samedi 10 mars 2012

LE METRO/ MA VIE DERAILLE (3)


Les intouchables


« Mesdames et messieurs mesdames, je boujour à vous. » Ah voilà, on l'avait oublié. Le clodo de service. Alors à ce stade, permettez moi de préciser quelque chose d'important. Je ne suis ni facho, ni cruel, ni intolérant. J'ai déjà donné au Téléthon, je suis sensible à la cause animale, j'ai vu le film « Intouchables » ; j'envoie toujours un texto pour la journée de la femme ; j'ai même un très bon ami juif. Mais là, ce n'est pas possible. Comme le précise la RATP : « afin de vous procurer une détente musicale de qualité, nous auditionnons chaque année par casting des musiciens de talent. » Mais nombreux sont ceux qui passent entre les mailles du filet... Et comme le montre bien Kyan dans son « Bref j'ai pris le métro » si on les mettait tous ensemble, ils feraient un beau choeur de bras cassés !

Alors déjà, il existe un type qu'on croise à chaque fois : c'est le mec-sympa-qui-veut-s'en sortir. Chacun sa stratégie marketing. Un positionnement plus ou moins agressif, des mots clé criés très fort (suite à la perte de mon emploi / des problèmes de santé / un repas chaud / une chambre pour rester propre / un repas chaud). Car il faut répéter. C'est comme un mauvais ténor, l'Enrique Caruso du pauvre. On se différencie par les intonations : c'est presque un numéro de chansonnier mimétique, car tous finissent par dire la même chose. Des jeux de mots, aussi : "dans la merde, emmerdé, mais pas emmerdant". Ou alors, il vend un faux guide photocopié sur une sélection de restaurants qu'on sera naturellement porté à boycotter.

 Que le même mec cherche un job « depuis 3 mois » alors qu'il a 6 ans de ligne 10, ça ne choque plus personne, puisque personne ne donne un rond. Les gens ont l'habitude : ils pensent que la solidarité, c'est le SAMU social, et comme on coupe les crédits du SAMU social, hé bien... chacun sa croix. C'est la France des CDI planqués contre celle des précaires révoltés, tous ensemble dans le même espace. Parfois, un fond de colère : « bande d'enfoirés, vous aussi vous finirez dans la rue, saluds de riches ». Ou quelques mots d'une reconnaissance gênante, dans une haleine de mauvais alcool.

Mais cette manière légitime et inoffensive de demander du pognon n'est rien comparée à la puissance wagnérienne des individus listés ci-dessous (et je laisse travailler votre imagination) :

  • le rappeur des Balkans – Tirana en force
  • le faux violoneux grinçant – je fais semblant d'être Menuhin
  • le crooner mexicain avec sa mallette midi Roland
  • le voleur à l'accordéon, virtuose d'une main, l'autre dans ta poche
  • le backpacker sympa avec sa gratte : go back to Kentucky by the first Greyhound
  • le rastaman inda Babylon, tu vois retire ton costard, jette ton laptop et enjoy la life, Man
  • le flutiste laotien poussif : tu voudrais le mettre à l'eau dans la baie d'Halong
  • le mec qui joue d'un instrument que t'as jamais vu sauf si tu viens des Carpathes (une grosse planche avec des clous et des fils de fer)
(A ce stade je dois dire que j'aime bien ce dernier : c'est le cymbalum, un instrument traditionnel hongrois aux sonorités assez mélancoliques qui a beaucoup inspiré Liszt, dans ses Rhapsodies notamment, et Bartok. Fin de la parenthèse enthousiaste)

C'est un petit melting pot qui fonctionne très mal, comme We are the world à l'envers, avec les plus mauvais. Je suis un salaud, me direz vous ? Mais rire de ces gens vulnérables, c'est déjà leur rendre justice : au moins ils existent suffisamment pour nous agacer. Ils ne sont que le reflet de notre égoïsme inhumain : avec notre côté cocu et foireux quand on les évite du regard, c'est certainement nous, les plus moches. On mériterait bien de finir à jouer le Beau Danube Bleu à l'harmonica dans les tunnels de Montparnasse.
Essayez de distinguer la marche nuptiale de Mendelssohn au milieu de ces trilles vulgaires qui puent la sueur ! C'est aussi poétique que des nénuphars flottant sur du benzène. Ou alors une séance de yachting avec des mannequins slovaques au large de Zeebrugge un soir de novembre. Sans compter que son pote, lui, vole ton iPad avant de rentrer à Belgrade dans le train d'atterrissage d'un avion cargo DHL – le pauvre. Il n'a que des chances de réussir, car il s'entraîne sur un mannequin muni de clochettes depuis l'âge de 3 ans, et à chaque erreur, il était enfermé dans une chambre froide pendant une semaine. Son éducation c'était ça, et tuer un sanglier à mains nues.  

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