mercredi 7 mars 2012

LE METRO/ MA VIE DERAILLE (2)


La bande originale

C'était le pied, ma vie, et maintenant je suis dans le métro. Ligne 13, la Punition Matinale. Pas besoin de vous faire un dessin : 4 personnes par m², une intimité bafouée, une violence psychologique malodorante de chaque instant. Sous cet éclairage californien, la beauté des quidams éclate : calvities naissantes, regards cernés, sourires tartreux, Mephisto fatiguées, perfectos en Skaï. C'est le dernier endroit où on porte encore des semelles en crèpe ! Un bastion du Laid.

Le métro, on a abandonné son lit bien trop tôt pour ce truc. Chacun veut donc fuir dans sa bulle pour oublier ce sas de l'insupportable, antichambre du Bureau, cette salle d'attente mobile et cahoteuse. La fuite la plus simple, c'est la musique. On est tous les uns à côté des autres, on branche son iPod et on regarde ailleurs, c'est à dire nulle part. On enfile une mini Salle Pleyel sur les oreilles pour y trouver le salut. Mais alors, comment ne pas être envahi par un intense sentiment d'échec?

C'est vrai, la technologie a mis le Sublime à portée d'écouteur de manière suspecte. Tu peux prendre ta partout ta dose d'opium musical, mais le shoot dure peu de temps, et la descente est très rapide. Les premières mesures s'élancent, Play, tu es à peine envahi par un Sentiment Océanique, et là tu pleures déjà la beauté profanée...

Car écouter la sonate Appassionata de Beethoven sur la ligne 4, c'est comme manger un Kebab dans la Sixtine, et s'essuyer les mains sur un Véronèse. C'est comme une course de quad bourré dans les couloirs du Louvre, une partie de bowling avec des œufs de Fabergé. Laissez moi m'expliquer. Si vous prenez le troisième mouvement, tempetueux, magistral, la colère de Beethoven se déchaine, Svatoslav Richter martèle sur le clavier cette lutte prométhéenne de l'homme contre son destin, cette mélancolie contenue, puissante, virile ... un perpetuum mobile insensé, une course vers l'Abîme et là, à la dernière mesure... « YUUUUUUUUUUUUUUUUUU - Scklack - Ding » C'est le métro qui repart, et les portes te claquent à la gueule. Tu t'accroches à la barre poisseuse pour pas tomber, mais t'as quand même bousculé un connard qui trouve le moyen de te punir en piétinant tes Bexley de cadre à 89€. Mais qu'est devenu Beethoven ? C'est trop tard ; c'est un vieux Live : le public de Moscou est déjà en train d'applaudir.

Alors tu zappes. Tiens. Cette magnifique « Symphonie Leningrad », la Septième de Chostakovich, crée en 1942 pour exalter la résistance contre les Allemands pendant le siège de St Petersbourg. La préférée de tonton Staline. On dit que la partition a été parachutée dans la ville en flammes, et que la salle était sous les bombes pendant le concert. Valery Gergiev, le colosse du Caucase à la baguette, et l'orchestre du Mariinski : sacré casting. Dans le jargon, on appelle ça un must. Pas de longs épanchements névrotiques à la Mahler ; ici c'est efficace, de grandes mélodies larges comme le fleuve Amour, des orages slaves ! Au milieu du premier mouvement, voilà le « thème de l'invasion », cet ostinato jubilatoire qui ressemble tant au Boléro de Ravel. 22 mesures où la même marche, un thème désinvolte et ironique, est répété inlassablement, toujours plus fort, pizzicati, hautbois, vents, cuivres, cordes, caisse et tambours, jusqu'à l'explosion ! Merci Dimitri. On a envie de dégommer deux ou trois Messerschmidt à l'occasion, et de trinquer à la Moskovskaya, na zdrovye. Mais non... car...

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