mardi 27 décembre 2011
Pourquoi Onéguine ?
mardi 20 décembre 2011
Franz Liszt Superstar
« Mon piano est pour moi ce qu'est la frégate pour le marin, le cheval pour l'Arabe - plus encore! Ce fut jusqu'ici mon moi, mon langage, ma vie ».
lundi 12 décembre 2011
Tentative de come-back
Paresse ! Paresse ! Paresse ! Facilité de l'inaction, tentation de l'édredon, confort de la complaisance ! Molesse épistolaire, capitulation de l'esprit, méchant repli domestique !
J'avais un embryon de public, et je vous ai laissé en rase campagne, devant un blog aussi vide que le frigo d'un rom (ou un discours de Brice Hortefeux). Promis, cela n'arrivera plus. Sinon je m'engage à verser un pourcentage indéterminé de mes recettes publicitaires à une œuvre plus ou moins caritative (ex : campagne d'Eva Joly, refuge de la SPA, soutien aux victimes du poker en ligne et des compagnies low-cost).
Comment expliquer ce talent que nous avions à 16 ans pour éreinter notre plume dans de grands élans lamartiniens pour des petites lolitas glaciales, à tenter sans panache le coup du poète maudit dopé aux Nocturnes de Chopin, pendant que les vrais mecs sportifs marquaient des points sur le dance-floor? Et pourquoi aujourd’hui, il est si difficile de noircir l'écran avec quelques mots distrayants? C'est la nature humaine : tout effort mérite une vraie récompense. Dans cette solitude de la rédaction, il faut s'imaginer une belle ukrainienne de l'autre côté du miroir, ou à la limite, un cadre moyen qui ricane vaguement dans son open space. Il faut ce courage pour surmonter une après-midi d'échec à étaler de la pâte de cabillaud suédois sur des Cracottes Leader Price, dans une ambiance de tapis persans, de plantes mortes et de tabac froid.
Bref. Malgré ce silence radio coupable, tout n'est pas perdu, car pendant ces trois semaines je me suis beaucoup interrogé sur la ligne éditoriale qui ferait de ce blog un authentique événement dans le monde étrange du numérique.
Au départ, je pensais créer une plate forme collaborative qui centraliserait toutes sortes de propos réactionnaires, positivistes, nihilistes, pro-motards, anti-motards, féministes, royalistes, naturistes, scientologues, ou favorables au lancer de nains. Je me suis dit : c'est une mauvaise idée : qui aurait le courage de s'aventurer là dedans alors qu'il suffit de regarder TF1 ?
Alors j'ai réfléchi : les gens ont de l'énergie à canaliser en temps de crise, pourquoi pas tout simplement un forum d'incitation à la haine sous couvert de thèmes touristiques pittoresques?Par exemple : « Randonnées en Algérie », « la Trinité sur Mer avec Marine», « les auberges bavaroises d'Argentine», « Nuremberg et Wagner », « les autoroutes de Prusse Orientale»...
Ou sinon, pour les plus généreux d'entre vous, la version plus à gauche : « comment séquestrer son patron en lui infligeant de graves dommages corporels », « je caillasse un camion de pompiers», « je sabote mon usine en 30 mn », « je dors au bureau », « je dors au volant », « je fais du camping urbain », les secrets de la coupe Playmobil d'Arlette Laguiller (j'en profite pour manifester mon admiration devant son épigone Nathalie Artaud, qui applique pour la première fois la continuité capillaire au sommet d'un parti politique). Ou alors un site « Ostalgie », style Good Bye Lenin, avec tous les objets les plus bruts de l'ex-RDA, et une section pour réhabiliter Staline qui, après tout, a donné aux Moscovites un excellent réseau de métro.
lundi 14 novembre 2011
Lazy teaser
Comme le disait Keynes, à long terme, nous serons tous morts. Le moyen terme n'est pas plus réjouissant : le marché de l'emploi ressemble à un no man's land couvert de barbelés rouillés, les actualités sont aussi marrantes qu'un Requiem de Mozart chanté par des inspecteurs de l'URSSAF, avec Lionel Jospin aux percussions et Arnaud Montebourg au pipeau.
L'économie est asthmatique en ce début d'hiver, et l'innovation consiste à développer de nouvelles applications très spirituelles sur l'Iphone, comme « Juif ou pas juif », celle qui souffle les bougies d'anniversaire, ou celle qui localise les toilettes publiques par GPS. Ce bond technologique est infiniment plus important que la découverte de la pénicilline par Alexander Fleming, ou celle de la structure de l'ADN par Crick et Watson. Eh oui, comme le chantait déjà Jamiroquai en 1996 : Futures made of virtual insanity now / ( …) For useless, twisting, our new technology (…). La profusion de gadgets sur batteries, le bruissement permanent des appels et des emails, le ronronnement des ordinateurs, leur indifférence à votre labeur d'ouvrier du savoir, tout cela ne ferait pas émerger un violent sentiment de haine pour les nouvelles technologies ? Une volonté de revenir à zéro dans une vieille baraque de pêcheur en Lettonie, avec sa batte et son couteau, en communion avec la nature ?
Je vous propose donc de me suivre au métro Porte de Pantin autour du génie de Paul Klee. N'hésitez pas à faire le voyage, qui vous fera découvrir un nouveau visage de Paris, plus varié que l'insipide 7ème arrondissement. Pourquoi consacrer une exposition à un peintre moderne obsédé par la couleur à la Cité de la Musique, en la nommant de surcroit « Polyphonies » ? En fait, Paul Klee était un très bon joueur de violon, et la musique a eu une profonde influence sur sa peinture. Et l'harmonie en peinture se rapproche plus que vous ne le pensez des harmonies musicales.
Vous saurez pourquoi dans le prochain post !
dimanche 6 novembre 2011
Nos amis les dépressifs norvégiens
Vous allez mal en ce début d'hiver ? Elle vous a largué alors que c'était la première à la fois sexy et passionnée par la crise de la dette? Vous allez vous jeter d'un pont parce que le soleil se couche à 16h48 ? Comme les Écossais de Glasgow, vous n'avez pour seul horizon que la bière brune, les paris sur les combats de chiens et les rixes avec des tessons de bouteille ?
Dans ce cas n'allez pas voir l'exposition sur Edvard Munch, le peintre dépressif norvégien*. Vous risquez de faire une grave rechute et de finir sous neuroleptiques, à écouter des Nocturnes de Chopin en éclusant du mauvais whisky, devant Michel Drucker.
Je souris encore en songeant aux commentaires bien pensants sur cette exposition, par ailleurs très réussie : « Une idée reçue fait de Munch un artiste reclus, en proie à de violentes angoisses, dépressif, une âme tourmentée ». Non, c'est vrai ? Il faudrait donc montrer une autre face de l'artiste, sans la peur panique protéiforme du fameux Cri, (la Joconde des norvégiens, qui n'a pas fait le voyage, car on leur a déjà piqué deux fois). Beaubourg présenterait donc un Munch tardif ouvert sur le monde, lisant les journaux, passionné de théâtre. Il était en effet mordu de son polaroid de l'époque (« une vieille boîte avec laquelle j'ai pris d'innombrables photos de moi même, ») et filmait ses potes avec une sorte de caméra super 8.
Belle métaphore de la fusion amoureuse, version nordique
Je vous préviens tout de suite : si un membre de votre entourage se met à peindre comme ça, faites le hospitaliser d'office. Certes, Munch est un génie visionnaire, à la croisée du fauvisme et de l'expressionnisme. Certains de ses paysages ont une beauté onirique, irréelle, où le turquoise et le jaune étincelant viennent illuminer l'oeil du spectateur. Mais ses toiles sont aussi peuplées de fantômes, d'ombres et de reflets de lune, de formes étirées, à décrypter comme autant de signes et d'obsessions (la course du temps, la maladie, l'amour, la mort). Les perspectives fuyantes, l'horizon tourmenté, la lumière oppressante, les intérieurs étouffants donnent un sentiment d'enfermement mental que nous n'avions pas ressenti peut être depuis le Spleen de Baudelaire « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle »...
Chez Munch, les meurtriers ont un visage vert et décomposé quand ils fuient une scène de crime aux couleurs surnaturelles. Une femme debout en pleurs est représentée 5 fois dans sa chambre, compulsivement. Munch aimait se répéter : il se peignait aussi chaque année, pour conjurer son propre vieillissement. Un peu alcoolo sur les bords, il posait avec ses bouteilles préférées. Il montre même un homme sortant la chevrotine à ses visiteurs après avoir vidé son bar. Bref, un bon client pour les maisons de repos. Enfin, au rayon « art et ophtalmologie », un petit frisson : Munch jette sur le papier les tourments de sa vision déclinante, des globes visuels remplis de tâches noires et de fissures, avec une écriture griffonante. Des dessins à faire passer Shining de Kubrick pour un conte de fées...
Bref, on sort de là en se disant que les anti-dépresseurs ont empêché à toute une génération d'artistes peintres, compositeurs et poètes suicidaires de voir le jour (à l'exception de Kurt Cobain, Amy Winehouse et peut être Mike Brant). Cette exposition vient confirmer le goût des français pour la déprime, au sens médical, ou artistique ; souvenez vous de l'exposition « Mélancolie, génie et folie en Occident », qui avait fait un véritable carton en 2005 !
Et les Norvégiens ? Ils ont de la chance peut être ? Cet émirat pétrolier de vikings mal dégrossis est passé de la pèche à la morue au pétrole offshore en moins de 40 ans. Richissimes, ils ont les plus beaux paysages d'Europe, des Iles Lofoten qui tombent comme des lames de rasoirs dans le cercle polaire, aux fjords wagnériens qui combinent le charme des Alpes et celui de Costa Croisières.
Alors certes, parfois un chanteur de black metal fait brûler une église, certes parfois un fou sanguinaire fasciste déguisé en GI-Joe massacre 68 enfants sur une île, mais au fond cette société reste pacifique, prospère, un rien casanière. D'ailleurs, si vous faites du stop en Norvège, sachez que personne ne vous prendra, sauf au bout d'une heure, un Iranien, un Australien, ou des Coréens (si vous êtes asiatique). Les norvégiens n'aiment pas prêter leur Volvo.
Nous approfondirons plus tard sur la Norvège, notamment le mystère des ø et des å, comment les sous marins soviétiques venaient dire bonjour à l'OTAN au fond des fjords, les ours blancs du Spitzberg, et pourquoi le Big Mac Index y est le plus élevé du monde, ce qui transforme les touristes bourgeois français en Moldaves faméliques.
Cet instantané nous permet de conclure de manière laconique : la Norvège est le pays d'un seul écrivain (Ibsen), un seul compositeur (Grieg), et manifestement, un seul peintre, notre ami Edvard le dépressif.
*prononcez « Mounck », sinon vous serez la risée de tous
jeudi 3 novembre 2011
Avez vous déjà cherché un job ? Concrètement, voilà ce que ça signifie : vous émergez vaguement vers 9h42, épuisé d'avoir trop dormi. Robe de chambre odorante, un gros mug de Nescafé trop chaud devant BFM TV pour savoir si oui ou non l'euro s'est effondré, par simple catastrophisme.
Puis un regard rapide sur votre boite mail. Elle est vide, remplie de spams avec des titres racoleurs (Free Viagra, cheap penis enlargment, kinky russian pornstars, US greencard lottery). Des réponses négatives, aussi : « malgré vos dix ans d'études et votre génie incompris, nous avons préféré prendre un stagiaire /regrettant votre humour décalé à la machine à café, nous vous souhaitons toutefois un bon échec »
Ensuite, vous allez sur Facebook. Là c'est encore pire : vous souffrez, car aller sur Facebook, c'est se sentir inférieur (cf Adler sur le complexe d'infériorité). Des gens attirants et bronzés postent des photos de leur dernier road-trip en Australie/Argentine/Mongolie/Népal (au choix), distillent des indices intolérables sur leur vie réussie (a étudié à HEC-ENA-Harvard, docteur en gynécologie), habite Hong-Kong (China), parle cantonais et norvégien, et bien sûr je suis broker, je roule en Cayenne, j'ai tellement de « Miles » sur mon AMEX que je peux te payer deux tours du monde en Business.
Si vous n'avez pas trouvé l'âme sœur*, votre mélancolie éclate au grand jour devant les photos de mariage de votre ex, ou de la belle cousine que vous avez aimé secrètement car elle avait maigri, avant qu'elle n'embrasse sous vos yeux merdiques un minet bien coiffé dans une soirée de rallye. Le rituel du mariage, vous le connaissez, et au fond vous l'aimez bien : château de location en Normandie, voiture de collection retapée à la sortie de la messe, grosse éclate – mesurée - sur le dancefloor avec des classiques relatifs comme « le sunlight des tropiques », « danser le jerk », ou pire, l'Aventurier « Bob Morane - Indochine – 1982». Ces chansons étaient très pointues, so eigthies, limite hype, avant que votre grand tante ne les salisse en dansant le rock dessus. Mais avec 5 ou 10 coupes de champagne on finit par bien s'amuser parce qu'on a le même ADN, et au fond, c'est mieux qu'une salle des fêtes dans les Ardennes ! Et enfin, plus bas dans votre navigateur, la photo du dernier bébé, ou pire, de la lune de miel à Santorin/Kenya/ Ile Maurice, alors que l'exotisme dans votre vie se résume au resto chinois à volonté en bas de chez vous.
Vous avez surmonté Facebook. Pendant un quart d'heure ensuite, vous regardez les offres d'emploi. C'est un minimum : vous êtes payé 1500 euros pour faire ça. Généralement elles sont à 1h de métro, mal payées - pour se lever le matin, il faut un CV en anglais ou pire, une lettre de motivation. Vous avez très peur des titres des offres : « Consultant technico-fonctionnel SAP ABAP FD / Chef de projet maîtrise d'oeuvre réseaux /juriste confirmé IT et externalisation ». Oublions ça : c'est trop dur. On retournera plus tard sur le site de « Sciences Po Avenir » (traduction: à poil avec ton diplôme)
Comme au fond vous êtes cultivé, car votre bibliothèque est remplie de livres très chers sur l'Art Hellénistique et Sumérien, vous vous considérez comme un chevalier des Arts et des Lettres contrarié, vous écoutez donc cette Suggestion Diabolique de Prokofiev interprétée par Andrei Gavrilov. Vous vous dites que décidément, c'est d'une virtuosité démoniaque, et que si vous aviez bossé un peu plus, vous seriez déjà pianiste, à triompher sur toutes les scènes mondiales sous les roses et les baisers des admiratrices.
Ensuite, comme vous êtes devenu un peu altermondialiste (à la marge) depuis votre éloignement du job market, vous lisez un peu ce bouquin fleuve de Naomi Klein, « La Stratégie du Choc ». C'est étrange, cette théorie selon laquelle de méchants néoconservateurs ultralibéraux guettent chaque catastrophe pour nous imposer un capitalisme de cow-boys fondé sur McDo et le waterboarding de la CIA. Tout comme un psychiatre tordu qui balance des électrochocs en espérant faire de son patient soumis une nouvelle page blanche, qu'il espère réécrire selon sa volonté (ce qui n'est pas sans rappeller l'excellent Vol au dessus d'un nid de coucou de Milos Forman)
Vous regardez un bout du live à Vienne de Lang Lang, en vous disant que décidément, les Chinois n'exportent plus seulement des soupes aux nouilles et des Ipad, mais aussi des pianistes fort honorables, comme la tumultueuse Yuya Wang, ou Yundi Li, vainqueur du concours Chopin en 2000.
C'est alors qu'arrive l'heure tant attendue du déjeuner. Vous vous apprêtez à ouvrir une boite de thon et une bouteille de rosé. C'est dommage, ils ont supprimé les Simpsons sur W9 : on va regarder BFM TV pour se plonger à nouveau dans le bruissement du monde selon l'AFP, depuis cette belle cachette où vous voyez l'économie s'affaisser sans trop vous salir. Le CAC 40 a perdu 5%. La matinée s'est mal terminée.
Ne manquez pas mes prochains posts sur les séries allemandes de l'après-midi, la figure héroïque de Franz Liszt et la Funemployed attitude® , ou comment faire rimer recherche d'emploi avec une bonne estime de soi.
*Disclaimer : ce n'est pas mon cas
samedi 29 octobre 2011
Le héros du jour : Alexandre le Grand
Après la primaire socialiste, les esprits éclairés se tournent vers des héros comme François Hollande, ou Alexandre le Grand, car le Louvre s'est servi de son nom pour promouvoir une belle exposition sur la Macédoine antique, certes réussie, mais sans grand rapport avec le grand conquérant, à part un plan d'Asie rempli de flèches tordues et quelques bustes anguleux sortis des tiroirs.
J'ajoute que si j'avais un pavillon en proche banlieue, je choisirais un buste d'Alexandre en plâtre plutôt qu'un nain de jardin. Je vous dis ça parce qu'il parce que dans ma région, la Champagne, certains vignerons d’extrême droite sont tellement riches qu'ils ont des nains de jardin plaqués or, ou alors en porcelaine de Limoges (mais cela n'a aucun rapport). Sachez d'ailleurs que grâce à Or Postal, vous pouvez en toute discrétion vendre votre nain de jardin doré au meilleur prix, sans sortir de chez vous.
Bon je me lance sur le sujet en toute modestie, et surtout, de manière ouvertement non-scientifique ! Amusez vous bien avec les liens hypertexte car cet article est rempli de conneries selon le principe de l'Edutainment®.
Alexandre est le plus grand conquérant de notre histoire, invaincu durant sa courte vie (33 ans). Le premier à souffrir la comparaison, c'est Jules César, immortalisé par Astérix et Plutarque qui brosse sa biographie avec celle d'Alexandre (Vies parallèles). On raconte que Julius s'était mis à pleurer devant une statue d'Alexandre, parce qu'au même âge son modèle avait déjà soumis l'Univers tout entier (selon la vision de géographique de l'époque, sans GPS). On connaît la suite... Il est probable aussi que Nicolas Sarkozy, en se rasant le matin, se soit coupé en pensant au Général de Gaulle.
Nos contemporains ont voulu ressembler à Alexandre. Toutefois, Napoléon et Hitler ont assez mal terminé, parce qu'ils ont eu la mauvaise idée d'envahir des pays froids. Alexandre est parti sous le soleil du Moyen Orient, et il s'y sentait si bien qu'il a créé une Alexandrie tous les 200km ! Alexandrie d'Egypte était cette ville destinée à accueillir un phare, une grande bibliothèque, et Claude François.
Alex était un champion de rodéo : encore adolescent, il a soumis le rebelle Bucéphale, son mythique cheval, sous les yeux ébahis de son père Philippe II, qu'il ne tardera pas, d'après les rumeurs, à faire assassiner. C'était un fin lettré, formé par Aristote en personne, ce qui ne l'a pas empêché d'adorer les incendies et les massacres. Il avait un talent spécifique pour trancher les problèmes, comme le fameux nœud gordien, directement avec une épée, ce qui revient à se présenter aux oraux de l'ENA ou au Pôle Emploi avec une grosse hache.
Alex a hérité de son père Philippe II un royaume macédonien dominant la Grèce depuis la bataille de Chéronée (-338), rassemblant toutes les cités grecques, sauf Sparte contre les Perses dans la« Ligue de Corinthe ». Il ne restait plus qu'à faire l'essentiel : conquérir l'Asie. Donc, entre -334 et -324, une série de victoires fulgurantes qui frappe l'esprit de notre génération abrutie par les réseaux sociaux. Leur énumération excède mes capacités de synthèse : on peut toutefois retenir d'abord le siège d'Halicarnasse, la ville de Mausole, avant qu'elle ne devienne Bodrum, cette station balnéaire infestée de russes bedonnants. Tyr au Liban, qu'il incendie. Il écrase une première fois l'armée du roi des perses Darius III, l'illustre prédécesseur de Mahmoud Ahmadinejad, à la bataille d'Issos, ce qui a donné lieu à une célèbre mosaïque trouvée à Pompéi.
Puis toujours des victoires, des victoires, en Égypte où il se fait couronner comme Pharaon, à Gaugameles, ou il écrase définitivement le pauvre Darius, qui avait perdu ses bagages. (joli tableau de Bruegel l'Ancien). Alexandre a été relativement cool avec la famille de Darius qu'il ne massacra pas. Ensuite, une entrée bling-bling dans la Babylone par ailleurs chantée par Boney M. Puis Suse, Persépolis qu'il incendie un peu comme la RAF à Dresde. Mais rassurez vous, il en reste des gros bouts au Louvre car contrairement à ces salauds d'anglais qui ont tout pillé pour le mettre au British Museum, nous en France, nous mettons les œuvres à l'abri.
Et ensuite pour finir la fresque, c'est une série de trahisons réprimées, de passages de hautes montagnes, de découragements dans le désert, de soulèvements et de pillages. Alexandre entre temps a commencé à se prendre pour un Dieu, demande à ses sujets macédoniens de se prosterner, et nomme des Asiatiques à des postes clés, ce agace tout le monde profondément (un peu comme si on osait élire comme député un Français d'origine immigrée, quel scandale! Ou faire rentrer un ministre socialiste au gouvernement).
Il poursuit sa chevauchée fantastique jusqu'en Inde, dans la vallée de l'Indus (qu'il avait confondu un temps avec le Nil), il rentre mourir à Babylone. Ses anciens généraux n'auront plus qu'à se déchirer pendant des guerres intestines de succession jusqu'en -281, c'est affreux. mais je vous en prie, ne m'obligez pas à approfondir ce discours de salon. Hmm, c'est si bon d'étaler sa culture devant un lecteur qui souffre de maux de tête... Rassure toi cher lecteur, moi aussi !
Notre égo occidental donne à Alex un rôle plus grand que son œuvre : son empire s'est disloqué rapidement, entre ses compagnons généraux (diadoques) devenus empereurs, mais il a hellénisé durablement l'Orient en l'envahissant. Une tentative de fusion des cultures assez étonnante. Alex a montré l'exemple par son mariage avec la perse Roxane (qui n'était pas une fille de joie comme celle du groupe Police). Par exemple, l'Egypte des Ptolémées sera un royaume hellénistique jusqu'à Cléopâtre et la bataille navale d'Actium (-31). Au Moyen Orient, les élites se sont mises au grec, biens, hommes et idées circulaient librement de la Mediterranée à l'Asie Centrale ; plus facilement qu'aujourd'hui entre Israel et Palestine, Irak et Iran, Chypre du Nord et du Sud ! Il faut dire qu'à cette époque, la Méditerranée était un pôle d'échanges, et non pas une frontière (vous aimez ces sucreries globish à la We Are the World?)
La Turquie n'était pas encore méprisée par des européens amnésiques, c'était l'Europe, avec des cités grecques prestigieuses comme Ephèse, Milet (l'ancêtre de la ville américaine avec ses blocks), Pergame, sa grande bibliothèque qui a inventé le parchemin, et son bel autel délicatement démonté par les Allemands fin XIXème pour le mettre à Berlin. Cet autel de Pergame, est le sommet de la sculpture hellénistique, si animée, baroque, violente. Les sculptures de Rude sur l'Arc de Triomphe s'en inspirent directement. La sensualité et la vitalité caractéristiques de cette époque sont frappantes si on compare la froideur un peu immobile des fresques du Parthenon, et le flamboyant panache de la Victoire de Samothrace. Et pour les hommes qui aiment les hommes, voici le fin du fin : l'appétissant « Faune Barberini » ! Grrr. A ce stade du discours, il faut aussi préciser que dès son arrivée en Asie, Alexandre et son compagnon Héphaisteion déposent une couronne sur les tombeaux respectifs d'Achille et Patrocle, ce qui est à la fois une manière de s'attribuer une parenté avec des héros mythiques (Alexandre prétendait également être un descendant d’Héraclès, fils de Zeus), et une claire allusion à la pédérastie des deux compagnons d'armes.
Pour finir sur le rayon "un bouquin d'Homère dans une main et une pelleteuse dans l'autre", Troie, au sud de Constantinople, avant d'être un film médiocre avec un Brad Pitt sous stéroïdes, a aussi été copieusement vidée par l' Allemand Schliemann mais pas de chance, les Soviétiques on tout piqué en 1945 avec la moitié de la Prusse orientale. Hmm, cette belle époque où archéologie rimait avec pillage, civilisation avec colonisation, mariage avec bordel, féminité avec incapacité !
L'exposition actuelle au Louvre montre quelques objets admirables issus de Macédoine, des vases très sobres, d'admirables couronnes dorées, le fameux masque de bronze avec un visage d'or et quelques pierres de sa capitale antique, Pella, dont les ruines sont malheureusement très abîmées. Quelques mosaïques admirables, dont celle de Dionysos, sont exposées au musée archéologique de Thessalonique ; vous pouvez y aller pour 20€ avec Ryanair, si vous êtes chômeur et que vous aimez les Beauvais-Bergame avec 10h de correspondance au milieu des Roms.
On est souvent déçu par les grands conquérants. Alex est mort semble-i-il après une immense série de débauches. César, le pauvre, a été lourdement poignardé dans un coin du Sénat parce qu'il a eu le malheur d'être trop ambitieux, comme un jeune loup dans une sous-préfecture. Pour me mettre dans l'ambiance « conquérant » malgré ma robe de chambre et les pantoufles jetables piquées dans un hôtel, j'écoute en ce moment la 3ème Symphonie « Eroique » : or Napoléon a tellement déçu Beethoven qu'il en a déchiré son manuscrit, dédié à l'Empereur. Eh oui, malgré le Code Civil et les jolis meubles Empire, notre grand Corse était aussi un cruel autocrate. Hitler, lui, était vraiment très méchant. Son nom est tellement moche que seuls les Républicains de la Tea Party peuvent l'utiliser contre Barack Obama. Il est difficile de rire avec lui ; il partage sa délicatesse de peintre avec celle de Staline, le géorgien débonnaire, ancien séminariste.
Enfin, sachez que notre héros conquérant est toujours au cœur de vifs débats. La petite Macédoine, ce morceau de Yougoslavie indépendant, porte dans toutes les organisations internationales le nom de FYROM (Former Yougoslav Republic of Macedonia), car les Grecs ne veulent pas donner à ces foutus balkaniques tout cet héritage. Ils exigent un mot supplémentaire comme « Northern ». Du coup pour se venger les « Macédoniens », qui sont des sacrées têtes de cons, ont nommé l'Aéroport de Skopje « Alexander the Great », et inauguré une immense statue équestre d'Alexandre en plein centre ville !
Vous remarquerez que j'ai finalement peu écrit sur la vie d'Alexandre, ce qui rend cet article terriblement snob. Vous en saurez plus en lisant Plutarque ou en téléchargeant illégalement le peplum tout à fait acceptable d'Oliver Stone sur notre ami Macédonien. Colin Farrell n'est pas un si mauvais acteur, et tous ces films comportent des scènes de massacre sur les champs de bataille tout à fait jubilatoires. Avec un soupçon de nostalgie pour cette époque où la violence était quotidienne, l'esclavage généralisé, et les femmes, des objets !