Aujourd'hui je souhaite
rendre hommage à un ovni de la chanson française des nineties, une météorite
trop vite consumée, un homme dont le talent lyrique ferait passer
les odes de Lamartine pour un tube de Ricky Martin. Un vrai poétique
loveur a mi chemin entre Paul Eluard et Jamel Debbouze, avec une
pointe d'accent toulousain.
Il s'agit du grand Moos.
Vous allez me dire que je tire sur une ambulance ? C'est faux !
Je dirais plutôt que j'allume une baraque à frites avec un missile
nucléaire, ou que je finis un grabataire au lance-flammes. Ne le
plaignez pas, il a quand même réussi à vendre un million de
disques, à l'époque où les connexions Internet ne permettaient pas
de faire subir aux œuvres boiteuses le piratage qu'elles méritent.
Si, si, vous vous en
souvenez. C'était l'été 1998. Vous tentiez de réviser le bac
français au lieu de mater Roland Garros. Clinton était empêtré
dans l'affaire Monica Lewinsky, la BCE était crée, et la crise
asiatique battait son plein. Bref, les gens avaient besoin de se
détendre.
Le moment idéal pour
Moos, qui lance alors un genre inédit, : le Rap libertin avec
son tube immortel « Au nom de la Rose ». Après tout,
rien n'était impossible, après le Rap
Celtique de Manau.
On
est sur un terrain sensuel brûlant ou l'érotisme affleure. Dans une
intro en violons synthétiques rondo-venezianesque, un feu de bois
crépite (c'est la passion), et on devine dans un plan désagréable
une sorte de femme qui chevauche au ralenti. Elle tombe et meurt.
Inconsolable
de la perte de l'Absente, Moos est prêt à se vautrer dans les vices
du lupanar avec des mannequins lingerie de seconde zone, grimées
comme des clowns.
Moos siège, altier,, et caresse avec une sensualité fétichiste
l'accoudoir d'un fauteuil Louis XV. Un regard latin de braise, et des
lèvres bien charnues : il ne reste plus qu'à envoyer de la
rime. La boite à rythmes commence à sévir, et des créatures
lascives jettent des regards langoureux à une caméra chancelante.
Elles se touchent vaguement derrière des voiles, c'est digne d'un
porno soft de M6 ou d'une pub
mainstream pour le parfum avec une fille de ministre. Un début d'orgie à Vaux-le-Vicomte,
dont le climat musical évoquerait le rayon frais du marché U, plus
qu'une toile de Boucher. En termes de bide, le plus comparable serait
la piteuse comédie musicale
« Mozart », et son esthétique ba-rock (sic) très
discutable.
Si
la chanson commence sur une strophe assez sobre,
Au
nom de la rose
Mon amie la femme
Prête-moi ton corps
Ouvrez vos maisons closes
A celle qui descend du ciel
Et que j'adore
Mon amie la femme
Prête-moi ton corps
Ouvrez vos maisons closes
A celle qui descend du ciel
Et que j'adore
« Mon
amie la femme », c'est très Châtelet les Halles, non ?
Mais les choses se dégradent assez vite :
(...)
Habite leur corps
Tu as les plus belles croupes
Que j'ai posé sur un lit de cristal
Habite leur corps
Nous allons être seul couple
Qui va oser se prendre avec des griffes de métal
Habite leur corps
Tu as les plus belles croupes
Que j'ai posé sur un lit de cristal
Habite leur corps
Nous allons être seul couple
Qui va oser se prendre avec des griffes de métal
« Des
croupes sur un lit de cristal », et « se prendre avec des
griffes de métal ». Franchement, l'inconscient de ce type est
un sombre cloaque, ou alors sa vie sexuelle est plus tordue qu'un
film de David Lynch
(…)
Ma
préférée reste celle ci :
Matérialise-toi
Dans un moule de chair
On réalisera
Ce qui t'es le plus cher
Sans commentaires.
Moos
est à la musique ce que la fanfare municipale de Rodez est au
Berliner Philharmoniker. Une insulte à la beauté. Mais il
n'est pas dénué de charmes. Pourquoi a-t-il si rapidement décliné,
alors que notre trouvère libertin était au firmament ?
Il existe une explication
radicale. Un faux pas fatal, celui qui vous expédie du Capitole à
la roche Tarpéienne, comme les Bananas
sont cuitas de Philippe Risoli, ou les
gants de boxe de Paul Amar. Ce détail sans mauvaises intensions
qui tue définitivement une carrière.
Le péché qui provoqua
la chute de Moos a un nom, celui de sa dernière chanson :
Délicate Chatte. Un tube d'une d'une classe internationale.
Cette fois ci Moos est
allé trop loin pour la ménagère de moins de 50 ans. Trop explicite
pour les heures de grande écoute. Et pourtant ce clip est absolument
mythique, il contient tous les ingrédients pour devenir un
collector.
Je ne sais pas ce que je
préfère dans ce clip. Le pseudo beat RnB jovial symptomatique de
cette fin des 90's (Bambi Cruz, Dabbatchaz, Alliance Ethnik) ?
Cette brune pulpeuse attachée à un lit dans un hôtel de passes,
avec un travelling inutile sur la lampe Ikea renversée par terre,
signe d'amour vache ? Ou Moos lui même, menotté dans une
vieille américaine entre deux flics ripoux aux cheveux gras. Il
porte un couvre chef indéfinissable, une sorte de bonnet de bain
marron en tissu. Dans ce tunnel de 22km où été manifestement
tournée la scène, la même brune pulpeuse que celle de l'hotel lui
jette des regards scandaleux par le miroir de son pare-soleil en
croisant et en décroisant ses jambes. Et on la retrouve sur le lit
en petite tenue, très occupée à se frictionner lascivement des
épaules au nombril. Il faut reconnaître qu'elle est assez bonne.
Pendant ce temps, Moos se fait salement casser la gueule par les
ripoux, mais on ne comprend pas, il sourit ! Masochisme, simple
clin d'oeil à la violence policière ? Cette question restera
sans réponse.
Evidemment, les paroles
de « Délicate Chatte » atteignent des sommets de
raffinement. Le titre de cette chanson constitue en lui même un
hymne à la beauté, une invitation au voyage.
J'ai tant rêvé de vous
(de vous)
Que je vais et je viens en somnambule
Que je vais et je viens en somnambule
En
somnambule ! Il faut aller voir un sexologue mon vieux.
J'ai tant pensé à vous (à vous)
Que mes paroles ne sont que lapsus
Vous qui n'en savez rien (oh ooooh)
Je meurs d'envie de pénétrer votre bulle (…)
Je me
refuse à commenter ce passage dantesque.
Venez à moi
Je connais l'endroit
Où l'amour est roi
Il n'en tient qu'à vous
Je crois qu'on a tous
idée de l'endroit dont parle Moos. Il ne s'agit certainement pas du
pays qui te ressemble, mon enfant, ma sœur. Je crois qu'il s'agit
plutôt de plomberie et d'évacuation des eaux usées.
Le reste de son album a
sombré définitivement dans les limbes de la mass culture aux côtés
des singles de Licence IV, Garcimore, Jordy et Patrick Topaloff. Son
titre improbable, « Le crabe est érotique », est-il un
hommage aux surréalistes? Quelques chansons au nom inquiétant comme
Au bout du cigare (Affaire Lewinsky?), Comme elle se touche
ou encore Tango gigolo ne suffiront pas à l'exhumer, ne
serait-ce que par une recherche Google.
Vous l'aurez compris,
Moos est un poète maudit, mais plus maudit que poète.
Aux dernières nouvelles,
il tiendrait une crêperie dans la région de Toulouse. Ou, selon les
sources, une boite échangiste.
Salut, l'artiste.