« Mon piano est pour moi ce qu'est la frégate pour le marin, le cheval pour l'Arabe - plus encore! Ce fut jusqu'ici mon moi, mon langage, ma vie ».
Au-delà des évènements
inutiles qui ponctuent notre année (Fête des mères, mort de
dictateurs, Téléthon, discours de Nicolas Sarkozy), je vous propose
de retenir un des seuls qui vaille la peine d’écrire quelques
lignes : 2011, pour dix jours encore, est l’année Franz Liszt. S’il était encore vivant, il aurait 200 ans ! Et il
nous manque tellement ! Si vous n’êtes pas d’accord,
écoutez ceci.
La
vie
de
Liszt
est
un
roman : c’est
le titre d’une de ses biographies. Comment résumer en quelques
lignes une personnalité extravertie et généreuse, d'un
pianiste virtuose, transcripteur de génie, compositeur iconoclaste,
dragueur, poète, rockstar, abbé !
Enfant prodige, il quitte
les bords insalubres du Neusiedler See pour un premier roadshow dans
l’Europe entière, de Paris à Vienne. Il prend des cours avec
Czerny
et Salieri,
le rival de Mozart (vous avez vu « Amadeus » ?).
Impressionné par une belle improvisation, Beethoven l’aurait pris
dans ses bras pour lui prédire un grand avenir ! Etranger, il
est refusé au conservatoire de Paris en 1823 par un Cherubini
plus méchant que Claude Guéant – mais ce fut un cadeau, car être
autodidacte sera sa plus grande force : toute sa vie, il sera un
infatigable innovateur, surmontant les règles de la musique du
passé. Il donne des cours et s’éprend d’une élève, Caroline
de St Cricq : ils entretiennent une belle relation
platonique, donnant lieu à une méchante déception amoureuse
quand le père ministre refuse de la donner à un saltimbanque. Toute
sa vie d’ailleurs, dans ses écrits, Liszt réfléchira à la
place de l’artiste dans la société, à la fois source de la
Beauté, mais aussi simple amuseur des puissants de ce monde.
Tous les Werther vous le diront : les amours adolescentes
laissent des
blessures
indélébiles.
Mais Liszt sera toujours entouré de femmes, et l’amour est un
thème majeur de son œuvre. Il est resté célèbre pour avoir enlevé sa maîtresse Marie d'Agoult à son vieux mari, pour s'enfuir en Suisse et en Italie! Martha Argerich considère que Liszt
comme « Eros en personne », Nietzsche, plus sévère,
parle de son style, « pour plaire aux femmes » :
quand la verve, l’audace, l’habileté triomphent sur le clavier,
la musique prend les chemins détournés de la séduction. Parfois,
c’est dans un mode onirique, comme dans ce nocturne, le
Rêve
d’amour
N°3, tellement
sentimental, comme si des chérubins volaient sur le clavier !
Ou la spectaculaire
étude
« Un
sospiro »,
séraphique, aérienne. Ces caresses voluptueuses… Cela rappelle un
peu cette Etude-Tableau
de Rachmaninov aussi suave que redoutable pour le pianiste.
La séduction, c’est un
faible mot. Liszt est la première rock-star de l’histoire*. Il
fréquente la haute société, devient ami avec Chopin, Wagner, Rossini, Dumas,George Sand. Il tourne le piano vers la salle pour qu’on voie ses
mains : c’est l’invention du récital. De 1839 à 1848, il sillonne l’Europe entière en train, en diligence ou en bateau. Sa virtuosité, sa présence scénique,
son allure élancée de dandy conquérant magnétisent les foules.
Accueilli comme un empereur dans les grandes capitales, il donne ses
bénéfices aux œuvres de charité. Les femmes tombent devant lui,
s’arrachent ses mouchoirs et ses gants : des scènes
d’hystérie qui ne se reproduiront pas avant les Beatles et les
Stones. C’est la « Lisztomania »
dénoncée par Henri Heine, célébrée avec élégance par le groupe
Phoenix : les
gens deviennent fous, et Liszt entretient le mythe. Son « Grand
galop
chromatique »
est un morceau de bravoure autant que les solos de guitare de Joe
Satriani ou de Jimi Hendrix. Les caricaturistes le représentent dans
un cirque, perché sur des chevaux portant un piano !
Liszt (joué par Sviatoslav Richter) rencontre Glinka à St Petersbourg - Regardez à partir de 2 mn
Mais la performance de
l’interprète n’est pas une fin en soi. Compositeur à plein
temps dès 1848, Liszt va pousser le piano dans ses derniers
retranchements, transcender la technique pianistique pour la mettre
au service de ses idées musicales : il va donner au piano une
voix universelle, une puissance d’orchestre. Il va inventer un
langage musical sans lequel Grieg, Ravel, Rachmaninov et Prokofiev
n’auraient pas existé.
Ce talent pour la
transcription et l’improvisation, Liszt l’a utilisé pour exalter
ses origines nationales dans les Rhapsodies Hongroises. Ces thèmes
traditionnels hongrois et bohémiens, Liszt les a cousus ensemble
pour donner des pièces éloquentes, tour à tour sautillantes et
graves, très mélodieuses, comme la célèbre Rhapsodie
n°2,( qui donna
lieu à un incroyable
duel
au
piano
entre
Donald
et
Daffy
Duck !), la
6ème,
9ème
et la
15ème,
« Marche de Rakoczy » brillamment
orchestrée
par
ailleurs
par
Berlioz (vous vous
souvenez de la
Grande
Vadrouille ?
Quand la pop culture s’en empare, c’est souvent bon signe. On ne
peut pas être snob toute la journée.)
A Weimar dans les années
1850, Liszt va inventer « la musique de l’avenir », ce
qui lui vaudra beaucoup d’admirateurs, et des rivaux perfides !
Ses deux concertos pour piano (1,Argerich,
2,
Richter) sont tour à tour impétueux, triomphaux, dionysiaques…
Les thèmes s’enchaînent de manière cyclique, et les innovations
sont nombreuses, comme l’usage du triangle par exemple ! En
dehors du piano, Liszt va surtout innover en dépassant la symphonie
classique alors divisée en 3 ou 4 parties avec différents tempi. Le
poème
symphonique est
une nouvelle forme orchestrale, d’un seul tenant, qui décrit un
univers issu d’une œuvre littéraire ou d’un fait historique.
Par exemple, Mazeppa le
pauvre
homme attaché à
un cheval au galop pour avoir trop câliné une jeune noble
polonaise, avant de devenir le grand chef des cosaques (poème
d’Hugo
(les Orientales) après avoir lu Byron).
Ou, évidemment, « Les
Préludes »
(Gergiev), d’à peu près Lamartine ? Ses procédés
d'orchestration très complexes, qui exaltent toutes les couleurs des
instruments, seront abondamment repris
par
Wagner, qui
épousera d’ailleurs la fille de Liszt, Cosima.
Liszt en est mort : alors qu’il était malade, sa fille qui
avait un sale caractère (elle avait déjà brisé le cœur du
pianiste Hans
von
Bulöw), lui a
demandé de venir à Bayreuth pour les Festspiele de 1886. C'était le voyage de trop : il est encore enterré sur place, et ses groupies doivent faire le voyage.
Excellent, tu as gagné un tweet
RépondreSupprimerAh ah Merci Msnl j'aime quand tu sais reconnaître l'excellence
RépondreSupprimerFinalement, DSK me parait bien fade à côté de ce bon vieux Franz
RépondreSupprimerPersonne n'a jamais autant chopé (à part Mitterrand, Garcimore et Rocco)
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