Dans un
monde où Cyril Hanouna et Christophe Mae existent encore, il est urgent d'écouter Liszt. Particulièrement ses transcriptions d’opéras, dont
la magie a toujours le don de me mettre en émoi. Car excepté l’opéra russe, qui
a toujours été cher à mon cœur, je reconnais que je suis entré dans l’opéra
italien, allemand, français par la porte pianistique : celle de Liszt, le transcripteur
au grand cœur.
Paraphrase de concert sur Rigoletto, réminiscences de Norma, fantaisie sur des thèmes de Figaro… les
noms sont programmatiques et témoignent d’un réemploi sans fin de la matière
musicale, parfois avec une grande liberté, qui mêle transcriptions des grands
airs de Verdi, Bellini, Berlioz ou Wagner, libre improvisation de génie, arabesques et péripéties, avec une
verve et une bravoure qui n’a jamais été égalée. Son rival Thalberg s'y est essayé, avec malheur : il est tombé dans l'oubli, sauf via mon compte Instagram dont il porte le nom. Pauvre Thalberg ! Liszt le nommait "le chevalier des trémolos".
Vous qui
avez peut être la chance de ne pas les connaître, découvrez la titanesque ouverture de Tannhauser,
qui a su essoufler même le grand Cziffra. Pleurez avec La Mort d’Amour d’Isolde, et riez un
grand coup devant le brio héroique de la Valse
de Faust ou la Tarentelle de Bravoure
(!) sur des thèmes de la Muette de Portici. Cziffra, hongrois et tzigane, entraîné
dans la fumée des bars de Budapest, personne mieux que toi n’a saisi le panache
et le geste heroïque de ces pièces ou seuls les cuistres ne verraient que
virtuosité. Trilles, glissandi et octaves en furie, ici c’est le piano dans
tous ses états qui se déchaîne, mais c’est aussi le chant de l’opéra, le bel
canto qui fait vibrer les cordes, de manière aussi belle que la voix humaine.
Avec parfois une bonne dose de nitroglycérine et de pathos : du hard rock ultra
romantique comme on l’aime. Parfois même un peu de satanisme soft (cette part
démoniaque a toujours existé chez Liszt), comme avec la Valse Infernale de Robert le Diable.
Mais ici, c’est un diable en carton pâte, rien à voir avec les fulgurances
sombres de la Sonate en si ou de la Dante Sonata. Désolé de vous avoir asséné
ainsi ma Play-Liszt. Haha.
Ecoutez l’ébouriffante Réminiscence de Don Juan, qui dure presque
15 minutes et réalise le défi de contenir toute la tension dramatique et l’effet
comique de l’opéra. Ici Mozart, tous les chanteurs et l’orchestre se retrouvent
sous les dix doigts d’un painiste forcément fou ou génial ! Démarrant sur de
grands accords dramatiques, celles de l’air de la statue du commandeur, annonçant
la malédiction certaine Don Juan le jouisseur et blasphémateur, Liszt nous gâte
ensuite avec de galantes variations sur le thème « La Ci Darem la mano », où Don Juan
tente de séduire la belle Zerlina.
Là ci darem la mano, (Là-bas, nous nous tiendrons par la main,)
Là mi dirai di sì, (Là-bas, tu me diras oui,)
Vedi, non è lontano, (Tu vois, ce n’est pas loin,)
Partiam, ben mio, da qui. (Partons d’ici, ma bien-aimée.)
Une drague un peu plus classe que le « Hey
Mademoiselle comment t’es bonne ton pull il te moule trop bien » en cours
à Châtelet les Halles ; une certaine époque où même un histrion érotomane
comme Don Juan pouvait séduire en versifiant vaguement.
Des variations limpides, qui restituent toute la
légèreté du chant mozartien en l’agrémentant de petites acrobaties et pieds de
nez pianistiques. Ce même air qui avait lancé la carrière d’un Chopin de 17 ans
(!), ses La Ci Darem pour Piano et
orchestre, qu’il a eu le culot génial de terminer en forme de polonaise,
lui attirant ce commentaire proverbial de Schumann : chapeau bas,
messieurs, un génie ! A 17 ans, je n’avais même pas encore de meuf, et je
lisais les notices de CD Deutsche Grammophon aux WC.
Sur la fin de ses Réminiscences, Liszt atteint le
climax absolu de la verve et de la virtuosité, en transcrivant le fameux « Air du Champagne », où le bellâtre
prépare un immense festin arrosé de vin, un grand banquet, prélude à sa chute,
car le commandeur assassiné s’invitera aussi, mais lui se nourrit de « nourritures
célestes », c’est-à-dire qu’il enverra notre pauvre héros en enfer !
Fin
ch'han dal vino
Calda la testa, Una gran festa Fa’ preparar. Se trovi in piazza Qualche ragazza, Teco ancor quella Cerca menar. Senza alcun ordine La danze sia, Chi’l minuetto, Chi la follia, Chi l’alemanna Farai ballar. Ed io fra tanto Dall'altro canto Con questa e quella Vo’ amoreggiar. Ah, la mia lista Doman mattina D’una decina Devi aumentar. (Partono) |
DON
GIOVANNI
Tant que le vin Leur échauffe la tête, Fais préparer Une grande fête. Si tu trouves sur la place Quelque fille, Tâche de l'amener Elle aussi avec toi. Que la danse n'obéisse À nulle ordonnance, Tu feras danser À l'une le menuet À l'autre la contredanse, À celle-ci l'allemande. Et moi pendant ce temps, De mon côté À celle-ci et à celle-là Je veux faire la cour. Ah ! demain matin Ma liste devra Être plus longue D'une dizaine. (Ils sortent) |
Ici Liszt fait exploser un véritable
feu d’artifice, où acrobaties, virtuosité orgiaque et toutes sortes d’effets de
manche pianistiques provoquent un véritable choc physique sur l’auditeur, mais sans jamais
outrepasser les limites du bon goût, toujours en mettant ses moyens techniques
immenses au service de la plus grande poésie et de l’essence de Mozart, ici
celle du chant. Not virtuosity for the sake of virtuosity.
Pour ma part j’apprécie l’interprétation de Valentina
Lisitsa, cristalline et transcendante, un peu froide peut être dans sa perfection,
là où Lang Lang en fait des tonnes, alors que François René Duchâble, comme d’habitude,
trouve le parfait équilibre entre expression poétique et virtuosité. Il existe
même une version pour deux pianos, vertigineuse. A vous de juger !
En tout cas, sans musique, la vie serait une erreur
(Nietzsche).
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