Vous rêviez des cabinets ministériels et vous vous faites fouetter par un barbu en cravate Bugs Bunny dans une cave administrative ? Sur un stand de recrutement rutilant, couvert d'Ipads et d’hôtesses en minijupe, vous avez eu la faiblesse de signer dans l'audit, et vous comptez les bobines d'aluminium dans une usine des Vosges? On vous avait vendu du conseil en stratégie, et vous saisissez des ratios dans la pre-release béta-test d'un progiciel de gestion RH ?
Il vous reste encore une
ou deux solutions pour rendre votre vie parisienne acceptable.
Réfléchissons.
Si les Allemands avaient construit ça, qu'est ce qu'ils se seraient pris |
D'ores et déjà, vous
pouvez réveiller le côté hipster qui sommeille en vous sans
prendre de risques, dans un lieu qui combine la bohème de l'Est et
le snobisme de l'Ouest : le Tokyo Eat, splendide terrasse estivale du
palais de Tokyo. Vous viendrez vous noyer dans un mojito après
quelques heures dans les galeries
de la Triennale, à deviser avec la pertinence qui vous
caractérise sur ces
bouteilles de butagaz taillées au chalumeau en forme de globe
terrestre, ce
quadruple piano, ces
robes qui survolent, fantomatiques, un océan de ventilateurs,
cette piste
de skateboard bariolée sous LSD intitulée avec laconisme « Death
of A King ». Le Tokyo Eat, on l'aime pour sa carte décalée,
ses cocktails délurés, dans un écrin d'architecture brutaliste
style international presque naziforme, son
électro-pop-acid-jazz-trip-hop en compagnie des rares bobos qui
osent s'aventurer si près des Champs-Elysées. Si vous invitez
quelques amies chefs de produit, souvenez vous : vous devez
porter la barbe d'un intermittent du spectacle, avec le portefeuille
optimiste d'un avocat d'affaires...
Retour chez vous, passez
vous changer : il vous faut ce T-Shirt rouge vif des Simpsons,
et ce sweat à capuche vert fluo qui cache bien votre ventre de cadre
en mode flashy. Le temps de vous couvrir de parfum au lieu de prendre
la douche pourtant nécessaire, vous écoutez Michel Petrucciani, car
vous êtes un homme de goût : le Concert
des Champs Elysées de 95, d'une virtuosité orgiaque, ou le live
de 98 à Stuttgart... ach mein Gott... il fallait qu'un nain ait
un jeu aussi titanesque, pour nous remettre à notre place de pauvres
géants mortels... tandis que nous sommes collés à notre piètre
réalité, lui il nage dans l'hyperespace, au milieu des trilles et
des arpèges, quelque part entre Duke Ellington et Art
Tatum, le
« chopin fou » cher à Cocteau, malicieux et aveugle.
Bon, vous avez fini de
vous changer ? Il est temps de vous engouffrer dans le métro et
ses miasmes, pour vous plonger dans l'expo la plus snob du moment :
Gerhard
Richter au Centre Pompidou, un des rares peintres contemporains
dont la contemplation ne nécessite pas un tube d'aspirine.
Sublimer le banal openfield |
Vers une esthétique du Mustang P-51 |
Maintenant, vous n'avez
plus d'excuse pour louper lamentablement vos after-works. Une alternative, l'expo Helmut Newton, éloge de la femme dominatrice au Grand Palais, à développer dans un post ultérieur, présomptueux
lecteur.
Par ailleurs je vous en
veux beaucoup d'avoir loupé les rythmes motoristes barbares du 2eme
concerto de Prokofiev, sous les poignets d'acier du grand Boris
Berezovksy - le pianiste, pas l'oligarque. Je vous donne ici une
session de rattrapage avec le très bon (et très gros)Yefim
Bronfman, un peu moins puissant peut être, avec un orchestre de la
RAI asthmatique qui aurait besoin d'un Red Bull :
La saison musicale mondaine se
termine. L'immense Volodos joue demain au Théâtre des Champs-Elysées la sonate de Liszt, héroïque poème symphonique pour piano, sombre et révolutionnaire. Si vous n'avez pas peur des dissonances, il vous reste, toujours au Théatre des Champs, le 3ème concerto de Bartok martelé par Nikolai Lugansky, qui cache un réel charisme musical derrière une technique
robotique et une chaleur humaine à la Poutine. Sinon, vous irez vous refaire cet été sous les chênes centenaires du château
de Florans, à la Roque d'Anthéron, mecque provençale du pianomondial...