Pour beaucoup de raisons que j’ignore, j’ai toujours
aimé les aéroports.
En fait je mens, j’ai quelques idées de ce qui me
relie à ces immenses hangars à duty free qui sentent le kérosène et la sueur de
passager asiatique masquée par les effluves de parfum en promotion. Les
aéroports ne sont pas, contrairement à ce que pensent les esprits chagrins, des
chambres de torture par l’attente ou la seule alternative à l’ennui des
correspondances serait de dévorer compulsivement des Haribos en lisant le
dernier rapport économique sur l’Indonésie dans the Economist, le regard louchant
vaguement sur les biélorusses nubiles qui défilent lascivement sur les LCD
géants de la boutique Victoria’s Secret à côté d’une Nathalie Portman Miss Dior
Cherie rosie par Photoshop qui exsude l’odor di Femina et le sexe facile
dans une suite mal aérée du Crillon. Si votre copine vous interroge, vous étiez
en train de méditer sur la pub HSBC juste à côté, et son message globish si
profond : « L’idéogramme chinois pour « crise » signifie
aussi « opportunité ». Va expliquer ça à Hénin-Beaumont et dans les
quartiers Nord de Marseille, ducon.
J’aime les aéroports, car j’aime les avions, ces grandes
carcasses de métal rivetées au fuselage un peu pataud, ces immenses bombonnes
pressurisées qui par le miracle de la mécanique s’élancent sur la piste et m’expédient
au royaume du Vent, dans le dernier endroit au monde où Homo Sapiens devrait se
trouver, par moins 50 degrés à 900 kilomètres/heure, sans oxygène, en train de
siroter blotti sur mon hublot, siège 5D, mon troisième jus de tomate, le regard perdu entre le ciel bleu métal et la
mer de nuages.
L’aile vibre sous l’effet des turbulences, le plastique craque,
j’entends le « dong » étouffé mais rassurant, m’invitant à serrer ma
ceinture, c’est le moment de faire un Instagram des Alpes qui défilent sous mes
pieds. Puis les Grands Lacs, Bellagio et Stresa perdues dans les brumes, Bergame,
la lagune de Venise et le grand Canal qui serpente la sérénissime, l’aride
karst Slovène, le Golfe de Corinthe qui reflète le soleil, le Bleu de la mer Egee, plus profond que
celui du ciel. Pour celui qui aime les cartes, un vol est comme un atlas vivant
– pour peu que le temps le permette ! Un autre vol m’a dévoilé comme un
Dieu les crêtes des montagnes corses où j’ai tant contemplé et souffert, sur l’austère
GR 20, avant de piquer sur la Sicile et de me poser au milieu des salines de
Trapani. Ce Beauvais-Palerme m’a coûté le prix d’un kebab place de Clichy – le domaine
des cieux n’appartient plus à une aristocratie ailée.
J’aime les aéroports car j’aime le Toblerone, cette métaphore
triangulaire de la Suisse, et ses mini Cervins comestibles que je m’enfile en
salle d’embarquement en me disant que, oui, la prochaine fois j’en achèterai un
autre pour mes collègues de bureau. Le Toblerone est définitivement un truc d’aéroport.
Le simple acte de voler est une incitation à consommer du Toblerone, et
réciproquement. Ces lingots dorés trônent ici par piles entières, comme si la
Suisse avait pour un instant renoncé à son or suspect pour le transformer en
nougat chocolaté, et nous l’offrir aux quatre coins du monde, dans chaque
endroit où s’imprime une carte d’embarquement.
Car ce que j’aime, c’est voler au hublot. Avec mon
Toblerone.
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