mardi 19 juin 2012

Une chaise au Tokyo



Vous rêviez des cabinets ministériels et vous vous faites fouetter par un barbu en cravate Bugs Bunny dans une cave administrative ? Sur un stand de recrutement rutilant, couvert d'Ipads et d’hôtesses en minijupe, vous avez eu la faiblesse de signer dans l'audit, et vous comptez les bobines d'aluminium dans une usine des Vosges? On vous avait vendu du conseil en stratégie, et vous saisissez des ratios dans la pre-release béta-test d'un progiciel de gestion RH ?

Il vous reste encore une ou deux solutions pour rendre votre vie parisienne acceptable.

Réfléchissons.

Si les Allemands avaient construit ça, qu'est ce qu'ils se seraient pris
D'ores et déjà, vous pouvez réveiller le côté hipster qui sommeille en vous sans prendre de risques, dans un lieu qui combine la bohème de l'Est et le snobisme de l'Ouest : le Tokyo Eat, splendide terrasse estivale du palais de Tokyo. Vous viendrez vous noyer dans un mojito après quelques heures dans les galeries de la Triennale, à deviser avec la pertinence qui vous caractérise sur ces bouteilles de butagaz taillées au chalumeau en forme de globe terrestre, ce quadruple piano, ces robes qui survolent, fantomatiques, un océan de ventilateurs, cette piste de skateboard bariolée sous LSD intitulée avec laconisme « Death of A King ». Le Tokyo Eat, on l'aime pour sa carte décalée, ses cocktails délurés, dans un écrin d'architecture brutaliste style international presque naziforme, son électro-pop-acid-jazz-trip-hop en compagnie des rares bobos qui osent s'aventurer si près des Champs-Elysées. Si vous invitez quelques amies chefs de produit, souvenez vous : vous devez porter la barbe d'un intermittent du spectacle, avec le portefeuille optimiste d'un avocat d'affaires...

Retour chez vous, passez vous changer : il vous faut ce T-Shirt rouge vif des Simpsons, et ce sweat à capuche vert fluo qui cache bien votre ventre de cadre en mode flashy. Le temps de vous couvrir de parfum au lieu de prendre la douche pourtant nécessaire, vous écoutez Michel Petrucciani, car vous êtes un homme de goût : le Concert des Champs Elysées de 95, d'une virtuosité orgiaque, ou le live de 98 à Stuttgart... ach mein Gott... il fallait qu'un nain ait un jeu aussi titanesque, pour nous remettre à notre place de pauvres géants mortels... tandis que nous sommes collés à notre piètre réalité, lui il nage dans l'hyperespace, au milieu des trilles et des arpèges, quelque part entre Duke Ellington et Art Tatum, le « chopin fou » cher à Cocteau, malicieux et aveugle.



Bon, vous avez fini de vous changer ? Il est temps de vous engouffrer dans le métro et ses miasmes, pour vous plonger dans l'expo la plus snob du moment : Gerhard Richter au Centre Pompidou, un des rares peintres contemporains dont la contemplation ne nécessite pas un tube d'aspirine.

Sublimer le banal openfield
Dragueurs du jeudi soir, sachez par ailleurs que les expos du Centre Pompidou sont de véritables repaires de khâgneuses esseulées, lassées par les poètes du programme et les philosophes officiels. Maman est restée à Vierzon. Elles sont en mal d'aventure, et maladroites : profitez en ! Pour briller à peu de frais, vous direz que Gerhard Richter est « furieusement postmoderne »... elles vous aduleront ! Ajoutez qu'il transcende des sujets photographiques pour leur donner la noblesse des grands maîtres, que cette beauté dépouillée, subtilement floutée, vous ouvre denouveaux mondes intérieurs... c'est fini, elle est dans votre petite épuisette ! Encore 30€ de Chardonnay à dépenser à la terrasse du Georges tout proche, un peu bling, ça l'impressionnera, le taxi, et vous ne finirez pas pour une fois votre soirée avec un whisky tiède devant « Joséphine, Ange Gardien ».



Vers une esthétique du Mustang P-51
Maintenant, vous n'avez plus d'excuse pour louper lamentablement vos after-works. Une alternative, l'expo Helmut Newton, éloge de la femme dominatrice au Grand Palais, à développer dans un post ultérieur, présomptueux lecteur.

Par ailleurs je vous en veux beaucoup d'avoir loupé les rythmes motoristes barbares du 2eme concerto de Prokofiev, sous les poignets d'acier du grand Boris Berezovksy - le pianiste, pas l'oligarque. Je vous donne ici une session de rattrapage avec le très bon (et très gros)Yefim Bronfman, un peu moins puissant peut être, avec un orchestre de la RAI asthmatique qui aurait besoin d'un Red Bull :



La saison musicale mondaine se termine. L'immense Volodos joue demain au Théâtre des Champs-Elysées  la sonate de Liszt, héroïque poème symphonique pour piano, sombre et révolutionnaire. Si vous n'avez pas peur des dissonances, il vous reste, toujours au Théatre des Champs, le 3ème concerto de Bartok martelé par Nikolai Lugansky, qui cache un réel charisme musical derrière une technique robotique et une chaleur humaine à la Poutine. Sinon, vous irez vous refaire cet été sous les chênes centenaires du château de Florans, à la Roque d'Anthéron, mecque provençale du pianomondial...


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