Je
t’écris depuis Saint-Aygulf où je suis rentré depuis 5 jours après une escapade
à Trieste et sur la côte Slovène Adriatique. Je pense que
tu aimerais cette région, c’est très beau, de grandes falaises blanches qui
tombent dans la mer avec des palais Austro-Hongrois au faste oublié, des
villages vénitiens rayonnants, une campagne méditerranéenne identique à la
Provence. On y trouve même des truffes ! Trieste est vraiment une capitale
de nulle part, péninsule coincée au bout de l’Italie qui se la dispute au monde
slave, avec cette douceur de vivre latine, un peu de la rigidité autrichienne
« K und K » dénoncée par Musil et des cafés viennois qui ont tendu
les bras à des générations d’écrivains comme Joyce, D'Annunzio, Svevo. Il y a aussi dans cet ancien port
impérial de l’Autriche, un parfum de doux déclin, de grandeur évanouie, mais
suave, qui n’empêche pas les habitants de profiter d’une assiette de poulpe ou
de café Illy, maison de Trieste, au pied de ces palais désormais silencieux et
de ces grues rouillées qui n’accueillent plus les steamboats chargés
d’aristocrates galonnés.
Je suis
revenu aussi à Venise sur le chemin, un avion décalé d’une journée m’a permis de
présenter mes respects à Stravinski sur l’ile funèbre de San Michele, digne de la Toteninsel de Böcklin, avec ses cyprès majestueux et sa silhouette
sévère. J’ai aussi vu Diaghilev des Ballets Russes et sa tombe couverte de
Repetto roses. La Biennale d’Art Moderne est assez bonne cette année. Evidemment, les
pavillons des grands pays sont souvent paresseux (celui de l’Allemagne était
vide - concept ? - la France
accueillait une sorte de disciple de Stockhausen qui trafiquait des synthés, la
Grande Bretagne, encore pire que quand nous y étions ensemble, une série
d’encombrants en polystyrène mal laqués), mais la Russie a fait un effort avec
un artiste contestataire qui dénonçait l’oppression numérique, la manipulation
par les lobbies et la destruction de Palmyre. On y trouvait des bébés avec des
ceintures explosives et des masses manipulées par le Grand Capital, des nuages avec
des rouages mais aussi par un aigle mécanique réminiscent du tsarisme sous le
« monitoring » des drones, dans un mélange plutôt réjouissant
d’agit-prop soviétique et de révolte à la Snowden. Seule concession au contrôle
qualité du Kremlin : les canons portaient une mention « Made in
USA ». Et l’oppression numérique vient forcément de Californie…
#MondeDiplomatique. Une mention spéciale au pavillon tchèque avec les cygnes en
plastique disposés devant un écran figurant la mer, au grand arc en ciel de
pin’s soviétiques du pavillon hongrois, mais aussi aux livres comme art, les livres vénérés,
empilés, explosés, protéiformes en tout cas, chez les Japonais et les Suédois.
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