dimanche 3 septembre 2017

Piano Forest

Si vous aimez le piano et les balades bucoliques en forêt, vous serez portés par la beauté du film d'animation Piano Forest de Kojima. On y retrouve la poésie japonaise délicate du Vent se lève de Miyazaki, avec une touche de Chopin, de Mozart et de Beethoven - et beaucoup d'arbres. C'est aussi une belle histoire d'amitié et de rivalité entre un enfant riche, Amamiya, préparé à devenir une bête à concours, qui souffre sur les touches depuis son plus jeune âge, et le petit Kaï, pauvre, capricieux et hirsute, qui joue comme il respire sans même connaître le solfège.



Au cœur d'une forêt mystérieuse, sous les grands rayons de lumière d'une clairière, git un grand piano à queue, abandonné par le plus grand concertiste du pays, un pianiste déchu qui a perdu l'usage de sa main dans un accident et décide de prendre Kaï , le petit gavroche de génie, sous son aile bienveillante. Car seul le petit Kaï est capable de tirer des sons de ce colosse de métal et d'ivoire planté dans la clairière, et les sons résonnent partout dans la forêt, des improvisations impressionnistes à la croisée de Ravel et Debussy. Je pense alors à ces vers de Baudelaire :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent

La forêt, temple vivant de sons et de couleurs, indissociable du piano, est bien le personnage principal de ce film : la forêt qui referme des secrets, la forêt qui héberge esprits, songes et légendes, la forêt magique qui console car c'est un refuge musical pour nos jeunes amis.

La fascination du Japon pour une certaine culture occidentale était apparente dans le Vent se Lève, dont le titre est un vers de Paul Valéry (... il faut tenter de vivre), et contenait des réminiscences subtiles de la Montagne Magique de Thomas Mann, alors que les jeunes ingénieurs aéronautiques japonais tentaient d'égaler la formidable technologie allemande des avions de chasse, un instant de grâce et d'espoir avant qu'un tourbillon de feu et de sang ne vienne anéantir leur archipel.

Piano Forest célèbre de son côté le lien très fort du Japon avec notre musique classique - au concours de piano, les jeunes pianistes s'affrontent sur la Sonate K.310 de Mozart. Dans le roman 1Q84 de Murakami, la Sinfonietta de Janacek résonne dans un taxi avant le basculement de l'héroïne dans un monde parallèle. Janacek était d'ailleurs fasciné par la poésie de la forêt bohémienne, comme en témoigne son bel opéra La petite Renarde Rusée ; son compatriote Dvořák a aussi écrit une suite pour piano sur les forêts de Bohème. Comment ne pas penser aux Scènes de la Forêt de Schumann - Waldszenen ; il existe d'ailleurs un mot en allemand, Waldeinsamkeit, qui décrit la sensation unique s'être seul dans les bois. Emerson en a tiré un poème éponyme dont voici une strophe :

There the great Planter plants
Of fruitful worlds the grain,
And with a million spells enchants
The souls that walk in pain

Si toutes les forêts ne contiennent pas un piano enchanté, elles nous parlent sans mots, elles ont le pouvoir presque magique de nous apaiser si nous souffrons, de nous inspirer, de nous consoler, et de nous ramener à notre nature première : de grands animaux qui pensent trop et aiment se réfugier en silence au milieu des arbres.




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