dimanche 10 juin 2012

Mes coins de nanotourisme (tome 1)



Les Ardennes : une saison en enfer

L'homme aux semelles de vent
Si vous vous représentez les Ardennes comme une région oubliée de Dieu, où des gothiques au RSA font des messes noires à la Kro entre deux bunkers désaffectés, alors passez votre chemin. Non, les Ardennes ne sont pas qu’un grand désert vert kaki sillonné par les sangliers, une hémorragie démographique, une autoroute pour panzers en vadrouille, le terrain de jeu d’un Michel Fourniret, qui jouait aux osselets avec les ossements dans les fougères de la forêt-frontière. Non, n’avez rien saisi à la grâce de cette région méconnue – à juste titre -, car vous n’êtes que de sinistres béotiens métrosexuels.


Woinic, le plus grand sanglier du monde, et Georgette
Tout d’abord, les Ardennes sont la patrie d'Arthur Rimbaud, qui aimait bien prendre l’Enfer avec Verlaine pendant qu’il écrivait la Saison du même nom. « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l’ai trouvée amère. — Et je l’ai injuriée » : le pessimisme était proportionnel  à la météo locale. Aujourd’hui, la  route « Rimbaud-Verlaine » permet aux âmes poétiques de suivre l’ensemble des fermes de l’Openfield qui furent le théâtre de leurs louches ébats sous absinthe.


La synesthésie, un jeu d'enfant

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles. Le fulgurant gamin synesthète haïssait  Charleville-Mézières, mais la municipalité lui consacre deux lieux de pèlerinage, grâce aux fonds européens : la « Maison des Ailleurs » est un de ces musées provinciaux improbables, à la scénographie déjantée et hermétique, dans un lieu totalement vide, avec des résidences subventionnées de poètes africains; des projections holographiques sur le parquet nu évoquent l’itinéraire des « semelles de vent » du poète en quête d’inconnu  : Aden, Padang, Port-Saïd, Batavia, Sainte-Hélène... En face, dans un ancien moulin sur la Meuse, qui n’a jamais dû voir de Bateau Ivre, quelques peintures et manuscrits tentent de rendre justice au bref génie d’un grandiose vagabond. « Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau » …








C'est la place des Vosges, sans DSK ni Jack Lang

Sa sépulture oubliée est un must-see au milieu des maisons de maître déclassées en pierre brune, à deux pas de la splendide place Ducale, petite sœur de la place des Vosges. Rêve de pierre de Charles de Gonzague, duc de Mantoue, Charles-Ville est un Saint-Petersbourg dont les promoteurs auraient fait faillite : à 100 mètres, on trouve les premiers foyers Sonacotra ; à 10km, la frontière belge et ses cartouches de clopes. Car finalement, Charleville-Mézières, c’est la certitude d’un après-midi raté dans les relents de bière d’Abbaye d'un PMU seventies face au cimetière ; c’est un sentiment diffus d’échec sous le ciel lourd de la place Pierre Bérégovoy.


C'est de la belle beauté
Le seul moyen d’y échapper en un coup de Twingo, c’est se plonger dans les larges méandres de la Meuse ; majestueuse, entre deux fonderies abandonnées, la boucle de Monthermé est une petite merveille naturelle… Dans ce paysage quasi-nordique, il faut sortir son VTT et entreprendre l’Ascension de la Croix-Scaille, le point culminant du massif, au milieu d’une épaisse forêt de sapins et de fougères (504m). « Arduinna » signifie forêt profonde, en Celtique…  Ce ne sont pas les Alpes, mais essayez de trouver plus sauvage 300km à la ronde! Au sommet, c’est la Belgique, et cette tentation monomaniaque de lancer une randonnée sur les bornes frontières jusqu’au petit matin. Ici, les résistants du maquis étaient parachutés, au milieu des tourbières marécageuses ; pour fêter ça, les autorités ont édifié une éphémère Tour du Millénaire en sapin vermoulu, dont l’effondrement aurait dû être fatal à un Wallon maudit.

Une invitation au pédalo avec 2 grammes 5
Dans les austères villages et les gros bourgs aux toits d’ardoises, les bars Jupiler se succèdent sans fin ; plus personne ne travaille ici mais il reste quelques loisirs. Au lac des Vieilles Forges, on se croirait en Finlande : même mélange de sapins et de bouleaux, une eau limpide. Mais l’accent local (bin wi, hein), et la densité en baraques à frites sur la plage nous rappelle l’ancrage ouvrier. Il y règne une ambiance à caractère convivial à peine perturbée par les pécheurs ivres morts qui écoutent Chante France sur leur siège pliant. Les racistes apprécieront également la faible population immigrée. A la fin de la journée, les fans de faits d’armes héroïques pourront se diriger vers Rocroi, ville citadelle fortifiée par François 1er, lieu de la bataille éponyme. Ou à Sedan, plus grande forteresse d’Europe, Mecque locale du football, tombeau du Second Empire… Et la centrale nucléaire de Chooz? Et l'église d'Asfeld en forme de viole de gambe? Ce sera pour un autre jour !

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