J’écoutais
cette chanson un brin mélancolique de James
Murphy, où Kermit la Grenouille chante partout à travers Manhattan son
amour et sa haine de New York, avec quelques samples bleutés empruntés à l’Ascenseur
pour l’Echafaud de Miles Davis.
Je
veux te le dire à mon tour : Paris, I love you but you’re bringing me down.
Je ne suis pas le premier : Thomas Dutronc n'aime plus Paris (le ciel est gris, les gens aigris / Je fais la gueule, je suis pas le seul). Baudelaire avait le Spleen de Paris, et Doc Gyneco, né ici, trouvait une odeur de gaz sur les Champs Elysées, et la fille de la ville, agressive comme un flic en civil. Dejà en 1996 Mad in Paris déclarait en mode "funky soul" que Paris a le Blues.
Je ne suis pas le premier : Thomas Dutronc n'aime plus Paris (le ciel est gris, les gens aigris / Je fais la gueule, je suis pas le seul). Baudelaire avait le Spleen de Paris, et Doc Gyneco, né ici, trouvait une odeur de gaz sur les Champs Elysées, et la fille de la ville, agressive comme un flic en civil. Dejà en 1996 Mad in Paris déclarait en mode "funky soul" que Paris a le Blues.
Paris,
tu m’inspires et tu m’agaces, tu m’envoûtes et tu m’épuises ; tu es comme
une belle femme insupportable, je te veux et je te fuis, je veux rompre avec
toi sans y parvenir.
Paris,
j’aime tes quais de Seine, le pont des arts qui enjambe le fleuve, enfin débarrassé
de ses cadenas. J’aime tes grands alignements néoclassiques, Rivoli, place
Vendôme, le temple insensé de la Madeleine et les colonnes du Crillon, tes
perspectives infinies, alignements maniaques d’arches, d'avenues et de tours,
de l'obélisque de la Concorde au parvis de la Défense. J’aime les pins et les lacs du bois de Boulogne,
chalets, îlots bucoliques et runners compulsifs. J’aime ta butte de Montmartre
où des escaliers sans fin ouvrent le ciel, le bon côté de la colline, pas
encore envahi par les touristes Lonely Planet en main, pour s’instagramer
devant le sacré Cœur, inconscients de sa lourdeur byzantine. Pourtant j’aime me
recueillir sous ses dômes ajourés.
Paris,
j’aime ta Philharmonie et sa coquille de son blottie au coin du Périph’, écrin
des plus grands orchestres, où résonnent les Steinways et les violoncelles. Tes
musées, temples de culture qui nous offrent les plus hautes créations de l’Art,
Orsay la gare sublimée, le Louvre et ses pyramides inversées, cour carrée triomphe
de la géométrie, embarquements rêveurs du Lorrain, marines de Vernet, Delacroix
et ses fulgurances équestres, ses chimères orientalistes, feuillages mystérieux
de Corot et ses saturnales au bord d’un étang, pureté des idoles cycladiques
en marbre de Paros, métopes d’Olympie, Vénus de Milo presque éraflée par les
perches à selfie. J’aime le kaléidoscope brumeux des nymphéas de l’Orangerie et
flâner dans les jardins des Tuileries, triomphe de la Raison sur le végétal, et
voir cette femme renversée de Maillol devant les murs de buis, refuge des
amants et des migrants. Au loin la Tour Eiffel et sa démonstration de force sidérurgique so 1900 se veut encore un phare qui éclaire le monde. Le phare français se perd dans la nuit, et le soleil se lève à Singapour, Pékin, Sao Paulo.
J’aime
tes bars et tes restos innombrables où se joue le théatre de ma vie : collègues,
amis, amours et ruptures. Slides à Saint-Denis, baisers à la Sorbonne, larmes à
Odéon, accolades à Saint-Georges. Hotel Amour, bar à dates Tinder. Freddy’s, QG
pour draguer et déconner. Bars à cocktails prohibitifs, bars de hipsters
consultants à Pont Cardinet, bars PMU convertis en havres à bobos, brunchs prétentieux
à 35 euros, gentrification globale qui fait de nous des clones barbus et
consentants du monde corporate. Les Africains passent les portes, ils sont
remplacés par des petits blancs très ouverts d’esprits, quinoa bio équitable, digital
detox, yoga et mindfulness. Hypocrites citoyens du monde, à coup de miles
Flying Blue, si inspirés par leur conférences TED qu’ils en oublient de vous
dire bonjour. Pourtant, à deux pas, leurs startups grandissent dans la chaleur des incubateurs et des coworkings, et réinventent le monde - un univers digitalisé et exclusif.
Paris
je t’aime mais tu draines mon énergie comme un vampire de pierre. Tu méprises la province qui te nourrit et t'alimente de jeunes idéalistes et ambitieux, ou de réalistes à la recherche de quoi subsister. Ton excellence est une condescendance. Tu t'agites comme une fourmilière. Tes voitures me pourchassent, ta foule me renverse, ton
air m’étouffe. Ton métro claustrophobique pue comme un cagibi méphitique. En raison
d’un accident voyageur (another one bites the dust), d’un problème de
signalisation, d’un musicien turbulent, d’un Rom molesté ou d’un rail cassé, le
RER B est encore en retard et m’infligera 30 minutes dans la promiscuité moite
et terne de Chatelet-Les Halles, sous les néons tueurs. Moi qui aime le silence
des cimes alpines et des grandes forêts, il me semble impossible de trouver ici
le calme et l’apaisement de l’esprit, le temps de la contemplation. Ici tout
est minuté car le temps est amputé. Tout le sens est perdu car nous n’avons
plus le loisir de le trouver. Pourtant je cours partout, car mon esprit sans repos est en quête des mondanités, distractions, amitiés et amours que tu sembles offrir sans limites.
Paris
tu es un paradoxe permanent, la ville la plus touristique et la moins
accueillante, car le tourisme de masse profane et détruit tout ce qu’il étreint,
des bus de chinois destination Vuitton aux cohortes grisonnantes qui piétinent
les expositions. Versailles ressemble à DisneyLand ; Les jumbo-jets de CDG
te donnent le baiser de la mort à chaque atterrissage. Je ne parlerai même pas de la menace terroriste pour rester décent, par respect pour les victimes et nos soldats qui se font poignarder devant Notre Dame. Le tourisme n’est pas une
rencontre et la mondialisation une sacrée incompréhension. Tes serveurs sont
hautains et agressifs, tes femmes les plus élégantes du monde parfois, leur
beauté subtile, mais si souvent froide et indifférente. Paris, tu es figée dans
ton passé de grandeur et ton musée bruyant, immobile mais grouillant me fait
mal au crâne. Londres et Berlin sont des forêts de grues, tu te refuses à
changer, caché derrière les fortifications bitumées de ton périphérique,
accroché à la régularité rectiligne petite bourgeoise de tes façades haussmanniennes.
Paris, tu as besoin d’air et de renouveau, tu es trop dense, trop chère pour
moi. En 25 ans de labeur je pourrais m’offrir en ton sein un placard pour cadre
donnant sur une cour sombre et la ventilation d’un restaurant asiatique.
Mais
Paris, je t’aime quand même, en particulier la Gare de l’Est, la Gare de Lyon,
Roissy et Orly.
Pour
m’arracher à toi, et mieux te revenir.
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