Dans cette période d’otium forcé, j’ai du temps pour
réfuter cette citation attribuée (à tort ?) à André Malraux : « trop
de variations tuent les variations ». Vous le savez, je e suis pas
musicien ni musicologue, j’ai arrêté le piano à 10 ans à la faveur d’une
fracture du poignet et d’un brin de complaisance, mais je suis un mélomane sans
mesure et un fanatique du piano dans tous ses états, de Bach à Petrucciani. Je
vénère bien sûr le grand Liszt, cette rock star du XIXème, ce héros qui a
poussé la grande armoire de métal et d’ivoire dans ses derniers retranchements
techniques et poétiques. Un compositeur et un transcripteur de génie, qui n’a
pas hésité à emprunter à ses contemporains leurs plus belles mélodies, opéras,
symphonies, lieder, pour promouvoir la musique des autres et enrichir le
répertoire de son instrument – échange de bons procédés, sincère de sa part,
même s’il construisait ainsi sa propre gloire, et un sacré « mojo »
auprès des femmes qui s’arrachaient son corps !
Les variations sur un thème original peuvent susciter
l’ennui quand elles sont médiocres. Si on y ajoute la puissance de l’esprit en
liberté, elles deviennent parfois des chefs d’œuvre, peu importe la pauvreté ou
la simplicité du matériau initial : pensez par exemple au 24ème
caprice de Paganini, assez trivial, qui sous les doigts de Rachmaninov, Brahms,
Liszt, ou Lutoslawski, est devenu tour à tour concerto pour piano exubérant et
sentimental, étude de virtuosité étincelante ou une surprenante fantaisie pour
deux pianos.
Dans toutes ces œuvres triomphent la poésie, le sentiment, le
sarcasme, la verve, l’humour même : l’exercice de style est devenue œuvre de
génie. Rachmaninov a par ailleurs écrit des variations méconnues sur des thèmes de Chopin (prélude n°20) et Corelli : la simplicité des mélodies originales contraste tellement avec le foisonnement, la richesse et l’inventivité dont
fait preuve le grand Serguei. Fugues, arpèges, octaves martelées furieusement
sur le clavier, tempêtes, clairs de lune et contemplation élégiaque, triomphe
digne du finale de ses grands concertos, cette immense variété de climats et d'humeurs ruisselle depuis les quelques mesures initiales du
thème, source intarissable grâce à l'inspiration du compositeur. Le sentimentalisme sans affectation, viril, tellement slave de Rachmaninov, donne ici toute sa mesure. Ce qui ne l’empêchait
pas de sauter certaines de ses variations quand il entendait trop de
toussotements dans le public de ses concerts ! Sacré Serguei.
Plus austères et structurées, les variations Goldberg de Bach, les Diabelli ou Eroica de Beethoven, montrent que dans une
combinatoire inépuisable, il est possible de jouer avec un thème à l’infini, de
dévoiler chacune de ses facettes, d’en tirer de l’or à la façon d’un alchimiste,
jusqu’à se trouver sur les plus hauts plateaux où souffle le vent salvateur de l’Esprit !
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