jeudi 11 juillet 2013

Quand j’entends le mot culture…

...je sors mon clavier ! N’y voyez pas une référence à ces expositions contestables des années 30, quand les artistes d’avant-garde recevaient un accueil assez tiède de la part des autorités compétentes. Bourgeois de province déclassé, patron potentiel des arts et des lettres, pacifique esthète de salon, je ne saurais finir cette phrase autrement.

Je vais donc vous parler du ZKM. Non, ce n’est pas une maladie vénérienne ou une section du plan comptable estonien, mais le centre sur la technologie des médias et l’art de Karlsruhe (Zentrum für Kunst und Medientechnologie). Un OVNI culturel qui squatte une ancienne usine de munitions, un gigantesque labyrinthe de coursives et de balcons métalliques subventionné rempli d’expositions foisonnantes sur des thèmes aussi fédérateurs que l’art vidéo asiatique ou les jeux vidéo des seventies.

Un endroit improbable avec son cube acoustique géant pour concerts dissonants, ses auditoriums où des philosophes clodos et d’anciens beatniks viennent évangéliser les spectateurs d’Arte, et sa cafète qui sert des spätzle au fromage tout à fait passables.





Je viens d’y faire un saut et je n’ai pas été déçu. L’exposition « Total Accomplishment » de Matthew Day Davis est d’une grande puissance visuelle. C’est une évocation de l’apocalypse nucléaire, et de sa place dans l’inconscient collectif pop aux Etats-Unis. L’ensemble fait froid dans le dos. Nous sommes accueillis par la réplique du cockpit du bombardier d’Hiroshima, rempli d’organes en plastique, piloté par un squelette fluorescent. Ce macabre fuselage lustré se détache sur une immense fresque stellaire couverte de galaxies étincelantes. L’Apocalypse mène-t-elle à la communion cosmique ? Un plan de Paris en bois consumé au chalumeau et une vidéo très didactique sur la puissance de destruction des bombes H de la guerre froide achèvent le visiteur en quête de distraction du dimanche. Vous apprendrez notamment que la Tsar Bomba soviétique, testée au-dessus de la Nouvelle-Zemble, pouvait anéantir toute forme de vie en Ile de France, en quelques minutes. Vladimir, tu as encore les clés ?





Si vous voulez « chiller » ou faire une « date » ludique et digitale (dans le sens de « numérique »), allez plutôt voir l’exposition "ZKM Game Play", très réussie, comme un écho à l’expo  "Game Story" de 2011 au Grand Palais. Elle propose tout d’abord une histoire pittoresque des jeux vidéo, des pixels bruts de Pong et Pac Man à Assassin’s Creed qui voltige sur les coupoles de Constantinople. Vous frémirez de nostalgie devant vos anciennes Game Boy et MegaDrive, lourdes comme des parpaings de plastique… vous pourrez même jouer à Tetris et Mario World, délicieuse régression ! Le jeu vidéo comme utopie, univers onirique, modélisation d’un monde fantasmé, corpus de règles ludiques à respecter, mais aussi comme média, et comme œuvre d’art pop, audacieuse ou provocatrice. 

Certains jeux originaux sont dévoilés, comme la « PainStation » inflige ainsi au joueur malchanceux des coups de fouet, chocs électriques et brûlures ! Un autre jeu, moins drôle, vous met dans la peau d’un clandestin tentant de survivre à la traversée du Sahara. Nous retrouvons ici cette tendance des « Serious games », des jeux utilisés pour former, apprendre ou sensibiliser. Clin d'oeil, le jeu "Long March : restart" avec son graphisme 16 bits à la Street Fighter II, qui nous montre des commissaires de la révolution en train de lutter contre les capitalistes et les canettes de Coca-Cola. Les jeux vidéos en tant que pop culture ont eu une influence notable sur les artistes, comme le montre par exemple le pixel art ; ils sont une branche de l’art vidéo devenue autonome.



D’ailleurs, une exposition d’art vidéo asiatique fait actuellement rage au ZKM. Elle est attrayante à plus d’un titre, et pas uniquement pour ses soldats coréens camouflés en bouquets de fleurs évoluant au ralenti (des canons sous des fleurs, disait Schumann des polonaises de Chopin, belle oxymore, clic clic #éruditiongratuite). Ne me demandez pas pourquoi, le ZKM héberge environ 10 expositions en même temps. C'est incompréhensible.


Enfin je ne peux pas prendre congé de vous sans vous parler de l’exposition Babel World, et ses visions de cauchemar d’une mondialisation chaotique et inhumaine. Les fresques de Du Zhenjun, patchwork effrayant de buildings démesurés, d’éléments architecturaux, de milliers de photos d’hommes et de femmes mélés avec virtuosité dans une foule informe, nous offrent une lecture postmoderne du mythe de Babel. Ici, la Tour s’élève comme un monstre de béton qui écrase des foules noyées dans un chaos urbain d’émeutes, de ravages, d’inondations, de restaurants chinois, de panneaux d’autoroute allemands, de façades haussmanniennes, de colonnes romaines… un immense chaos postmoderne (comme le blog de votre serviteur), qui nous rappelle une vérité : la mondialisation écrase les peuples et ravage la planète. L’homme qui a voulu se faire Dieu tout puissant est puni pour son orgueil par une vie misérable dans des mégapoles sinistres, et la dernière fresque montre la Tour maudite, Babel, hideuse, ravagée, qui s’effondre par pans entiers sur une colonie d’hommes-cafards. Une vision juste du 11 Septembre ?

Un écho lointain...



L’exposition sur Allen Ginsberg et ses potes beatniks Burroughs  et Kerouac est assez décevante. Quelques photos, quelques textes, une ou deux vidéos,  entre Bob Dylan et une escapade à Tanger, pas grand-chose à se mettre sous la dent pour comprendre ces clochards célestes, marginaux pacifiques, contemplatifs et désabusés, qui ont consumé leur vie dans le bourbon comme Kerouac et rêvé les mots comme des surréalistes, sur les rythmes syncopés de Charlie Parker. Je vous conseille plutôt de regarder le documentaire sur Arte, et de relire On the Road. Peut-être l’exposition au centre Pompidou de Metz sera-t-elle plus intéressante ?









S’il vous reste un peu de temps (après tout vous avez été assez fous pour finir cet article), jetez un œil sur cet artiste : Manfred Mohr. Un pionnier de l’art géométrique par ordinateur, dont les compostions fascinantes de pureté et de complexité mettent l’entendement à l’épreuve… comme un fils illégitime de Mondrian et Miro qui aurait fait un stage chez IBM en 1973.










Allez, vous m’avez déjà fait traverser trop longtemps votre cortex endolori. Je vous rends vos méninges, et retourne à mon TGV Est qui avale la Lorraine à 320 à l’heure. Bon vent !


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