...je sors mon clavier ! N’y
voyez pas une référence à ces expositions contestables des années 30,
quand les artistes d’avant-garde recevaient un
accueil assez tiède de la part des autorités compétentes. Bourgeois de province déclassé, patron potentiel des arts et des lettres, pacifique esthète de salon, je ne saurais finir cette phrase autrement.
Je vais donc
vous parler du ZKM. Non, ce n’est pas une maladie vénérienne ou
une section du plan comptable estonien, mais le centre sur la
technologie des médias et l’art de Karlsruhe (Zentrum für Kunst und Medientechnologie). Un OVNI culturel qui squatte une ancienne
usine de munitions, un gigantesque labyrinthe de coursives et de
balcons métalliques subventionné rempli d’expositions foisonnantes sur des
thèmes aussi fédérateurs que l’art vidéo asiatique ou les jeux
vidéo des seventies.
Un endroit improbable
avec son cube acoustique géant pour concerts dissonants, ses
auditoriums où des philosophes clodos et d’anciens beatniks
viennent évangéliser les spectateurs d’Arte, et sa cafète qui
sert des spätzle au fromage tout à fait passables.
Je
viens d’y faire un saut et je n’ai pas été déçu. L’exposition
« Total Accomplishment » de Matthew Day Davis est d’une
grande puissance visuelle. C’est une évocation de l’apocalypse
nucléaire, et de sa place dans l’inconscient collectif pop aux
Etats-Unis. L’ensemble fait froid dans le dos. Nous sommes
accueillis par la réplique du cockpit du bombardier d’Hiroshima,
rempli d’organes en plastique, piloté par un squelette
fluorescent. Ce macabre fuselage lustré se détache sur une immense
fresque stellaire couverte de galaxies étincelantes. L’Apocalypse
mène-t-elle à la communion cosmique ? Un plan de Paris en bois
consumé au chalumeau et une vidéo très didactique sur la puissance
de destruction des bombes H de la guerre froide achèvent le visiteur
en quête de distraction du dimanche. Vous apprendrez notamment que
la Tsar Bomba soviétique, testée au-dessus de la Nouvelle-Zemble,
pouvait anéantir toute forme de vie en Ile de France, en quelques
minutes. Vladimir, tu as encore les clés ?
Si vous voulez « chiller » ou faire une « date » ludique et digitale (dans le sens de « numérique »), allez plutôt voir l’exposition "ZKM Game Play", très réussie, comme un écho à l’expo "Game Story" de 2011 au Grand Palais. Elle propose tout d’abord une histoire pittoresque des jeux vidéo, des pixels bruts de Pong et Pac Man à Assassin’s Creed qui voltige sur les coupoles de Constantinople. Vous frémirez de nostalgie devant vos anciennes Game Boy et MegaDrive, lourdes comme des parpaings de plastique… vous pourrez même jouer à Tetris et Mario World, délicieuse régression ! Le jeu vidéo comme utopie, univers onirique, modélisation d’un monde fantasmé, corpus de règles ludiques à respecter, mais aussi comme média, et comme œuvre d’art pop, audacieuse ou provocatrice.
Certains jeux originaux sont dévoilés, comme la « PainStation » inflige ainsi au joueur malchanceux des coups de fouet, chocs électriques et brûlures ! Un autre jeu, moins drôle, vous met dans la peau d’un clandestin tentant de survivre à la traversée du Sahara. Nous retrouvons ici cette tendance des « Serious games », des jeux utilisés pour former, apprendre ou sensibiliser. Clin d'oeil, le jeu "Long March : restart" avec son graphisme 16 bits à la Street Fighter II, qui nous montre des commissaires de la révolution en train de lutter contre les capitalistes et les canettes de Coca-Cola. Les jeux vidéos en tant que pop culture ont eu une influence notable sur les artistes, comme le montre par exemple le pixel art ; ils sont une branche de l’art vidéo devenue autonome.
D’ailleurs,
une exposition d’art vidéo asiatique fait actuellement rage au
ZKM. Elle est attrayante à plus d’un titre, et pas uniquement pour
ses soldats coréens camouflés en bouquets de fleurs évoluant au
ralenti (des canons sous des fleurs, disait Schumann des polonaises
de Chopin, belle oxymore, clic clic #éruditiongratuite). Ne me demandez pas pourquoi, le ZKM héberge environ 10 expositions en même temps. C'est incompréhensible.
Enfin je ne
peux pas prendre congé de vous sans vous parler de l’exposition
Babel World, et ses visions de cauchemar d’une mondialisation
chaotique et inhumaine. Les fresques de Du Zhenjun, patchwork effrayant de buildings démesurés, d’éléments architecturaux, de milliers de photos
d’hommes et de femmes mélés avec virtuosité dans une foule informe, nous offrent une
lecture postmoderne du mythe de Babel. Ici, la Tour s’élève comme
un monstre de béton qui écrase des foules noyées dans un chaos
urbain d’émeutes, de ravages, d’inondations, de
restaurants chinois, de panneaux d’autoroute allemands, de façades
haussmanniennes, de colonnes romaines… un immense chaos
postmoderne (comme le blog de votre serviteur), qui nous rappelle une vérité : la mondialisation
écrase les peuples et ravage la planète. L’homme qui a voulu se
faire Dieu tout puissant est puni pour son orgueil par une vie
misérable dans des mégapoles sinistres, et la dernière fresque
montre la Tour maudite, Babel, hideuse, ravagée, qui s’effondre par pans
entiers sur une colonie d’hommes-cafards. Une vision juste du 11 Septembre ?
L’exposition sur Allen Ginsberg et ses potes beatniks Burroughs et Kerouac est assez décevante. Quelques
photos, quelques textes, une ou deux vidéos, entre Bob Dylan et une escapade à Tanger, pas grand-chose à se
mettre sous la dent pour comprendre ces clochards célestes,
marginaux pacifiques, contemplatifs et désabusés, qui ont consumé
leur vie dans le bourbon comme Kerouac et rêvé les mots comme des
surréalistes, sur les rythmes syncopés de Charlie Parker. Je vous
conseille plutôt de regarder le documentaire sur Arte, et de
relire On the Road. Peut-être l’exposition au centre Pompidou de Metz sera-t-elle plus intéressante ?
S’il vous
reste un peu de temps (après tout vous avez été assez fous pour
finir cet article), jetez un œil sur cet artiste : Manfred
Mohr. Un pionnier de l’art géométrique par ordinateur, dont les
compostions fascinantes de pureté et de complexité mettent
l’entendement à l’épreuve… comme un fils illégitime de
Mondrian et Miro qui aurait fait un stage chez IBM en 1973.
Allez, vous
m’avez déjà fait traverser trop longtemps votre cortex endolori.
Je vous rends vos méninges, et retourne à mon TGV Est qui avale la
Lorraine à 320 à l’heure. Bon vent !
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