dimanche 6 novembre 2011



Nos amis les dépressifs norvégiens

Vous allez mal en ce début d'hiver ? Elle vous a largué alors que c'était la première à la fois sexy et passionnée par la crise de la dette? Vous allez vous jeter d'un pont parce que le soleil se couche à 16h48 ? Comme les Écossais de Glasgow, vous n'avez pour seul horizon que la bière brune, les paris sur les combats de chiens et les rixes avec des tessons de bouteille ?

Dans ce cas n'allez pas voir l'exposition sur Edvard Munch, le peintre dépressif norvégien*. Vous risquez de faire une grave rechute et de finir sous neuroleptiques, à écouter des Nocturnes de Chopin en éclusant du mauvais whisky, devant Michel Drucker.

Je souris encore en songeant aux commentaires bien pensants sur cette exposition, par ailleurs très réussie : « Une idée reçue fait de Munch un artiste reclus, en proie à de violentes angoisses, dépressif, une âme tourmentée ». Non, c'est vrai ? Il faudrait donc montrer une autre face de l'artiste, sans la peur panique protéiforme du fameux Cri, (la Joconde des norvégiens, qui n'a pas fait le voyage, car on leur a déjà piqué deux fois). Beaubourg présenterait donc un Munch tardif ouvert sur le monde, lisant les journaux, passionné de théâtre. Il était en effet mordu de son polaroid de l'époque (« une vieille boîte avec laquelle j'ai pris d'innombrables photos de moi même, ») et filmait ses potes avec une sorte de caméra super 8.


Belle métaphore de la fusion amoureuse, version nordique

Je vous préviens tout de suite : si un membre de votre entourage se met à peindre comme ça, faites le hospitaliser d'office. Certes, Munch est un génie visionnaire, à la croisée du fauvisme et de l'expressionnisme. Certains de ses paysages ont une beauté onirique, irréelle, où le turquoise et le jaune étincelant viennent illuminer l'oeil du spectateur. Mais ses toiles sont aussi peuplées de fantômes, d'ombres et de reflets de lune, de formes étirées, à décrypter comme autant de signes et d'obsessions (la course du temps, la maladie, l'amour, la mort). Les perspectives fuyantes, l'horizon tourmenté, la lumière oppressante, les intérieurs étouffants donnent un sentiment d'enfermement mental que nous n'avions pas ressenti peut être depuis le Spleen de Baudelaire « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle »...


Chez Munch, les meurtriers ont un visage vert et décomposé quand ils fuient une scène de crime aux couleurs surnaturelles. Une femme debout en pleurs est représentée 5 fois dans sa chambre, compulsivement. Munch aimait se répéter : il se peignait aussi chaque année, pour conjurer son propre vieillissement. Un peu alcoolo sur les bords, il posait avec ses bouteilles préférées. Il montre même un homme sortant la chevrotine à ses visiteurs après avoir vidé son bar. Bref, un bon client pour les maisons de repos. Enfin, au rayon « art et ophtalmologie », un petit frisson : Munch jette sur le papier les tourments de sa vision déclinante, des globes visuels remplis de tâches noires et de fissures, avec une écriture griffonante. Des dessins à faire passer Shining de Kubrick pour un conte de fées...

Bref, on sort de là en se disant que les anti-dépresseurs ont empêché à toute une génération d'artistes peintres, compositeurs et poètes suicidaires de voir le jour (à l'exception de Kurt Cobain, Amy Winehouse et peut être Mike Brant). Cette exposition vient confirmer le goût des français pour la déprime, au sens médical, ou artistique ; souvenez vous de l'exposition « Mélancolie, génie et folie en Occident », qui avait fait un véritable carton en 2005 !

Et les Norvégiens ? Ils ont de la chance peut être ? Cet émirat pétrolier de vikings mal dégrossis est passé de la pèche à la morue au pétrole offshore en moins de 40 ans. Richissimes, ils ont les plus beaux paysages d'Europe, des Iles Lofoten qui tombent comme des lames de rasoirs dans le cercle polaire, aux fjords wagnériens qui combinent le charme des Alpes et celui de Costa Croisières.


Ce pays passe pour un paradis terrestre où les handicapés gagnent autant qu'un cadre sup bulgare, l'agriculture, tellement subventionnée qu'une simple vache est plus riche qu'un Ougandais, où les filles blondes en short partent faire un an le tour du monde, et surtout, pour les geeks des frontières, le seul endroit sur terre où se rencontrent 3 fuseaux horaires en un seul point. Comme il fait nuit tout l'hiver, la vente d'alcool est contrôlée par la sécu.

Alors certes, parfois un chanteur de black metal fait brûler une église, certes parfois un fou sanguinaire fasciste déguisé en GI-Joe massacre 68 enfants sur une île, mais au fond cette société reste pacifique, prospère, un rien casanière. D'ailleurs, si vous faites du stop en Norvège, sachez que personne ne vous prendra, sauf au bout d'une heure, un Iranien, un Australien, ou des Coréens (si vous êtes asiatique). Les norvégiens n'aiment pas prêter leur Volvo.

Nous approfondirons plus tard sur la Norvège, notamment le mystère des ø et des å, comment les sous marins soviétiques venaient dire bonjour à l'OTAN au fond des fjords, les ours blancs du Spitzberg, et pourquoi le Big Mac Index y est le plus élevé du monde, ce qui transforme les touristes bourgeois français en Moldaves faméliques.

Cet instantané nous permet de conclure de manière laconique : la Norvège est le pays d'un seul écrivain (Ibsen), un seul compositeur (Grieg), et manifestement, un seul peintre, notre ami Edvard le dépressif.

*prononcez « Mounck », sinon vous serez la risée de tous




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