Les Ardennes : une saison
en enfer
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L'homme aux semelles de vent |
Si vous vous représentez les
Ardennes comme une région oubliée de Dieu, où des gothiques au RSA font des
messes noires à la Kro entre deux bunkers désaffectés, alors passez votre
chemin. Non, les Ardennes ne sont pas qu’un grand désert vert kaki
sillonné par les sangliers, une
hémorragie
démographique,
une autoroute
pour panzers en vadrouille, le terrain de jeu d’un
Michel Fourniret, qui
jouait aux osselets avec les ossements dans les fougères de la forêt-frontière.
Non, n’avez rien saisi à la grâce de cette région méconnue – à juste titre -,
car vous n’êtes que de sinistres béotiens métrosexuels.
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Woinic, le plus grand sanglier du monde, et Georgette |
Tout d’abord, les Ardennes sont
la patrie d'
Arthur Rimbaud,
qui aimait bien prendre l’Enfer avec Verlaine pendant qu’il écrivait la
Saison du même nom. « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et
je l’ai trouvée amère. — Et je l’ai injuriée » : le pessimisme était proportionnel à la météo locale. Aujourd’hui,
la route « Rimbaud-Verlaine »
permet aux âmes poétiques de suivre l’ensemble des fermes de l’Openfield qui furent
le théâtre de leurs louches ébats sous absinthe.
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La synesthésie, un jeu d'enfant |
A noir, E
blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles. Le fulgurant gamin
synesthète haïssait Charleville-Mézières,
mais la municipalité lui consacre deux lieux de pèlerinage, grâce aux fonds
européens : la
« Maison des
Ailleurs » est un de ces musées provinciaux improbables, à la
scénographie déjantée et hermétique, dans un lieu totalement vide, avec
des résidences subventionnées de poètes africains; des projections
holographiques sur le parquet nu évoquent l’itinéraire des « semelles de
vent » du poète en quête d’inconnu : Aden, Padang, Port-Saïd,
Batavia, Sainte-Hélène... En face, dans un ancien moulin sur la Meuse, qui n’a
jamais dû voir de
Bateau
Ivre, quelques peintures et manuscrits tentent de rendre justice au bref génie
d’un grandiose vagabond. «
Or moi,
bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l’ouragan dans l’éther sans
oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N’auraient pas repêché
la carcasse ivre d’eau » …
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C'est la place des Vosges, sans DSK ni Jack Lang |
Sa sépulture oubliée est un
must-see au milieu des maisons de maître déclassées en pierre brune, à deux pas
de la splendide
place
Ducale, petite sœur de la place des Vosges. Rêve de pierre de
Charles de Gonzague,
duc de Mantoue, Charles-Ville est un Saint-Petersbourg dont les promoteurs
auraient fait faillite : à 100 mètres, on trouve les premiers foyers Sonacotra ;
à 10km, la frontière belge et ses cartouches de clopes. Car finalement,
Charleville-Mézières, c’est la certitude d’un après-midi raté dans les relents
de bière d’Abbaye d'un PMU seventies face au cimetière ; c’est un
sentiment diffus d’échec sous le ciel lourd de la place Pierre Bérégovoy.
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C'est de la belle beauté |
Le seul moyen d’y échapper en un
coup de Twingo, c’est se plonger dans les larges méandres de la Meuse ; majestueuse,
entre deux fonderies abandonnées, la
boucle
de Monthermé est une petite merveille naturelle… Dans ce paysage quasi-nordique,
il faut sortir son VTT et entreprendre l’Ascension de la
Croix-Scaille,
le point culminant du massif, au milieu d’une épaisse forêt de sapins et de
fougères (504m). « Arduinna » signifie forêt profonde, en Celtique… Ce ne sont pas les Alpes, mais essayez de
trouver plus sauvage 300km à la ronde! Au sommet, c’est la Belgique, et
cette tentation monomaniaque de lancer une randonnée sur les bornes frontières
jusqu’au petit matin. Ici, les résistants du maquis étaient parachutés, au
milieu des tourbières marécageuses ; pour fêter ça, les autorités ont édifié
une éphémère
Tour
du Millénaire en sapin vermoulu, dont l’effondrement aurait dû être fatal à
un Wallon maudit.
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Une invitation au pédalo avec 2 grammes 5 |
Dans les austères villages et les
gros bourgs aux toits d’ardoises, les bars Jupiler se succèdent sans fin ;
plus personne ne travaille ici mais il reste quelques loisirs. Au
lac
des Vieilles Forges, on se croirait en Finlande : même mélange de
sapins et de bouleaux, une eau limpide. Mais l’accent local (bin wi, hein), et la densité en baraques à frites sur la plage nous
rappelle l’ancrage ouvrier. Il y règne une ambiance à caractère convivial
à peine perturbée par les pécheurs ivres morts qui écoutent Chante France sur
leur siège pliant. Les racistes apprécieront également la faible population immigrée. A la fin de la journée, les fans de faits d’armes héroïques
pourront se diriger vers Rocroi, ville citadelle fortifiée par François 1er, lieu
de la
bataille
éponyme. Ou à Sedan, plus grande forteresse d’Europe, Mecque locale du
football, tombeau du Second Empire… Et la centrale nucléaire de Chooz? Et l'église d'Asfeld en forme de viole de gambe? Ce sera pour un autre jour !
ça y est mon choix est fait pour mes prochaines vacances
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