Ferruccio Busoni, compositeur du début du XXème siècle, pédagogue
et théoricien, est aussi l’auteur de la plus belle phrase qui soit :
« la musique est de l’air sonore ». Italien du nord sous influence
germanique, il est fasciné par le contrepoint de Bach, et ses superpositions
savantes de lignes mélodiques, mais son œuvre brûle aussi des derniers feux du
romantisme wagnérien.
On retrouve dans sa musique la pureté du
clacissisme mais aussi des audaces modernistes qui annoncent la musique
atonale. Élève de Liszt, grand virtuose, ses compositions pour piano sont
particulièrement extraordinaires (et injouables). Comme son maître, il est un
révolutionnaire, et il possède une part diabolique, faustienne. Il consacrera
d’ailleurs un opéra au « Doktor Faust », dont la Sarabande et le sarcastique Cortège nous
saisissent comme un rêve fantastique en train de mal tourner, avant de s’achever
dans le funèbre Nocturne Symphonique.
Richard Strauss et Mahler ne sont pas très loin.
Son concerto pour piano, titanesque, est un des plus
impressionnants du répertoire. Il dure plus d’une heure et demande au soliste
des efforts absurdes. D’ailleurs, presque personne n’ose le jouer. John Ogdon,
le meilleur interprète de ce concerto, est devenu fou à lier. Tour à tour suave
et barbare, il s’ouvre sur de grands accords martelés comme dans le 1er
de Tchaïkovski, puis laisse la place à des développements aériens. On y trouve
plus tard des rythmes brutalistes à la Prokofiev. Busoni est un romantique,
mais aussi un moderne. Le finale avec des chœurs d’hommes (!) est
particulièrement mégalo.
Il faut aussi noter la pétillante sonatine n°6 sur des thèmes de Carmen, autrement plus subtile que les variations d’Horowitz sur le même
opéra, même si elles laisseront sur leur faim les amateurs de bis
spectaculaires. Sa Toccata (ici par
Brendel), sa Fantasia Contrapputistica, un peu élitiste, ses variations sur
le 20 ème prélude de Chopin, et sa surprenante fantaisie pour piano et orchestre
sur des thèmes indiens méritent aussi un petit détour sur Deezer.
Mais si Ferruccio Busoni est passé à la postérité, paradoxalement, ce n’est
pas pour ses propres œuvres, mais pour ses transcriptions de Bach, auquel il a
ouvert toute la puissance d’expressivité du piano romantique. Du Bach sous
stéroïdes, en quelque sorte. Ecoutez donc la célébrissime Toccata de Bach en ut
mineur sous les doigts de Wolf Harden.
Voici la même œuvre, dans une vidéo étrange
Ou la Chaconne BWV 1004, dans cette interprétation incroyablement puissante et
subtile d’Egon Petri, un élève de Busoni, comme Claudio Arrau, le plus
Viennois des Chiliens.
Impossible de ne pas être ému par le choral de la cantate BWV
659 "Nun Komm der Heiden Heiland", par un Horowitz serein et
philosophe, à la fin de sa vie, dans un récital à domicile.
Et je ne peux que vous inviter à
regarder aussi l’artiste du peuple Gilels dans ce prélude. Ou le dernier Sokolov, dans « Ich ruf zu Dir, herr Jesus Christ »
Bach est ici révélé dans toute sa puissance, l’émotion est
amplifiée, ces transcriptions sont à la fois intenses et délicates. Bach
n’était pas un baroqueux fou dont la musique en mouvement permanent refoulait
le silence, comme le disait Jankélévich. Bach était aussi un grand
romantique ! Merci Ferrucio !
Enfin, comme il est tard, je souhaite prendre congé de vous
avec la Berceuse Élégiaque.
Rêveuse, sensuelle et dionysiaque sombre et nocturne, elle
possède la force hypnotique de l’Ile des Morts de Rachmaninov, et les couleurs
déjà un peu fauvistes de Debussy et Ravel. Des audaces harmoniques très modernistes. On sent aussi l’influence des poèmes
symphoniques de Liszt. Ferruccio était triste : une fois, Zweig l'a croisé au buffet de la gare, il avait descendu une bouteille de vin tout seul. Le violon plaintif fait écho au Glockenspiel, les cordes
pleurent, et nous sombrons avec Busoni dans le Léthé.
Bonne nuit, et si vous ne vous réveillez pas, bon voyage sur
la barque de Charon…
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