mardi 20 décembre 2011

Franz Liszt Superstar




« Mon piano est pour moi ce qu'est la frégate pour le marin, le cheval pour l'Arabe - plus encore! Ce fut jusqu'ici mon moi, mon langage, ma vie ». 


Au-delà des évènements inutiles qui ponctuent notre année (Fête des mères, mort de dictateurs, Téléthon, discours de Nicolas Sarkozy), je vous propose de retenir un des seuls qui vaille la peine d’écrire quelques lignes : 2011, pour dix jours encore, est l’année Franz Liszt. S’il était encore vivant, il aurait 200 ans ! Et il nous manque tellement ! Si vous n’êtes pas d’accord, écoutez ceci.

La vie de Liszt est un roman : c’est le titre d’une de ses biographies. Comment résumer en quelques lignes une personnalité extravertie et généreuse, d'un pianiste virtuose, transcripteur de génie, compositeur iconoclaste, dragueur, poète, rockstar, abbé !

Enfant prodige, il quitte les bords insalubres du Neusiedler See pour un premier roadshow dans l’Europe entière, de Paris à Vienne. Il prend des cours avec Czerny et Salieri, le rival de Mozart (vous avez vu « Amadeus » ?). Impressionné par une belle improvisation, Beethoven l’aurait pris dans ses bras pour lui prédire un grand avenir ! Etranger, il est refusé au conservatoire de Paris en 1823 par un Cherubini plus méchant que Claude Guéant – mais ce fut un cadeau, car être autodidacte sera sa plus grande force : toute sa vie, il sera un infatigable innovateur, surmontant les règles de la musique du passé. Il donne des cours et s’éprend d’une élève, Caroline de St Cricq : ils entretiennent une belle relation platonique, donnant lieu à une méchante déception amoureuse quand le père ministre refuse de la donner à un saltimbanque. Toute sa vie d’ailleurs, dans ses écrits,  Liszt réfléchira à la place de l’artiste dans la société, à la fois source de la Beauté, mais aussi simple amuseur des puissants de ce monde.

Tous les Werther vous le diront : les amours adolescentes laissent des blessures indélébiles. Mais Liszt sera toujours entouré de femmes, et l’amour est un thème majeur de son œuvre. Il est resté célèbre pour avoir  enlevé sa maîtresse Marie d'Agoult à son vieux mari, pour s'enfuir en Suisse et en Italie! Martha Argerich considère que Liszt comme « Eros en personne », Nietzsche, plus sévère, parle de son style, « pour plaire aux femmes » : quand la verve, l’audace, l’habileté triomphent sur le clavier, la musique prend les chemins détournés de la séduction. Parfois, c’est dans un mode onirique, comme dans ce nocturne, le Rêve damour N°3, tellement sentimental, comme si des chérubins volaient sur le clavier ! Ou la spectaculaire étude « Un sospiro », séraphique, aérienne. Ces caresses voluptueuses… Cela rappelle un peu cette Etude-Tableau de Rachmaninov aussi suave que redoutable pour le pianiste.

La séduction, c’est un faible mot. Liszt est la première rock-star de l’histoire*. Il fréquente la haute société, devient ami avec Chopin, Wagner, Rossini, Dumas,George Sand. Il tourne le piano vers la salle pour qu’on voie ses mains : c’est l’invention du récital. De 1839 à 1848, il sillonne l’Europe entière en train, en diligence ou en bateau. Sa virtuosité, sa présence scénique, son allure élancée de dandy conquérant magnétisent les foules. Accueilli comme un empereur dans les grandes capitales, il donne ses bénéfices aux œuvres de charité. Les femmes tombent devant lui, s’arrachent ses mouchoirs et ses gants : des scènes d’hystérie qui ne se reproduiront pas avant les Beatles et les Stones. C’est la « Lisztomania » dénoncée par Henri Heine, célébrée avec élégance par le groupe Phoenix : les gens deviennent fous, et Liszt entretient le mythe. Son « Grand galop chromatique » est un morceau de bravoure autant que les solos de guitare de Joe Satriani ou de Jimi Hendrix. Les caricaturistes le représentent dans un cirque, perché sur des chevaux portant un piano !

          Liszt (joué par Sviatoslav Richter) rencontre Glinka à St Petersbourg - Regardez à partir de 2 mn

Mais la performance de l’interprète n’est pas une fin en soi. Compositeur à plein temps dès 1848, Liszt va pousser le piano dans ses derniers retranchements, transcender la technique pianistique pour la mettre au service de ses idées musicales : il va donner au piano une voix universelle, une puissance d’orchestre. Il va inventer un langage musical sans lequel Grieg, Ravel, Rachmaninov et Prokofiev n’auraient pas existé.

Il transcrit inlassablement les œuvres de ses contemporains : il rédige des centaines de variations sur les opéras les plus célèbres, fantaisies, paraphrases, valses de concert, réminiscences… Délicieuses arabesques sur des thèmes d’une grande richesse. Quelques exemples :  « Rigoletto » de Verdi , Faust de Gounod, Don Juan de Mozart (extraordinaire Valentina Lisitsa !),  « la Mort dIsolde » de Wagner (électrique Horowitz !), « Robert le Diable » de Meyerbeer (Earl Wild avait il pris des trucs ?)... Mais aussi l’intégralité des symphonies de Beethoven, Bach, Berlioz, des lieder de Schubert (Erlkönig – Evgeni Kissin !), et des centaines d’autres qu’il est impossible d’évoquer ici.

Ce talent pour la transcription et l’improvisation, Liszt l’a utilisé pour exalter ses origines nationales dans les Rhapsodies Hongroises. Ces thèmes traditionnels hongrois et bohémiens, Liszt les a cousus ensemble pour donner des pièces éloquentes, tour à tour sautillantes et graves, très mélodieuses, comme la célèbre Rhapsodie n°2,( qui donna lieu à un incroyable duel au piano entre Donald et Daffy Duck !), la 6ème, 9ème et la 15ème, « Marche de Rakoczy » brillamment orchestrée par ailleurs par Berlioz (vous vous souvenez de la Grande Vadrouille ? Quand la pop culture s’en empare, c’est souvent bon signe. On ne peut pas être snob toute la journée.)



A Weimar dans les années 1850, Liszt va inventer « la musique de l’avenir », ce qui lui vaudra beaucoup d’admirateurs, et des rivaux perfides ! Ses deux concertos pour piano (1,Argerich, 2, Richter) sont tour à tour impétueux, triomphaux, dionysiaques… Les thèmes s’enchaînent de manière cyclique, et les innovations sont nombreuses, comme l’usage du triangle par exemple ! En dehors du piano, Liszt va surtout innover en dépassant la symphonie classique alors divisée en 3 ou 4 parties avec différents tempi. Le poème symphonique est une nouvelle forme orchestrale, d’un seul tenant, qui décrit un univers issu d’une œuvre littéraire ou d’un fait historique. Par exemple, Mazeppa le pauvre homme attaché à un cheval au galop pour avoir trop câliné une jeune noble polonaise, avant de devenir le grand chef des cosaques (poème dHugo (les Orientales) après avoir lu Byron). Ou, évidemment, « Les Préludes » (Gergiev), d’à peu près Lamartine ? Ses procédés d'orchestration très complexes, qui exaltent toutes les couleurs des instruments, seront abondamment repris par Wagner, qui épousera d’ailleurs la fille de Liszt, Cosima. Liszt en est mort : alors qu’il était malade, sa fille qui avait un sale caractère (elle avait déjà brisé le cœur du pianiste Hans von Bulöw), lui a demandé de venir à Bayreuth pour les Festspiele de 1886. C'était le voyage de trop : il est encore enterré sur place, et ses groupies doivent faire le voyage.

Les thèmes, les recherches, les influences qui ont modelé son œuvre son infinies. Vous voulez en savoir plus sur le séducteur, le mystique, l'homme fasciné par la Mort, le Diable et les Enfers ? Ses études d’exécution transcendante? Son grand duel avec son rival Thalberg ? Sa fascination pour Paganini? La manière dont il traitait ses maîtresses? Pourquoi sa musique tardive a tracé la voie du futur ? Et surtout, que disait de lui Jankélévitch? Impossible de tout dire cette fois ci sans vous lasser et vous jeter dans les bras d'un tube d'Efferlagan. Je vous donne donc rendez vous au prochain post.

4 commentaires:

  1. Ah ah Merci Msnl j'aime quand tu sais reconnaître l'excellence

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  2. Finalement, DSK me parait bien fade à côté de ce bon vieux Franz

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  3. Personne n'a jamais autant chopé (à part Mitterrand, Garcimore et Rocco)

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