lundi 5 mars 2012

LE METRO / MA VIE DERAILLE (1)



Nostalgie souterraine

Ne vous faites pas avoir par cette propagande fallacieuse que la RATP tente de déployer pour vous convertir aux transports souterrains ferrés (wagons neufs, poèmes placardés au mur, jingles d'annonce aguicheurs...). Tout ça, c'est du lobbying pour vous faire oublier une réalité centenaire : le métro craint. Cette  sous-ville de carrelage aux allures de fin du monde brasse chaque jour, en toute indifférence, son lot de destins frustrés. Tous debout dans la lumière crue s'évitent du regard cadres déclassés, demi-bourgeois harassés, clodos fraîchement émoulus ; sans parler des travestis, des touristes asiatiques, des Mormons, des juifs orthodoxes, des Belges, des soldats du rang, des diplomates, des aveugles, des supporters du PSG et autres citoyens enthousiastes du melting-train. Et évidemment, les différentes catégories de musiciens ratés, auxquels je réserve un post ultérieur.

Quand je prends le métro aux heures de pointe, je prends conscience soudainement qu'un âge d'or vient de se terminer.

Je ne sais pas ce qui a foiré. Hier encore, j'étais heureux de vivre. Je regardais Marty Mc Fly faire des prouesses sur son Hoverboard dans Hill Valley et Bill Murray foudroyer les fantômes avec Ray Parker Jr. La De Lorean de ma jeunesse s'est envolée à jamais !

La musique de John Williams faisait vibrer la planète Tatooine, elle rythmait les coups de fouet d'Indiana Jones. Le sabre laser de Luke Skywalker voulait griller un Dark Vador plus proche du Samouraï que du dictateur stellaire. L'URSS et le PCF existaient encore, c'était rigolo : ça faisait des méchants pour les James Bond, et ça polarisait les dîners. 

Je ne savais pas qu'on pouvait vivre dans moins de 150m². Je courais dans le grand vallon de la maison de campagne, avec les vignes de Champagne à l'horizon et leurs hélicos de traitement chimique. Je bâtissais inlassablement cabanes et barrages sur le ruisseau... vite détruits par le cantonnier. Je prenais l'avion pour Londres avec ma grand mère, elle venait me chercher en XM à la sortie du golf. Pour moi, l'hiver, c'était l'école de ski et la raclette all-you-can eat avec les cousins. Paris était un terrain de jeu en pierre de taille, où les trottoirs du dimanche semblaient plus larges qu'une piste d'atterrissage ; une scène de théâtre aussi longue que les quais de la Seine, dans laquelle j'ai planté le décor bancal de mon premier amour. Reims se limitait à sa cathédrale de Mérovingiens pétrifiés, ma rue sans histoire et son école – je n'avais pas besoin de me mêler aux ploucs, à part pour le déjeuner avec la bonne ardennaise, et jouer sur des consoles de jeu plus puissantes que la mienne.

Mon inconscient VHS/Nintendo était peuplé d'idées saines, comme plaquer contre un mur la princesse Jasmine, ou égorger à mains nues un tyrannosaure du Jurassic Park. Je voyais l'avenir comme un sentier ascendant, où les ordinateurs seraient de plus en plus petits, et les avions, de plus en plus gros. Le progrès à la Bill Gates, dans un grand Theme Park aseptisé, qu'on arpenterait avec ses Pump de Reebok et un Discman "singing Hallelujah". J'étais le gamin émerveillé de "Last Action hero" avec un Schwarzie très second degré au volant de sa décapotable, alignant les bad guys sur fond d'AC/DC.

J'ai cru aux foutaises de la « Fin de l'histoire », du « Cyberspace » et au « Village Global », ces trucs angéliques post-rideau de fer, avant que le Djihad fasse voler en éclats Mc World, ce totalitarisme soft, un certain jour de Septembre. Ce fantasme de communion planétaire était parfait pour une pub Motorola; on avait juste oublié que la mondialisation, c'est une guerre économique et culturelle sans merci. Les "autoroutes de l'information" n'étaient pas des "Highways to hell", mais je sais aujourd'hui qu'elles vont partout où mène un lien hypertexte, c'est à dire nulle part. J'avais un T-Shirt "Planet Hollywood", et je kiffais le Hard Rock Café. J'étais fier de prendre United Airlines parce qu'ils servaient des Starbucks dans les nouveaux 777 pour Washington-Dulles - avec un petit écran LCD pour chaque passager. Je ne savais pas que Chopin rendait neurasthénique, et je croyais que le porno était excitant; Clinton était tellement cool avec son cigare, et les Etats Unis, On top forever! L'islamisme, ça me faisait penser à la danse du ventre devant un bon tajine... L’optimisme était de mise...

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