dimanche 1 octobre 2017

Reims




Il était temps que j’écrive un article sur Reims, mon refuge, repos de mon âme troublée par les turpitudes parisiennes, Reims gracieuse et bourgeoise, Reims prolo et bobo, petit joyau art Déco posé au milieu des coteaux champenois.

Art Deco, oui, car la ville a été entièrement rasée en 14-18, c’est le Stalingrad Français, la ligne de front à 5km, des forts et cimetières militaires jalonnent encore les environs. Quand je fais du VTT au milieu des champs et forêts bucoliques, sur les flancs de la colline qu’on nomme « Montagne de Reims », je croise les tombes où les jeunes ennemis du passé dorment en paix, mêlés dans une terre indifférente à la haine des hommes. Pendant la guerre, la cathédrale a été lâchement visée par des obus scélérats : incendies, effondrement de la voûte. Les gargouilles crachaient alors du plomb en fusion. Restaurée par Rockfeller, son triomphe de pierre est désormais total. Ses milliers de statues, mérovingiens impassibles, anges souriants, saints décapités nous toisent désormais avec sérénité.

La France républicaine refoule son passé royal, mais il est possible ici de se souvenir du faste des Sacres. Presque tous nos rois depuis le baptême de Clovis ont été couronnés ici, et le Palais du Tau contient encore les « regalia » épargnés par la révolution : riches habits, joyaux et couronnes, illustrations du faste révolu. Il ne reste presque plus rien de la ville médiévale à part quelques maisons à colombages restaurées ; les romains ont laissé derrière eux de belles mosaïques et une porte triomphale, la porte de Mars, qui vient rappeler l’importance de Durocortorum, capitale de la Gaule Belgique, face à l’insignifiante Lutèce. Les temps ont un peu changé depuis : le TGV draine son lot de cadres vers Paris.

La ville dans son ensemble, reconstruite dans les années 20, contient quelques joyaux comme la bibliothèque Carnegie, splendide bâtisse Art Deco dont les lustres et les mosaïques me donnent l’impression d’embarquer dans un grand Transatlantique lustré dédié à la Connaissance. Quelques édifices « néo-historicistes », un peu de « Post-haussmannien », des maisons particulières en pierre de taille avec de beaux jardins, des faubourgs assez moches. Et, tout près d’ici, la vallée de la Marne et ses immenses alignements de vignes, villages viticoles riches et lepénistes. Nains de Jardin plaqués or, gros 4x4 et bars PMU déserts. Ici, on picole à domicile, et pas seulement pendant les vendanges.

Reims est mon refuge. Le week-end, j’embarque dans le TGV Est et je me planque avec mes livres au coin du feu dans la grande maison de mes parents, trois étages de moquette et de moulures, et son grand escalier surmonté d’un puits de lumière. Je respire l’air qui est moins rare ici. J’arpente la rue de Vesle, commerçante et laide, avant de gagner la Place d’Erlon, dont les triviales terrasses sont sublimées par la Victoire Ailée, splendide fontaine Art Nouveau au sculptures sensuelles et fleuries. Je continue vers la Place du Forum où se font face Cryptoportiques Gallo-Romains, ancienne gloire médiévale de l’Hotel Le Vergeur, et des immeubles d’une certaine bonhomie bourgeoise. J’achève ma marche vers l’Hotel de Ville, vaguement Renaissance, et le quartier du boulingrin, qui attire désormais les hispters du cru dans ses petits restaurants autour des anciennes halles. Autrefois lieu de prostitution et d’embrouilles, les Halles Restaurées ressemblent à un grand vaisseau spatial avec leur voûte moderniste, un grand dôme de béton au reflets jaunes et bleutés, refuge des brocanteurs du dimanche.

Reims, tu m’as vu naître et grandir, devenir un étudiant puis un homme imparfait. J’ai appris à lire dans la petite école Thillois, au milieu des tilleuls et des tableaux noirs où j’entends encore grincer la craie du professeur. Après un passage loupé en classe prépa HEC à Paris, tu m’as accueilli encore dans ta fac de droit délabrée et ses amphis-coquille so seventies, désormais envahis par les migrants. Dans ton école de commerce, j’ai appris ce qu’était un compte de résultats, j’ai surtout fait la fête, rencontré l’amour et forgé des amitiés inoxydables. Tu es le fief de ma famille, mes parents se sont mariés dans ta cathédrale, ma sœur dans le palais de l’Archevèque ; ma grand-mère a fondé ici un grand laboratoire d’analyses et mon grand père s’est illustré dans l’ophtalmologie. Tous deux étaient d’une générosité et d’une grandeur d’âme remarquable.

Nous habitions en face de chez eux, dans un bel appartement bourgeois, rue de l’Arquebuse, près du parc de la Patte d’Oie. La maison de ma grand-mère était immense, la maison résonne encore de nos jeux d’enfants et de nos parties de cache-cache. Après le dîner préparé par la gouvernante ardennaise et son accent impénétrable, nous regardions des VHS de Walt Disney avec mes sœurs. Des films aussi, et j’apprends à rêver des aventures d’Indiana Jones, je chasse les fantômes avec Bill Murray dans Ghostbusters, j’explore le Hill Valley des années 50 avec Marty Mc Fly dans sa DeLorean. Top Gun, aussi : je ne découvrirai que 15 ans plus tard que ce film était crypto-gay (ah les grandes parties de Beach Volley, playing with the Boys, et les mecs en Stetson et slibard dans les vestiaires moites – moi qui ai cru à sa romance de pacotille avec Kelly Mc Gillis). Ma grand-mère était une seconde mère pour moi, une femme fière, forte, une entrepreneuse, une voyageuse infatigable – elle nous a quitté trop tôt, emportée par une rupture de l’aorte, foudroyante. Je veux garder d’elle le souvenir de sa bienveillance permanente, omniprésente, dont ma mère a hérité et dont j’essaie de faire preuve aussi, avec mes imperfections.

Nous possédions alors une maison de campagne avec un grand toit de chaume blottie dans un vallon près de la Marne. A perte de vue, des vignes, des forêts de pins en haut des collines et Chatillon sur Marne, couronnée de la statue triomphale d’Urbain II, natif de la région et lanceur de la Première Croisade. Au fond du vallon, on trouvait de grandes prairies, des noyers et un petit ruisseau sur lequel j’aimais faire des barrages, aussitôt détruits par le cantonnier. Armé d’un marteau et de planches, j’installais des cabanes dans le sapin, tandis qu’au loin, des hélicos de poche aspergeaient les vignes de pesticides. On aillait cueillir les prunes dans le verger. Notre vie heureuse oscillait au rythme des balançoires et des déjeuners dominicaux ; dans le grenier qui sentait la poussière et les vieux livres, nous construisions aussi des cabanes, en coussins celles-ci, derrière d’immenses fauteuils club en cuir. En bas, les parents et ma grand-mère attendaient paisiblement la fin du dimanche devant un grand feu de bois – le feu, toujours, au milieu de la nuit. Puis, après un bain chaud, nous prenions la Saab 9000 de mon père, je me souviens encore de ses sièges en velours, l’autoroute A4 nous ramenait au bercail pour une nouvelle semaine insouciante, une semaine d’écoliers.

Le saule pleureur où nous prenions la pose pour nos photos d’enfants a certainement disparu. Trop isolée, la maison a été pillée à de nombreuses reprises par des vendangeurs avides. La petite maison en bois de nos jeux enfantins a été fracassée par une hache anonyme et rageuse. L’âge d’or de notre enfance s’est terminé avec la vente de cette maison, désormais impossible à entretenir, mes parents n’ayant pas le goût de la campagne.

En face, sur la colline, au milieu des vignes, on trouve un petit cimetière qui domine la vallée. Ma grand-mère Jeanne et son mari Pierre reposent ici. Parfois, je viens poser une fleur sur le marbre gris et je ferme les yeux en pensant eux. Leur souvenir vit en moi – il nous ont montré qu’il est possible de construire une vie belle et prospère par la bienveillance, la générosité et le désintéressement le plus total, aux antipodes du narcissisme et de la méchanceté. Je reste convaincu que leur voie est la seule à emprunter, mais suis-je fait de la même âme, de la chair qui était la leur ?





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