samedi 16 mars 2013

Le panthéon des pianistes-compositeurs (2) - Léopold Godowsky


Leopold et Charlie
J’écoutais le prélude du Rheingold dans le TGV Est en pleurant à chaudes larmes, et comme toujours dans ces moments-là, je me suis posé des questions sur la musique. Même si je ne sais pas jouer une simple note, comme vous le savez je suis un mélomane compulsif et obsessionnel, avec une névrose de répétition de mes morceaux préférés. Mon érudition déclinante aurait été plus pétillante si j'avais écrit cet article il y a dix ans, à l'époque où je lisais aux WC toutes les notices des centaines de CDs de piano que je possédais. J'étais un geek célibataire à l'époque. Mais WTf, pas vrai ?



Il existe dans le panthéon du piano des locataires prestigieux qu’on oublie de visiter. Je vous parle de ces compositeurs-pianistes de l’âge d’or, qui savaient se tenir, avec un brandy dans le salon des premières classes de Southampton, en esquissant un nocturne de Chopin. Hoffmann, Lhevinne, Moiseiwitsch  Rosenthal, Rachmaninov himself, ces mecs-là jouaient comme des gentlemen. Mais ce qu'ils ont écrit, s'agit-i-il uniquement de musique de pianiste ?


Godowsky est un cas à part dans l’histoire du piano. Il a probablement composé pour cet instrument ce qu’il existe de plus complexe et d'injouable. Ses œuvres comportent plus de notes au centimètre carré qu’il n’y avait de molécules d’éthanol dans les larmes d’Amy Winehouse. Comme beaucoup de pianistes de sa génération, il a brillé par ses arrangements de valses de Strauss, très personnels et contrapuntiques, des thèmes entremêlés de manière savante, comme un jeu de l’esprit, avec de délicieuses réminiscences viennoises.









Ecoutez donc ses métamorphoses symphoniques sur la Chauve Souris de Strauss, par ma Valentina adorée.


 Ou mieux encore, Earl Wild, dans les métamorphoses symphoniques sur "Künstlerleben"


Il était totalement fou. Il a composé 53 "Études sur les Études de Chopin", en les combinant, en les complexifiant, ou parfois même, en concentrant la totalité d'un morceau sur la simple main gauche, sans rien perdre de la mélodie, ou presque ! Pourquoi? Pour la beauté du geste. Un bel exercice de style. On peut bien construire la Tour Eiffel en cure-dents, dans le noir, et avec les pieds !

Seuls des maniaques comme Beresovky ou Hamelin peuvent se mesurer à ces himalayas pianistiques, furieux funambules, chevaliers des octaves ! Voici l'incroyable transcription "diatonique" de l'étude n°1 de Chopin :


(si vous voulez comparer, voici l'originale par Valentina Lisitsa, la même, mais à l'envers :-)


Ou alors, dans la série totalement improbable, la célébrissime étude révolutionnaire de Chopin (op 10 n° 12), déjà profondément éprouvante pour la main gauche révoltée sur les barricades (Chopin l'aurait composée à Stuttgart après avoir appris la reconquête de Varsovie par les troupes russes pendant l'insurrection de novembre 1830). Dans cette vidéo de Berezovsky, vous avez la version originale, suivie de l'étude revisitée, pour la main gauche seulement !


Rarement une simple main gauche ne s'est exprimée avec tant de vigueur, à part peut être dans le concerto pour la main gauche que Ravel avait composé pour son ami manchot Paul Wittgenstein, le frère du philosophe, qui avait perdu un bras au front. La version "main gauche" de l'étude "Océan" (op 25 n° 12 est tout aussi impressionnante). Je vous laisse aller voir les autres études, qui au delà de leur virtuosité, sont très poétiques.

Particularité étonnante, Godowsky a tiré d'un voyage dans les Indes Néerlandaises une Java Suite d'une forme novatrice, inspirée des rythmes du gamelan, gong traditionnel indonésien. Un peu de world music au pays des Steinway à queue.


Egalement très subtile et délicate, cette évocation des Jardins de Buitenzorg. On est proche de l'impressionisme musical des Pagodes de Debussy. Les jeux d'eau de Ravel, et les jeux d'eaux à la Villa d'Este de Liszt sont pas très loin. Godowsky est ici lui même au piano :



Comme tous les pianistes de l'âge d'or, Godoswky était imprégné de la culture de Mitteleuropa d'avant guerre. Ses "Passacaille, 44 variations, cadence et fugue" sur un thème de la Symphonie Inachevée de Schubert, est une oeuvre de pur génie, d'une puissance et d'une intelligence rare. En fait, leur complexité et leur atmosphère sombre me rappelle les variations sur un thème du 20ème prélude de Chopin par Rachmaninov.


(partie 2)

Oui, Godowsky était un nostalgique du monde d'hier, au crépuscule de la civilisation viennoise cher à Zweig,  comme le montre ce morceau, Alt Wien, d'une délicatesse irrésistible. Ou cette savoureuse invitation à la danse de Weber, transcrite pour deux pianos.


En bref, même si l'Europe a été mise à feu et à sang deux fois de suite en l'espace d'une vie humaine, il reste des raisons d'espérer : de très belles fleurs poussent sur le fumier, et la musique permet de tout oublier.





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