lundi 11 mars 2013

Un week end à Baden-Baden


Je dois vous avertir : si vous allez en couple à Baden-Baden après avoir lu cet article, et que vous rencontrez des difficultés conjugales récurrentes, si vous souffrez d’impuissance, de troubles de l’érection ou d’une baisse chronique de la libido, c’est que vous n’avez pas bien lu l’avertissement qui suit. Cet article comprend en effet des passages très crus sur le nudisme tel qu’il est pratiqué tous les jours, impunément, par un peuple de 80 millions de personnes qui a pourtant apporté à la culture universelle certaines de ses plus belles productions, de Leibniz à Derrick, de Schopenhauer à Medicopter. 

Dosto faisait des Rapidos


Un endroit étonnant, Baden-Baden (ce qui signifie en français, Bains-les-Bains). Un de mes collègues m’avait intrigué la qualifiant de « mouroir de la Russie », en rapport avec la très grande quantité de fourrures, d’œufs Fabergé et de panneaux en cyrillique. Le Joueur a été inspiré des déboires compulsifs de Dostoievski au casino, dans cette ville qu'il nommera avec ironie "Roulettenburg". Tourgueniev vivait ici à l'année. Nos amis oligarques en surpoids sont donc ici chez eux.








La Trinkhalle : si vous aimez l'eau minérale
Au premier coup d’œil, Baden-les-Bains est une petite merveille hors du temps. Dans un écrin de collines couvertes de sapins, ses villas néoclassiques et ses palaces du XIXème dégagent un charme fin de siècle délicieusement suranné, fantomatique. Sous les colonnades de la Trinkhalle et du casino, on peut aisément s’imaginer une jeune lady phtisique au bras d’un riche lord anémié. Après avoir bu leur verre d’eau thermale ferrugineuse, ils iront s’étouffer dans les bains de vapeur du Friedrichsbad, ce qui leur permettra de passer 1900 et de mourir ensemble à bord du Titanic, ou à Menton, de la tuberculose finalement. Hé oui : on a beau être un grand gagnant de la lutte des classes, c’est con de vivre dans une époque sans vaccins. Et pourtant, quels œuvres n’auraient pas vu le jour sans la tuberculose ! Chopin ! L’ Écume des Jours ! La Dame aux Camélias ! Et la Montagne Magique, c’est complètement ambiance sanatorium. Un autre Davos.

Je m'appelle Bond. Günther Bond.
La Reine Victoria, Brahms et Bismarck sont partis depuis longtemps. Remplie d’auberges et de magasins de fringues has-been et chères, Bains les Bains, ennuyeuse comme un enterrement de première classe, n’a pourtant (presque) rien à envier à Berlin ou Paris en termes de programmation musicale : les plus grands chefs se déplacent pour les retraités. Rattle et Gergiev sont à la maison, ils débarquent avec les Berliner Philarmoniker ou l’orchestre du Mariinski, ce qui revient à pousser la porte du Macumba de Maubeuge avec Heidi Klum et Beyoncé dans une Aston Martin DB7.


Le musée Burda, intéressant, programme souvent des expositions d’art dégénéré dans son cube de verre postmoderne. Au casino, on n’imagine pas vraiment James Bond, mais plutôt Roger Moore, à 85 ans, en train de siroter un cognac, avant de prendre son laxatif. Un suppo, et au lit. C’est une manière mesurée et saine de commettre ses derniers péchés. Cette ville contient donc le plus fort ratio d’infirmières et d’escort girls de tout le Baden-Würtemberg.

Ce genre de fesses ne se présente
 qu'une fois sur cent. ne rêvez pas.
Voilà pour le faste. Voici maintenant la partie qui fâche. Si vous décidez de prendre les eaux, vous aurez le choix entre le Friedrichsbad, ses statues antiques et sa splendide coupole classique, ou le Caracalla, complexe ultramoderne avec son bassin géant et ses saunas en batterie.






Est-ce que tu viens pour les vacances ?

Vous entrez, vous prenez votre serviette, vous comprenez le problème, mais il est trop tard : vous êtes entourés de gens à poil, et vous devez être nus vous aussi, sous peine de passer pour un voyeur ou un désaxé. Les Allemands ont encore frappé. Ils sont, devant l’éternel, un immense peuple de nudistes. Dès qu’il fait plus de 15°C, un lac, deux roseaux, un sauna, c’est tout le monde à poil. C’est la FKK (Frei Körper Kultur) : la culture du corps libre.

Un véritable chill néoclassique
Et s’ils avaient raison ? Adam et Eve n’ayant pas croqué la pomme, ils ne se voient pas, ils ont ce rapport hygiénique, désérotisé, finalement très romain, avec leur corps, ce qui est très sain, là ou nous sommes des latinos pudiques et névrosés. Païens dans leur nudité, touchant comme de bons sauvages rousseauistes, ils ne voient pas où est le problème.


Deviser au naturel dans une eau cristalline
 Pourtant, entouré d’obèses à l’allure repoussante, vous vous réfugiez dans le hammam le plus embué afin de ne distinguer ni poil, ni bourrelet, ni vergeture. Et que faire si un de vos collègues devait se présenter ? Comment le regarder encore dans les yeux à la machine à café, alors que vous connaissez ce lourd secret, ce tatouage ailé en bas du dos, ce piercing scandaleux ? Cette expérience est traumatisante, vous enroulez contre vous votre serviette comme une toge de dignité. Et finalement, la récompense : cette belle blonde à lunettes carrées, qui promène son corps préservé des outrages du temps de manière tout à fait insolente. De bons souvenirs pour les soirées d’hiver au coin du feu.


La chienlit n'a qu'à bien se tenir
Ah mon Général, vous n’auriez pas cautionné ça quand vous êtes venus vous réfugier en hélicoptère à Bains-les-Bains, au cœur des révoltes de 68, à l’époque où nous avions une base aérienne ! L’armée vous y a renouvelé son allégeance, et sa fidélité au pouvoir républicain. Vous ignorez depuis votre crypte de Colombey, que nos troupes ont laissé la place à un aéroport Ryanair, et que dans le bunker anti-atomique, se situe à présent un datacenter géant

Il est temps de tourner le dos à la ville des Bains. Je rentre à Karlsruhe. Je vais vous en parler, aussi. Mais demain est un autre jour.

3 commentaires:

  1. Excellent post, merci et bravo Glazounov! Je me suis bien marré et j'ai appris plein de trucs grâce à toi :-))
    Tu connais Karlovy Vary (Karlsbad) en République Tcheque? De ta description, j'ai l'impression que c'est le pendant Tchèque de Bain les bains, très impressionnant aussi. Un sentiment de vieille gloire qu'on retrouve d'ailleurs aussi un peu à Vittel!

    Merci encore, et j'espère que tu tiens le coup au Repos-de-Charles. Le printemps en Allemagne, c'est qd meme sympa alors tiens bon!


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hello Gab,

      Vielen Dank ! Ton message m'a fait plaisir, et je suis ravi d'être lu par quelques esprits éclairés ! J'aimerais beaucoup aller à Karlsbad pour retrouver cette ambiance de splendeur belle époque évanouie. D'ailleurs c'est là bas qu'ils ont tourné Casino Royale je crois. Un bon endroit pour boire un Vesper martini avec Vesper Lynd et sa beauté vénéneuse...

      D'ailleurs on boit quand un cocktail?

      Concernant le Repos de Charles, je dois avouer que le climat m'a plutôt achevé... j'amorce la renaissance printanière ASAP

      A tte !

      Supprimer
  2. Moi aussi, je voudrais bien aller à Karlsbad !

    RépondreSupprimer