Je suis fasciné par l’obélisque bordé de griffons aligné sur le mausolée du père fondateur de la ville, cette pyramide maçonnique de grès sombre. A moins que ce ne soit de l’égyptomanie ? Pas assez ésotérique en tout cas pour les punks - les derniers du monde - qui descendent des bières avachis sur son plan incliné. Ils ne troublent pas le repos de Karl – seine Ruhe. Au loin, derrière la cheminée en céramique des anciens thermes, on devine les premières collines verdoyantes de la Forêt Noire.
Le tram évite les cratères du
métro en formation, traverse la Kriegstrasse (rue de la guerre), bien plus longue
que la Friedenstrasse (rue de la paix), cahote vers le Sud-Ouest et ses tours soviétiformes
bordées de pelouses grasses où batifolent des lapins en chaleur. Un skate park
bon enfant et une piscine géante : je suis arrivé au bureau. A voir cette
esplanade de béton brut, on se croirait en Ukraine mais en réalité c’est la
région la plus riche d’Allemagne. L’immense logo bleu et blanc de mon employeur
me regarde d’un œil amusé tandis que je me hâte là où se déploie mon temps de
cerveau disponible : mein Büro. L’odeur du café flotte dans les étages, et
la moquette amortit mon pas lourd. La journée commence. Comme j’ai de la chance
d’avoir des collègues qui supportent ma logorrhée verbale, mon humeur
bipolaire, mon humour édifiant, ma compétence aléatoire, et par-dessus tout,
mes remarques éminemment inutiles !
(…) Ma journée ? Elle est
déjà terminée. Déjà ? Oui, les Allemands n’ont pas ce culte de la présence
qu
i conduit tant de couples parisiens à la rupture et au whisky d’appartement. Je vais pouvoir me consacrer à mon activité favorite, que j’ai presque poussée jusqu’à l’overdose : les bains.
i conduit tant de couples parisiens à la rupture et au whisky d’appartement. Je vais pouvoir me consacrer à mon activité favorite, que j’ai presque poussée jusqu’à l’overdose : les bains.
Les bains ? Oui, les
Allemands, ce peuple de nudistes, ont poussé le fanatisme thermal à des
extrémités que nul ne peut se représenter. Ici, nous ne sommes pas réconfortés
par le soleil maternant de la méditerranée, sa lumière dorée qui irradie tout,
sa chaleur écrasante qui fait éclater les pierres… Nous sommes loin des ruines
de Tipasa où Camus célébrait ces Noces de l’homme et de la Terre, entouré
d’oliviers plongés dans l’azur profond.
Les Allemands ont trouvé la
solution : le sauna.

Le sauna ? Cette enceinte nordique
sacrée où l’ouvrier et le juge, le chômeur et le rentier, le gros tatoué et la
strip-teaseuse piercée fraternisent ensemble, unis dans la sueur, nus dans cet
Eden chauffé à blanc, l’œil fixé sur les pierres brûlantes et le sablier
salvateur !
Le sauna, ce délire de finnois,
cette cabane de Carélie qui nous chante un étrange Kalevala !

show de GO du Club Med. Aufguss signifie humidification. Un type en tongs et gilet fluo entre dans la pièce brûlante, avec un immense seau rempli d’eau parfumée. Il dégaine sa louche : c’est le signe qu’on va déguster. L’eau crépite sur les pierres chaudes, et ce cinglé agite une serviette qui tournoie furieusement, nous expédiant Ad Patres dans des volutes de vapeur à 100°. Ca s’évapore, la sueur perle sur la peau, le smicard à la serviette rit et hurle, il débite du babil badois, c’est l’enfer de Dante ! Deux fois, trois fois, c’est extrême, des ruisseaux s’écoulent de mon front sur ma serviette écarlate, tachant le nom des thermes brodé dessus : « Europabad ». Mon voisin me passe un bloc de glace. Il fond sur mon cou et le donne l’illusion de la fraicheur. Terrassés, assommés, nous sommes fascinés par la virtuosité de ce desperado, qui frôle la crise cardiaque pour brasser de la vapeur 5 fois par jour. Sortir maintenant du saune serait une trahison pour lui. Une révérence, des applaudissements : l’Aufguss est terminé. Il est lessivé, nous sommes cuits.
Une douche froide, un bain
glacial, et je m’étends, frissonnant, sur mon transat mou. J’oublie le temps et
les tracas du bureau. Etouffé par les vitres, me parvient au loin le chant de
la voie rapide, et je me plonge dans la lecture du Nouveau Détective. Une
salade grecque m’attend au bar.
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