Je voue un culte païen à la
lumière dorée de la Provence, mais j’ai toujours détesté nager dans la mer. Tout cela m’ennuie
profondément : les mouvements gauches et répétitifs, le sentiment
d’inutilité qui vous gagne peu à peu, et, au bout de 5 minutes, l’appel fatal
de la serviette de plage qui vous tend ses bras cotonneux. Et puis, le bleu incertain
du liquide cache quelque chose de louche.
Dans ces abysses, pensez aux baleines décomposées, aux marins sans
sépulture, aux morceaux de galion mangés par les vers, à ces bâtonnets de
surimi vivants qu’on appelle les crabes. Sans parler des bancs de préservatifs
en direct de Saint Tropez, du mazout de yacht, des tuiles de villas d’oligarques,
tout cela trempe dans un bouillon de culture qu’on aurait du mal à nommer avec
Virgile « Mare Nostrum ».
Par un paradoxe qui n’est qu’apparent,
j’aime le rivage pour contempler la Méditerranée sans y mettre un pied. Ça
viendra peut-être le jour où je saurai manœuvrer un voilier sans m’empêtrer
dans les cordes. Sur la Côte d’Azur, pour
passer des vacances honnêtes, je me suis tourné à 180° vers l’arrière-pays.
Il faut dire que tout vous incite
à entrer dans les terres. Entre Nice et Toulon, la bande côtière est d’une
densité humaine qui ferait sombrer mère Theresa dans la misanthropie. Au soleil de plomb, les vierges collines des
Maures contemplent avec dépit des files de scandinaves grillant sur le bitume
dans leur Ford Focus d’occase. Sous le regard dépité des pins parasols, une armée
bedonnante de teutons en tongs se ruent comme un Blitzkrieg sur les stocks
gargantuesques de rosé prévus pour alimenter 20 campings en zone inondable. C’est
pas grave, en cas d’orage, on peut hélitreuiller, et Dortmund se passera de
quelques nudistes à la rentrée. Le marchand de journaux vous balance la Tribune
à la figure avec la même hargne depuis 30 ans ; le boucher vous insulte,
et votre plaque d’immatriculation nordiste vous vaudra des queues de poisson
sur tous les ronds-points du Var. Si vous parlez politique avec les gens du
coin, évitez de sortir vos théories bobo compatissantes : ici, on est très
déçu par le virage à gauche de Marine Le Pen. Je connais quelques chics types
là-bas, mais n’allez surtout pas généraliser !
Derrière ce rideau de béton
spéculatif, loin des péages autoroutiers et des avions publicitaires, se cache
le plus bel endroit du monde : le massif de l’Esterel. C’est un
mini-Colorado vierge, hors du temps, où le Créateur a donné quelques coups de
pinceau généreux pour le plaisir des esthètes vététistes. Un morceau de Corse
échoué entre Cannes et Fréjus, où se jettent dans la mer des immenses rochers
de porphyre rouge, dans lesquels les Romains aiment tailler de jolies baignoires
pour leurs villas. A l’intérieur, des vallées encaissées, du maquis parfumé, des
canyons où serpentent des pistes bordées d’eucalyptus à l’écorce dénudée, les
seuls à offrir de l’ombre ! Parfois un étang avec quelques roseaux, un lac
presque vide dans la chaleur étouffante qui fait éclater les pierres. On a
l’impression d’être dans une maquette géante de la montagne, tant le relief
donne l’illusion de l’altitude. Tout s’endort le soir sous l’œil rassurant de
la vigie du Mont-Vinaigre, dans la lumière mauve. Pas de doute, ce jour-là,
Dieu était inspiré…
Quand le mistral souffle un grand
coup, la mer devient plate. Elle se couvre de petites rides, et elle a froid.
Les kite-surfers ont intérêt à rentrer pour pas finir à Alger. C’est le moment
où les pompiers pyromanes envoient leurs balles de tennis imbibées d’alcool à
90°, quand leurs collègues cuvent le pastis à l’ombre des camions. Et surtout, l’air est si clair, que des
hauteurs de l’Esterel, on aperçoit Cannes, les Iles de Lérins entourées de
bateaux au mouillage, Nice, ses retraités et ses avions low-cost, les cîmes
blanches du Mercantour… jusqu’en Italie, où les sympathiques Sénégalais de Vintimille
écoulent en douce leurs faux Vuitton à la frontière.
Oups. |
La route de corniche, une
merveille de l’âge d’or aristocratique de l’Automobile Club, réserve des
surprises au conducteur roturier. Les GI’s ont débarqué ici en 44 pour chasser les méchants nazis, au pied du Cap Dramont, de ses criques affûtées comme des rasoirs, de
son sémaphore. Sur la fameuse Ile d’Or, au début du 20ème siècle,
une tour sarrasine a été construite par un original qui faisait des
grosses fiestas et battait la monnaie d’un pays imaginaire. Cette fantaisie aurait inspiré l’Ile Noire d’Hergé : belle filiation pour une bizarrerie
architecturale digne de la couverture d’une carte IGN.
Un peu plus loin vers le Nord, la
baie en forme de coquillage d’Agay est surplombée par le grand complexe
« Cap Esterel », où fut tournée en son temps la très kitsch série
d’été « Extrème Limite », d’une délicieuse naïveté nineties. Vous
n’avez jamais eu un petit émoi adolescent honteux en contemplant le décolleté
de la plantureuse Astrid Veillon ? Allez ! La belle plante sirotait des
cocktails en mini-jupe fluo, entre un saut en parachute et des championnats de
ski nautique sur l’étang de Roquebrune.
Un jour, je suis parti en
randonnée à 17h30 dans l’Esterel. J’ai garé ma Golf au sommet d’une montagne,
et je suis parti me perdre comme un con dans les méandres des chemins. A la
tombée de la nuit, je me voyais déjà dormir avec les meutes de sangliers, quand
les serviables pompiers des Adrets de l’Esterel m’ont ramené au bercail, avec
une bouteille de Cristalline et un coucher de soleil incroyable sur la baie de
Fréjus. Malgré l’argent que j’ai coûté au contribuable, je garde un excellent
souvenir de ce petit trek solitaire. La nuit tombée, ma famille m’attendait
dans notre jolie résidence en bord de mer, une folie lecorbusienne en béton des
sixties, posée avec aplomb sur les rochers bruns. Sur la terrasse, j’ai regardé
la mer en trinquant au rosé avec la lune. Et je me suis dit :
vive les Trente Glorieuses !