Joyeuse Saint-Valentin à
tous ! Voici ma contribution à cette grande fête de l’amour, sponsorisée
par Interflora, Durex, les fabricants de sirop de glucose et d’huile de palme
au cacao.
Alors, Tinder, combien de
divisions ? Voilà comment ça se passe. Tu es cadre moyen à Paris –
consultant en systèmes d’information, peut-être. Tes journées se partagent
entre Microsoft Outlook, des steaks tartare à 25 euros et le RER B. Ta vie
sentimentale a sombré comme un Titanic arrosé de napalm, et tandis que dans les
rideaux de flammes wagnériennes, les derniers passagers faisaient le grand
plongeon, sous une lune indifférente, assommés par les morceaux d’iceberg et
les canaux de sauvetage inutiles, le U-Boot de la rupture a lancé la dernière
torpille, envoyant dans les sombres abysses de l’Atlantique ton couple, et le canapé Ikea
sur lequel tu passais tes nuits.
L’esprit encombré de fatigue, de
benzodiazépines et de mauvaises idées champenoises, tu saisis donc ton
smartphone. Ce petit lingot de métal et de plastique est devenu ton meilleur
ami, à présent. Et tu installes Tinder.
Le 1er septembre 1983,
un Boeing 747 de la compagnie Korean Airlines, désorienté ou espion, dévia de sa
route prévue et entra dans l’espace aérien soviétique. Il fut abattu par un
Soukhoï Su-15 à l'ouest de l'île de Sakhaline. Aucun survivant ne fut retrouvé
parmi les 269 passagers et membres d'équipage, au nombre desquels figurait le
député américain Larry McDonald.
Le président Ronald Reagan,
choqué par cette attaque délibérée contre le monde libre, a donc permis que la technologie GPS soit mise à
disposition des civils, tandis que les dernières tongs des enfants coréens
étaient ramassées à l’épuisette par les pêcheurs d'Hokkaido.
Puis en 2007, un gourou bouddhiste
en col roulé sombre inventa l’Iphone.
Assis en tailleur en haut des
collines de Palo-Alto, le milliardaire zen contempla alors son œuvre : la
combinaison de la géolocalisation et d’un ordinateur miniature placé dans notre
poche allait permettre aux humains de pratiquer leur sexualité différemment.
Alors qu’auparavant, il fallait
prendre le risque de draguer les secrétaires en bas résille au péril de sa
carrière, ou d’aborder des filles indifférentes en boite de nuit, bravant les
videurs et les meutes de minets avinés, ou pire, d’harponner les filles dans la
ligne 13 aux heures de pointe, entre deux accidents voyageurs, tentant d’être
spirituel malgré les aisselles de comptable encastrées dans ton visage et l’odeur persistante de bière flottant dans le wagon, à présent, grâce à Tinder,
tout est fini, tout est plus simple.
C’est le monde de l’abondance.
Tinder met à notre disposition une sorte de harem virtuel dans lequel il
suffirait de piocher pour choisir sa proie, depuis son canapé. Les photos de
toutes ces filles offertes sortent une à une de leur data-center anonyme, comme
une loterie de la beauté et de la laideur. Il suffit alors de les « liker », ou de
les jeter d’un geste méprisant, en glissant son doigt sur l’écran, vers la
gauche. Quand la fille d’en face, lassée par sa solitude réciproque, finit par
capituler, cela s’appelle un « match » : vous avez le droit de
lui conter fleurette, pour le meilleur et pour le rire.
Et c’est là où ça devient
marrant. Et tragique.
Bon parce qu’en fait ce que j’ai
oublié de vous préciser, c’est que les gens sur Tinder vont aussi mal que vous.
Ils sont la plupart du temps seuls, aigris et égocentriques. Et la qualité
n’est pas toujours au rendez-vous.
Tout d’abord, Tinder est la plus
grande réserve de Charlène du web. Des Charlène en liberté, des Charlène qui
font du duckface, des Charlène pathétiques avec des lunettes en plastique géantes
pendant un enterrement de vie de jeune fille sur les Ramblas de Barcelone, le
visage déformé par l’abus de sangria, des Charlène refaites en maillot de bain
sur la plage de leur resort all-inclusive à Punta Cana… Des Charlène maquillées
comme des sapins de Noël ou des voitures volées, entourées de leurs copines,
des Cynthia ou des Johanna, généralement. Enfin ce que Gainsbourg aurait appelé
des Marilou : le genre de filles dont la conversation ferait passer Cyril
Hanouna pour Schopenhauer, et qui transformeront votre cœur en tourbe
spongieuse imbibée de whisky si vous avez le malheur de tomber amoureux
d’elles. Et là, je me pose la même question que Tatiana posait à Oneguine, et
qu’Ashanti posait à Fat Joe : What’s
Luv ?
Sur Tinder on trouve aussi :
- Des consultantes névrosées
- Des auditrices frigides
- Des neurologues flippées
- Des danseuses narcissiques
- Des actrices déclassées
- Des artistes tatouées
- Des semi-escorts slaves
- Des hôtesses de l’air low-cost
- Des filles qui ont l’air intelligentes et qui sont moches
Généralement c’est avec celles-là
que ça se termine. Parce que la discussion ne peut pas tenir très longtemps
sinon.
Au début, je n’avais pas la
technique. Par exemple, les semi-escorts russes, je leur parlais de
Rachmaninov:
- How are U
- Fine, thanks ! Do you live in Moscow ?
- Yes [merde, il va falloir faire 3000 km en avion si je veux la mettre dans mon lit]
- Ha, I love Moscow you know.
- Yes it’s fine city LOL :-)
- Ah, Moscow, the soviet buildings, the Tretyakov gallery, the Bolchoi theater… and night clubs :-) [toujours passer pour un mec cool qui aime sortir, ça rassure]
- [pas de réponse de la russe]
- I love russian romantic paintings, like the views of the Volga by Levitan… And to me, Rachmaninov has captured part of the Russian soul in a symphonic format
- [pas de réponse de la russe]
- My favorite pianists are Horowitz, Richter and Gilels… to me, Gilels was the Tsar of Sound, so to say it. He had a transcendental technique, but it was not virtuosity for the sake of virtuosity. His interpretation of Medtner’s Sonata Reminiscenza is pretty amazing, at the same time dark and contemplative…
- [pas de réponse de la russe]
Bon ok j’ai raté mon coup. Allez,
ne sois pas si méchant, ses grands-parents ont été affamés par les nazis
pendant le siège de Leningrad. Et tu as été trop verbeux. En fait c’est comme
ça sur Tinder : il faut être efficace, concis et spirituel. Comme
l’OM : Droit au But. Un subtil mélange d’Oscar Wilde et de Franck Ribéry.
Avec un peu de chance, elle sera un subtil mélange d’une beauté préraphaélite
et de Zahia…
Et puis ne soyons pas si méchants,
on trouve aussi des filles de qualité sur ce site. Des filles qui cherchent
l’amour, comme moi, même si l’amour n’est qu’une ruse de l’espèce pour nous
pousser à sortir de chez nous et mêler notre pool génétique à des femmes aptes
à engendrer, au lieu de le gaspiller devant sa tablette Android. D’ailleurs, ça
se finit parfois bien, comme cette « date » avec une showgirl
sublime, fan d’opéra et de Dita von Teese, sous le patio de l’hôtel Amour,
l’esprit embrumé par le Bollinger. Ou cette beauté moscovite qui connaissait,
elle, Rachmaninov, et qui réalise un film sur la symphonie Leningrad de
Chostakovich ! La profondeur de sa culture serait-elle proportionnelle à
la longueur de ses jambes ?
En attendant, pas de
#DigitalDetox, je retourne sur mon smartphone. J’ai de la Charlène à
éconduire.
Joyeuse Saint-Valentin à tous.
LOL.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire