




jeudi 3 novembre 2011


Triomphe matinal

Avez vous déjà cherché un job ? Concrètement, voilà ce que ça signifie : vous émergez vaguement vers 9h42, épuisé d'avoir trop dormi. Robe de chambre odorante, un gros mug de Nescafé trop chaud devant BFM TV pour savoir si oui ou non l'euro s'est effondré, par simple catastrophisme.

Puis un regard rapide sur votre boite mail. Elle est vide, remplie de spams avec des titres racoleurs (Free Viagra, cheap penis enlargment, kinky russian pornstars, US greencard lottery). Des réponses négatives, aussi : « malgré vos dix ans d'études et votre génie incompris, nous avons préféré prendre un stagiaire /regrettant votre humour décalé à la machine à café, nous vous souhaitons toutefois un bon échec »

Ensuite, vous allez sur Facebook. Là c'est encore pire : vous souffrez, car aller sur Facebook, c'est se sentir inférieur (cf Adler sur le complexe d'infériorité). Des gens attirants et bronzés postent des photos de leur dernier road-trip en Australie/Argentine/Mongolie/Népal (au choix), distillent des indices intolérables sur leur vie réussie (a étudié à HEC-ENA-Harvard, docteur en gynécologie), habite Hong-Kong (China), parle cantonais et norvégien, et bien sûr je suis broker, je roule en Cayenne, j'ai tellement de « Miles » sur mon AMEX que je peux te payer deux tours du monde en Business.

Si vous n'avez pas trouvé l'âme sœur*, votre mélancolie éclate au grand jour devant les photos de mariage de votre ex, ou de la belle cousine que vous avez aimé secrètement car elle avait maigri, avant qu'elle n'embrasse sous vos yeux merdiques un minet bien coiffé dans une soirée de rallye. Le rituel du mariage, vous le connaissez, et au fond vous l'aimez bien : château de location en Normandie, voiture de collection retapée à la sortie de la messe, grosse éclate – mesurée - sur le dancefloor avec des classiques relatifs comme « le sunlight des tropiques », « danser le jerk », ou pire, l'Aventurier « Bob Morane - Indochine – 1982». Ces chansons étaient très pointues, so eigthies, limite hype, avant que votre grand tante ne les salisse en dansant le rock dessus. Mais avec 5 ou 10 coupes de champagne on finit par bien s'amuser parce qu'on a le même ADN, et au fond, c'est mieux qu'une salle des fêtes dans les Ardennes ! Et enfin, plus bas dans votre navigateur, la photo du dernier bébé, ou pire, de la lune de miel à Santorin/Kenya/ Ile Maurice, alors que l'exotisme dans votre vie se résume au resto chinois à volonté en bas de chez vous.

Vous avez surmonté Facebook. Pendant un quart d'heure ensuite, vous regardez les offres d'emploi. C'est un minimum : vous êtes payé 1500 euros pour faire ça. Généralement elles sont à 1h de métro, mal payées - pour se lever le matin, il faut un CV en anglais ou pire, une lettre de motivation. Vous avez très peur des titres des offres : « Consultant technico-fonctionnel SAP ABAP FD / Chef de projet maîtrise d'oeuvre réseaux /juriste confirmé IT et externalisation ». Oublions ça : c'est trop dur. On retournera plus tard sur le site de « Sciences Po Avenir » (traduction: à poil avec ton diplôme)

Comme au fond vous êtes cultivé, car votre bibliothèque est remplie de livres très chers sur l'Art Hellénistique et Sumérien, vous vous considérez comme un chevalier des Arts et des Lettres contrarié, vous écoutez donc cette Suggestion Diabolique de Prokofiev interprétée par Andrei Gavrilov. Vous vous dites que décidément, c'est d'une virtuosité démoniaque, et que si vous aviez bossé un peu plus, vous seriez déjà pianiste, à triompher sur toutes les scènes mondiales sous les roses et les baisers des admiratrices.

Ensuite, comme vous êtes devenu un peu altermondialiste (à la marge) depuis votre éloignement du job market, vous lisez un peu ce bouquin fleuve de Naomi Klein, « La Stratégie du Choc ». C'est étrange, cette théorie selon laquelle de méchants néoconservateurs ultralibéraux guettent chaque catastrophe pour nous imposer un capitalisme de cow-boys fondé sur McDo et le waterboarding de la CIA. Tout comme un psychiatre tordu qui balance des électrochocs en espérant faire de son patient soumis une nouvelle page blanche, qu'il espère réécrire selon sa volonté (ce qui n'est pas sans rappeller l'excellent Vol au dessus d'un nid de coucou de Milos Forman)

Vous regardez un bout du live à Vienne de Lang Lang, en vous disant que décidément, les Chinois n'exportent plus seulement des soupes aux nouilles et des Ipad, mais aussi des pianistes fort honorables, comme la tumultueuse Yuya Wang, ou Yundi Li, vainqueur du concours Chopin en 2000.

C'est alors qu'arrive l'heure tant attendue du déjeuner. Vous vous apprêtez à ouvrir une boite de thon et une bouteille de rosé. C'est dommage, ils ont supprimé les Simpsons sur W9 : on va regarder BFM TV pour se plonger à nouveau dans le bruissement du monde selon l'AFP, depuis cette belle cachette où vous voyez l'économie s'affaisser sans trop vous salir. Le CAC 40 a perdu 5%. La matinée s'est mal terminée.

Ne manquez pas mes prochains posts sur les séries allemandes de l'après-midi, la figure héroïque de Franz Liszt et la Funemployed attitude® , ou comment faire rimer recherche d'emploi avec une bonne estime de soi.

*Disclaimer : ce n'est pas mon cas